— Monsieur, que désirez-vous boire ? dit l'hôtesse de l'air en souriant chaleureusement.

— Un café crème, s'il vous plaît, répondit un quadragenaire, le grand architecte monsieur Bridget, assis confortablement dans son coussin, lisant une récente copie de New York Times. Costume européen, élégante paire de lunettes, montre Casio™, il semblait avoir vingt ans. Jamais il n'aurait pensé à prendre l'avion vers la Belgique en ce moment de l'année si le directeur de l'université où il avait étudié ne l'avait pas invité à une conférence qui aurait lieu dans deux jours. Pour lui, ce voyage était une occasion formidable d'échapper à son avenir à Washington.

Monsieur Bridget contemplait les nuages à travers son hublot, il voulait délaisser sa vie chaotique et devenir un simple nuage poussé par le vent. N'avoir aucune destination ni aucun but pour sa vie semblait anormal mais c'était ce que désirait notre homme. Il ferma les yeux ; de multiples sons frappaient ses oreilles : les murmures des passagers, le fracas des tasses de thé et la voix de l'hôtesse de l'air... Soudain, une vibration vint lui coupait sa relaxation.

C'était son portable. Vous avez reçu un message.

Il savait d'avance qui le contactait. Mais il voulut s'assurer.

Alice

Son nom suffisait pour lui faire perdre ses nerfs. "Que voulait-elle, maintenant ?". La curiosité le brûlait mais il s'abstint de cliquer dessus.

Dès qu'il mit le téléphone à part, celui-ci émit une nouvelle vibration. Il n'en pouvait plus, cette fille transformait sa vie en enfer, il lui fallait une solution. Tout à coup, ce n'était pas une vibration, le portable sonnait. Le nom apparut grand et lumineux dans l'écran. M.Bridget envisageait d'ouvrir son hublot, sans penser à la dangerosité de son acte...

— Votre café crème, monsieur, annonça la jeune femme en uniforme, debout devant lui.

Ah, le café, il l'avait complètement oublié.

— Euh ... Merci, grommela-t-il en souriant.

Peut être la chaude boisson diminuera son stress ? Il plongea ses lèvres dans le liquide, et petit à petit, son corps et son âme se réchauffaient... Pour que personne ne puisse le déranger, il mit l'iPhone en mode avion - il se demanda pourquoi il ne l'avait pas fait plutôt - et ne tarda pas à s'assoupir.

*****

— Tu es la plus belle mère dans le monde entier ! cria un petit garçon en embrassant une jeune femme. Monsieur Bridget était éveillé et fixait les yeux sur ces deux personnes.

Cette parole était douce et frappante en même temps. Elle lui évoquait quelque chose... Un souvenir qu'il essayait d'enterrer durant ces quinze dernières années. Le souvenir de sa propre mère. Après cette longue période sans un seul contact, comment saurait-il l'affronter ? Savait-elle que son fils était en route vers elle ? Monsieur Bridget scrutait la mine de chacun des passagers. Bien sûr chacun savait le but de son voyage, mais lui, le savait-il ? En effet, ce n'était qu'une évasion du présent vers le passé.

— Chers passagers, attachez vos ceintures et préparez-vous, nous atterrissons dans quelques minutes.

Enfin ! Le voyage d'Edmond Bridget était sur le point de se terminer.

Good bye Washington DC, and welcome to Belgium !