Les corvées du quotidien
C'est le matin. Environ six heures. Le soleil n'est pas encore levé. Souillon débarrasse la table recouverte de canettes de jus de fruits. Elle passe l'éponge sur la table. Puis, elle récupère les quelques verres et fait la vaisselle en faisant attention de faire le moindre de bruit possible. Ensuite, elle se met à laver le sol qui est couvert de boue. Elle ramasse et décrotte la paire de baskets qui traîne, éteint la télévision et retire le film du lecteur DVD.
Elle a grandi. Elle doit avoir dans les dix ans. Elle est toujours dans un état déplorable. Son teint si parfait est maintenant pâle. Les seules couleurs qui ornent son doux visage sont les bleus qu'elle a sur les joues et son œil au beurre noir. Ses cheveux sont rassemblés à la hâte dans un chignon mal fait. Ses vêtements sont usés, bien trop petits. Elle est propre sur elle, mais ses vêtements et sa peau sont gris d'usure. Sur l'épaule, on voit par transparence des traces de saignements. Une ligne droite. Un coup de ceinture très violent.
Une fois le salon nettoyé, Souillon se dirige vers la cuisine. Elle prépare du café, fait cuire des œufs brouillés qu'elle dépose dans une petite assiette avec une fourchette. Elle coupe plusieurs fruits pour faire une petite salade de fruits frais. Elle pose le tout sur un plateau avec deux tasses et deux verres d'eau. Elle monte à l'étage et toque du coude pour prévenir de son entrée. Les deux adultes sont en train de se réveiller. Souillon pose le plateau sur la table. Elle sort de la pièce puis redescend sans bruit comme une petite souris discrète.
Elle se dirige vers le jardin. Il n'y a plus de jeux d'enfants. Les mauvaises herbes ont envahi l'ancien gazon. La fille ouvre une voiture et la fait démarrer. Elle met le chauffage en route. Elle grelotte de froid. Pourtant, elle récupère le grattoir et dégivre le pare-brise et les fenêtres. Ses doigts sont bleus de froid. Elle se dépêche pour vite retourner dans la maison. Sa respiration fait un halo de vapeur. Un halo faible et grelottant.
Elle prend ensuite une pelle et déneige le chemin d'accès de la maison. Elle doit s'arrêter plusieurs fois, la tête lui tourne. Elle a faim. Elle a froid. L'effort à fournir est colossal pour une fillette de dix ans, surtout lorsque celle-ci est maigre et en mauvaise santé. À un moment, la petite tombe à genoux sous l'effort. Elle met quelques instants à se redresser. Elle continue inlassablement avec sa pelle. Lorsqu'elle a enfin fini, elle court presque vers la cuisine.
Elle se met à cuisiner un plat qu'elle place ensuite dans des gamelles isothermes. Deux gamelles. Deux sacs. Une bouteille d'eau dans l'un. Deux canettes de bière dans l'autre. Des fruits secs et une crème dessert de régime dans le premier sac. Des chips, des cacahuètes et des gâteaux au chocolat dans le second sac. Elle termine à peine que les deux adultes descendent et partent sans un mot en ramassant leurs sacs respectifs. L'homme lui donne une claque sans expliquer son geste.
La petite remonte dans leur chambre, refait le lit, aère la pièce. Elle ramasse le plateau et nettoie la table. Elle récupère les pyjamas au sol et les plie. Puis, elle les pose sur les taies d'oreillers. Souillon se rend ensuite dans la salle de bains et nettoie les éviers remplis de poils de barbe et de coton de maquillage. Toujours sans faire le moindre bruit. Elle redescend ensuite.
Souillon se met à recoudre des vêtements jusqu'à ce qu'elle entende un cri. Plusieurs heures plus tard.
- SOUILLON! J'AI FAIM. GROUILLE-TOI !
Elle fait alors chauffer du lait tout en préparant un nouveau plateau. Elle pose des tartines et des pots de confiture. Trois paquets de bonbons. Un verre de jus d'orange. Un bol de chocolat chaud dont l'odeur la fait saliver. Elle soulève ce plateau, lourd pour son corps frêle. Elle se dirige vers un l'escalier avec précaution. En haut, elle pose le plateau et toque doucement. Elle attend qu'on l'autorise à entrer.
