Vivre avec un ours
La petite baisse les yeux en entendant les paroles d'Ours. Il lui fait encore plus peur que son oncle ou Jonathan avec sa grande taille et ses muscles développés. Une seule gifle de sa part lui casserait la mâchoire à coup sûr sans qu'elle ne puisse éviter les coups. Ce qui lui fait encore plus peur, c'est sa voix grave et rare qui ne fournit que très peu d'information sur ce qu'il pense ou sur ce qu'il faut faire. Oui, Ours terrorise la petite qui en perd l'usage de la parole dès qu'il est dans son champ de vision. Elle se mit à pleurer en songeant à la nouvelle vie qui l'attend, une vie encore pire qu'avant.
Étoile et ses fils se méprennent et pensent que la petite était soulagée de quitter sa famille. Aucun ne comprend qu'elle pleure de terreur sur l'avenir sombre qui lui était destiné. Ours vit seul au fond des bois sans aucune des distractions de la ville pour soulager ses envies. Le nouveau nom qui lui a donné laisse envisager le pire. Bijou pense qu'elle serait la distraction d'Ours. Elle lui servira comme Jonathan voulait qu'elle serve aux hommes de la grande ville. Bijou est persuadée qu'un sort pire que les coups ou la mort l'attend dès qu'Étoile partira.
Tout le restant de la journée, Bijou se colle à Étoile silencieusement en espérant que la femme comprenne ses craintes et ne la laisse pas seule ici avec cet homme que Bijou ne connaît pas et dont elle a si peur. Étoile ne semble pas comprendre l'air apeurée de Bijou et prodigue conseils et explications sans penser une seconde que la vision de Bijou puisse être aussi terrifiante. Étoile sourit même et semble ravie de la toute nouvelle situation, se permettant de taquiner son fils en le menaçant des pires châtiments s'il ne prend pas bien soin de sa nouvelle colocataire.
Le silence amusé d'Ours glace le sang de Bijou. Depuis qu'il était rentré et lui a annoncé son sort, Ours ne jette pas un regard à Bijou et se contente de suivre sa mère en soupirant fortement comme un ado rebelle. Bijou se demande s'il écoute seulement le quart du monologue d'Étoile ou s'il fait semblant pour avoir la paix et faire cesser au plus vite ce moment pour être seul avec Bijou. Elle frissonne à cette idée et une larme s'échappe de sa joue. Sans même la regarder et tout concentré sur la démonstration maternelle de binage, Ours dépose sa veste sur les épaules de Bijou grelottante et laisse sa main dans le bas de son dos dans un geste possessif qui fait encore plus trembler Bijou.
Mr Toka est occupé au loin à charger des bûches sur la remorque de son véhicule. Mi- Loup auprès de lui, tous les deux semblent discuter avec un grand sérieux. Quand la remorque est pleine, l'homme prévient sa femme qu'il rentre à la maison et il part en embarquant Mi- Loup qui grogne comme pour ronchonner. Étoile prendra la motoneige, dès qu'elle aura fini de donner ses ordres à Ours.
Bijou cherche des yeux le jeune frère d'Ours qui lui semble si gentil, mais elle n'en voit trace nulle part. Elle ne l'avait jamais vu avant ce matin et pourtant, il lui semble si familier. Quelque chose chez lui hypnotise Bijou et lui donne cette impression de l'avoir déjà croisé alors que son visage, très ressemblant à Ours et Étoile, lui est totalement inconnu. Lui aussi est grand et baraqué comme MrToka et Ours, pourtant, à la différence d'Ours, une impression de grande douceur se dégage de lui, comme s'il possède la même aura bienveillante que sa mère.
Après mille conseils et radotages sur toutes les erreurs qu'Ours fait pour tenir sa maison, Étoile part après avoir fait une petite bise sur la joue de son fils et sur celle de Bijou mortifiée. Dès que la motoneige n'est plus visible, Ours rentre dans sa demeure pour remettre les vêtements usés qui lui servent de tenue quotidienne. Bijou reste immobile dehors, ne sachant ce qu'elle doit faire.
Étoile lui a fait une liste de corvée quotidienne ou hebdomadaire, mais les a accomplie dans le même temps, Bijou ignore s'il y reste quelque chose de non effectué dehors. Elle ne sait pas non plus si cela est la même chose pour l'intérieur où se trouve Ours. Bijou ne peut pas fuir non plus, sa maigre connaissance de ce milieu hostile la condamnera à se perdre ou à se faire dévorer par une bête sauvage. En plus, avec sa cheville foulée, Bijou avancerait si lentement qu'Ours aura tôt fait de la retrouver et de la punir pour sa fuite. Non, Bijou ignore ce qu'elle doit faire à part rester là sans bouger et pleurer toutes les larmes de son corps dans un torrent qui ne s'arrête pas depuis son réveil.
Elle reste dans cette position de longues minutes avant qu'Ours ne s'aperçoive de son immobilité et rapplique auprès d'elle. Il la regarde d'un air interrogatif puis sort un mouchoir de sa poche pour sécher les larmes de Bijou d'un geste doux qu'il veut rassurant, mais ayant l'effet inverse, c'est-à-dire que les larmes redoublent de vigueur. Il se penche et soulève Bijou avec une grande facilité pour la porter à l'intérieur et la dépose sur le canapé. Il va faire chauffer du lait et remplit deux tasses de chocolat chaud pour les ramener auprès de la fille qui reste dans son état second. Il lui en tend une dans les mains sans qu'elle ne réagisse davantage, ce qui inquiète Ours qui se met à lui frotter le dos pour la calmer.
Voyant qu'il n'y parvient pas, il boit son chocolat puis se lève sans un mot pour accomplir ses corvées quotidiennes, la laissant seule sur le canapé, avec une veste deux fois trop grande sur les épaules et une tasse de chocolat fumante dans les mains. La fin de journée arrive sans que la fille ne bouge ou ne se calme. Ours a fini son travail et s'active dans la cuisine pour lancer la cuisson du repas du soir avant d'aller prendre une douche chaude. C'est en revenant torse-nu au salon, se séchant les cheveux avec la serviette qu'il réalise que Bijou n'a toujours pas bougé de la journée et serre encore sa tasse remplie comme une statue de cire.
Il sert deux assiettes et les pose sur la table basse près du canapé. Puis, doucement, il enlève la veste des épaules de Bijou, la tasse de ses mains et bouchée par bouchée, il lui fait manger sa mixture guère ragoûtante tandis que les yeux de Bijou regardent dans le vague fixant un point imaginaire au loin. Une fois l'assiette finie, Ours enlève les bottes, puis le pull et le pantalon de Bijou et la conduit au lit en lui tenant la main. Il l'allonge sur le matelas, retire son propre pantalon et ses chaussons et prend place à ses côtés en rabattant la couette chaude sur eux et en attirant d'un bras Bijou contre son corps chaud seulement couvert d'un boxer.
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