Ne pas se pencher au dehors

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J’avais tellement froid. J’étais restée si longtemps accoudée à la fenêtre de ce train, à observer tous ces gens amassés sur le quai. Certains s’embrassaient, riaient, heureux de partir en voyage, quand d’autres, l’air morose ou angoissé, redoutaient une séparation imminente.

Je me sentais pourtant bien lorsque, valise à la main, j'avais quitté mon domicile en début de matinée. Le cœur léger et joyeux, je me hâtais de rejoindre la gare de Lyon, depuis laquelle j’allais me rendre dans le Midi, retrouver mon amie d’enfance.

En arrivant à la station, mon train s’apprêtait déjà à accueillir ses passagers. Je m’y engouffrai, soulagée de découvrir que ma place fût dans le sens de la marche et contre la vitre. Après avoir rangé mon bagage sur l’étagère, je descendis le carreau et me mis à contempler le monde qui à l’extérieur s’agitait.

D’entre la foule attroupée, la silhouette d’un jeune homme se détachait ; elle créait un infime espace, pourtant bien visible, entre lui et son entourage. Je remarquai son attitude, ses manières, l’allure, la forme et les traits de son visage, sa tenue vestimentaire ; mais aussi ses mouvements de tête, sa façon de la relever en tendant le cou à la recherche de quelque chose ou de quelqu’un.
Tout chez cet inconnu, même les ombres peintes sous ses yeux clairs, me rappelait un autre garçon qui n’était plus là pour entendre et contempler la vie.
Cette ressemblance saisissante, comment était-elle possible ? Ce n’était pas lui, simplement parce que cela ne pouvait pas être lui.
Il finit par fixer son regard et le posa sur moi, puis fit un signe de la main. Je me retournai afin de vérifier à qui il l’adressait. Il n’y avait personne, ni derrière ni près de moi. J’étais seule à cet endroit et à ce moment précis.

Après un long coup de sifflet, les portes des voitures se fermèrent et le train démarra, m’éloignant du jeune homme, lentement, jusqu’à ne plus pouvoir le distinguer.
Le corps chancelant, je réussis, non sans peine, à trouver la force de m’asseoir. Bien que le compartiment fût chauffé, je tremblais ; je resserrai le nœud de mon écharpe avant d’enfouir mes poings serrés et glacés à l’intérieur des manches de mon manteau, avec mon espoir d’y trouver un peu de chaleur et le moyen d’apaiser mon trouble.

« Ne pas se pencher au dehors. », il m’aurait fallu accorder davantage d’importance à cette petite phrase destinée aux voyageurs. Il est parfois dangereux de se pencher au-dehors, nous pouvons y rencontrer les fantômes de notre passé ; surtout ceux qui nous ont quittés sans nous dire adieu.

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