- Ce n'est pas trop tôt Souillon. Ce que tu peux être lente.
C'est un ado qui lui parle avec méchanceté. Il la bouscule sans ménagement dès qu'elle pose le plateau. Il déjeune bruyamment tandis qu'elle ramasse les vêtements sales de la veille qui sont éparpillés aux quatre coins de la chambre. Elle secoue la couette, enlève les miettes de gâteaux sur le matelas. Elle regonfle les oreillers et refait le lit en silence. Toujours en silence. Elle sort ensuite des vêtements propres de l'armoire et les pose sur le lit.
L'ado a fini son petit-déjeuner. Elle récupère le plateau et nettoie la table. Le garçon commence à s'habiller sans se soucier d'elle. Elle sort vite avant qu'il ne lui demande de lui mettre ses chaussettes ou de le laver par flemme de le faire tout seul. Elle redescend vite avec les vêtements des deux chambres. Elle se rend dans la buanderie et lance une machine. Quelques minutes plus tard, elle est de retour dans la cuisine. Elle réchauffe le plat préparé plus tôt et refait un nouveau sac. Cette fois, trois canettes de jus de fruits. Un paquet de bonbons. Deux de chips. Un paquet de biscuits et une pomme.
L'ado descend. Il crache sur la fillette qui ne bronche pas. Il s'assoit sur une chaise tandis qu'elle s'accroupit pour lui mettre ses chaussures. Dès qu'elle a fini, il se lève et se regarde dans le miroir. Satisfait de son allure, il lui donne un coup de pied et lui jette la pomme de son sac. Elle la récupère avidement. Ce sera sûrement le seul aliment de sa journée. L'adolescent sort en pestant contre le froid.
Dès qu'il est loin, elle laisse les sanglots couler sur ses joues. Elle dévore sa pomme avec fébrilité, puis retourne s'occuper du linge. La fillette remonte à l'étage fermer la fenêtre de la chambre parentale et ouvrir celle de l'adolescent. Ensuite, elle nettoie de nouveau la salle de bains soigneusement et elle fait de nouveau la vaisselle. Souillon passe le balai dans toute la maison. Ensuite, elle donne un coup de serpillière, sort le linge et le met à sécher dans le salon. Elle s'attelle ensuite au repassage. Puis au rangement de toute la maison.
Lorsque le soir arrive, l'enfant prépare de nouveau un repas sans y toucher. Elle met la table. Souillon allume la télévision sur la chaîne de musique. L'adolescent rentre tandis qu'elle surveille la cuisson de son plat. Il retire ses chaussures et le jette au loin. Son blazer subit le même sort. Il s'avachit dans le canapé comme un tas. Il sent l'alcool. L'ado a sûrement bu avec ses amis avant de rentrer. Souillon s'approche avec prudence pour lui tendre sa canette de jus de fruits et son paquet de chips.
Il l'ignore et dévore en s'abrutissant devant la télé. Ses parents arrivent peu après. Ils pensent à mettre leurs chaussures sur le paillasson et leurs manteaux sur le portant prévu à cet effet. Les deux adultes vont à table sans un mot. L'oncle frappe de nouveau sa nièce. Il ne peut pas supporter de la voir. Le moindre prétexte est bon pour la cogner. Il n'a même pas besoin de prétexte. Souillon leur apporte le repas. Elle dépose l'assiette de l'adolescent à côté de lui sur le canapé. Elle récolte un coup de pied comme remerciement.
Lorsqu'ils ont fini de manger, les adultes vont se débarbouiller puis se couchent. Souillon fait la vaisselle. Elle nettoie les chaussures des adultes, retrouve celles de l'adolescent. L'enfant les décrotte de nouveau. Souillon récupère le blazer et le pose sur son portant. L'ado continue d'être hypnotisé par l'écran. La fillette lui apporte les canettes de jus de fruits et les paquets de chips lorsqu'il claque des doigts. Lorsqu'il s'endort devant la TV, elle éteint les lumières puis peut enfin aller se coucher. Il est près de minuit.
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