La porte jaune : l'épreuve.
Non. Oh, non. La porte est jaune. Qu’est-ce que je fais maintenant ? Je ne vais pas renoncer, pas là, ça été suffisamment pénible d’arriver jusqu’ici. Le trajet déjà, j’ai horreur du métro, vidé au moins un tube et demi de gel hydro-alcoolique, je me sens mal moi dans le métro, je sais que y’a des gens qui pissent sur les quais, je suis sûre que y’en a qui ont même déjà léché ces affreuses barres où on doit se tenir, ah c’est horrible. Le calvaire pour venir. Les gens me regardaient. Oui, en plus de toute cette saleté faut supporter les gens quand on va dans la rue. Presque vidé mon tube de calmants. Maintenant je vais devoir laver mes chaussures en rentrant, les habits ça va ce n’est pas compliqué mais les chaussures ça les abîme la machine à laver, je vais peut-être devoir en racheter, et les chaussures c’est compliqué de les acheter par internet parce que c’est quand même mieux de les essayer, sinon y’a des risques d’avoir des ampoules ou des cors aux pieds, ou même si la chaussure respire mal les pieds qui gonflent et qui sentent. Oui, il faudra ressortir pour acheter des chaussures. Si au moins cette porte n’était pas jaune ça n’aurait pas été pour rien. Même la poignée. Tout ça pour repartir, ce chemin éprouvant et même avant, quand il a fallu se décider à partir, enfin se décider d’aller voir quelqu’un. Ça fait longtemps, moi je m’habitue, après tout il faut au moins ça, ce n’est pas ma faute il y a des choses que je ne supporte pas, mon entourage ne comprend pas vraiment, d’ailleurs on finit par n’avoir plus d’entourage. C’est ma mère, parce qu’elle, elle me quittera pas, enfin pas volontairement, elle me l’a dit : « bon maintenant ma fille, ça suffit, faut que tu te fasses soigner ». Soigner. Je ne suis pas malade. Enfin j’espère que non. Non, non ça va. Je sais bien que je n’agis pas comme tout le monde, que les autres ne vivent pas comme ça, mais c’est vraiment une maladie ? Enfin, un trouble, un trouble. Pas de maladie. Puis ça s’enlève ? Enfin, ça se soigne ? Donc c’est une maladie. Non, non, pas de maladie, pas de microbes, de virus, de bactéries, non, non ce n’est pas vraiment une maladie. Il paraît que c’est dans ma tête. Très cons ceux qui disent ça. La grippe c’est dans ma tête ? Et Ebola ? Et les psychopathes ? Et les pigeons ? C’est sale que dans ma tête peut-être les pigeons ? Pourquoi ils ne comprennent pas ? C’est vrai que c’est un peu gênant au quotidien mais je vois pas comment ça pourrait être autrement, on ne peut pas éliminer toutes les maladies possibles, tous les sociopathes potentiels, tous les animaux dangereux, ce n’est pas possible. Alors faut faire attention. C’est normal, un peu gênant mais normal. Maman dit que ce monsieur peut m’aider à ce que ce soit moins gênant. Je vois bien qu’elle s’inquiète pour moi et qu’elle a de la peine, alors je veux bien faire un effort, la rue, le métro, les chaussures, j’ai déjà pris pleins de risques, j’arrive ici je suis plutôt fière d’avoir traversé tout ça sans faire de malaise, ou de crise cardiaque, ou d’hyperventilation, ou de crise de panique ou … ça va. Je pensais qu’une fois arrivée ça irait, ces gens-là sont des sortes de médecins, on peut avoir confiance, ça doit être propre chez eux, et rassurant. Et il faut que celui-là ait une porte jaune. Je veux bien faire des efforts mais toucher une porte jaune c’est au-dessus de mes forces. Je ne supporte pas le jaune. C’est, horrible. Alors je suis coincée là devant cette porte, avec derrière la rue, le métro, les clodos, les violeurs, les rats, les pigeons, les maladies, les crocodiles, les ours, les ascenseurs, les chiens enragés et les mille-pattes, je ne veux pas rester là, c’est potentiellement dangereux, je ne sais pas qui habite dans cet immeuble, on peut croiser n’importe qui dans un hall d’immeuble, oui mais devant moi c’est jaune. Je n’ai même pas de gants pour, oh, misère. Ce n’est peut-être pas une maladie mais c’est vrai que c’est un peu gênant.
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