1- Triton : la prison
Entouré de sa sempiternelle garde de deux soldats, Noway entra dans ses appartements après ses deux heures d’entraînement matinal quotidien.
- Le repas sera servi dans quinze minutes, l’informa l’IA domestique, comme tous jours à midi moins le quart.
- Je sais pas pourquoi ils s'obstinent à la laisser brancher, je suis sûr qu'il l'entend même plus, râla l'un de ses geôliers.
- J'en sais rien, répondit le second. Peut-être qu'ils espèrent qu'il va finir par se réveiller.
- Franchement Luca, j'aimerais bien. J'en ai un peu ma claque de jouer les nounous. Mais j'y crois pas trop.
Son comparse rit doucement tandis qu'ils conduisaient Noway jusqu'au seuil de la salle d'eau.
- Allez ! C'est l'heure de la douche, dit-il en entrant pour ouvrir le robinet.
- Et pense à te savonner, renchérit Marco.
Les deux soldats sortirent de la salle d'eau en laissant la porte entrebaillée. Marco affichait toujours une moue dépitée.
- Allez Marco, ça pourrait être pire. On pourrait être sur un de ses foutus vaisseaux qui servent d'appâts aux Morkims...
Pendant ce temps-là, Noway, à l'abri de la pluie de gouttelettes de la douche, se donnait quelques minutes de répit. Il abandonna le masque d'indifférence et le regard vide qu'il arborait du soir au matin. Il grimaça, se força à sourire en observant son reflet déformé dans le chrome du pommeau.
Je suis en train de devenir un robot, songea-t-il.
Il était enfermé ici depuis dix mois treize jours et quatorze heures, s’il ne s’est pas perdu dans son décompte. Il était bien traité, ses conditions de vie se révélaient plus confortables qu’elles ne l’avaient jamais été. Pourtant, il aurait donné tout le confort de ces six derniers mois pour entendre une voix aimée ne serait-ce qu'une minute, pour sentir le sable sous ses pieds et le vent ébouriffer ses cheveux.
Ses appartements avaient beau être spacieux, ils n'en restaient pas moins une prison, voire un tombeau s'il ne réussissait pas à s'échapper.
Une fois propre, il coupa l'eau. Un jet d'air pulsé le sécha. il reprit son air de statue et attendit, debout et nu dans la douche.
Un instant plus tard, la voix de Luca se fit entendre derrière la porte.
- Noway, sors de là et habille-toi.
Alors, seulement, il s'exécuta. Quelques minutes plus tard, la porte s'ouvrit et ses deux "nounous" l'escortèrent jusqu'à la salle à manger. Marco lui tira une chaise.
- Assieds-toi, Noway.
Leur trois repas se trouvaient déjà sur la table.
- Voulez-vous que je vous fasse la conversation ? lui demanda l’IA.
- Bon, comment elle s'appelle déjà ? s'agaça Marco.
- Pria.
- Pria, te fatigue pas, allume l'holoécran !
- Bien monsieur, lui répondit-t-elle de sa voix de speakerine. Quel programme désirez-vous ?
- Mets-nous "Amours en orbite", c'est marrant, lui enjoignit Luca.
- Tu déconnes, c'est pourri ! s'insurgea Marco.
- C'est ça ou un documentaire à la con sur les espèces terriennes disparues, grimaça Luca en jetant un coup d'oeil à Noway.
En effet, sur les ordres d'Aédé, celui-ci n'avait accès qu'à très peu d'informations concrètes sur ce qui se passait à l'extérieur.
- Ah oui, c'est vrai, quelle plaie ! Va pour "Amours en orbite" alors, abdique Marco.
- Mange Noway, intime Luca.
Celui-ci, qui jusque-là, avait gardé le regard fixé sur un point indéterminé et les mains sagement posées sur ses genoux, se saisit de ses couverts et se mit à manger. Il espèrait que cette conversation allait se poursuivre et qu'il pourrait glaner de nouveaux éléments.
Cependant, Marco et Luca demeurèrent silencieux. ils mangaient, absorbés par ce qui se déroulait sur l'holoécran.
Alors, pendant que l’intrigue sentimentale entre le gouverneur de la station orbitale et une jeune femme de basse extraction battait son plein, Noway s'autorisa à décrocher. Seules ses pensées pouvaient s'évader de sa cage dorée.
Comme souvent, son esprit s'envola porté par les ailes de ses souvenirs. Il revit le terrible affrontement de son clan avec les zombies, celui où son meilleur ami avait trouvé la mort et où lui-même et Kaly furent été grièvement blessés. Ce jour-là, leurs vies avaient définitivement basculées. Noway l'avait appris juste avant d'être séquestré sur Triton. Les créatures qu'ils appelaient zombies étaient en fait des Morkims, des monstres venus du fin fond de l'espace. La moindre blessure qu'ils infligaient à un être humain se révèlait mortelle car porteuse d'un vecteur de mutation génétique qui détruisaitt l'organisme. Contre toute attente, Noway et Kaly avaient survécus. ils étaient devenus sans le savoir les plus précieux cobayes de l'humanité.
Il était loin de pouvoir imaginer cela lorsqu'il avait fui son clan et finit par atterrir sous Bulle 2. Comment aurait-il pu se douter qu'il affronterait à nouveau des Morkims, dans le spectacle le plus prisé des Bullites : le Dernier Cercle ou autrement dit, l'orchestration de la mise à mort de gens comme lui, du Dehors. Lors de ce dernier affrontement, tous les gens qu'il aimait, se trouvaient dans l'arène, prisonniers : Kaly, sa soeur, Téodime et Hélio. Les combattants de toutes les équipes s'étaient ligués pour tenter de sauver les otages. Beaucoup l'avaient payé de leurs vies.
À l'écran, la jeune Cassandra couvrait d'avanies le Gouverneur pour sa lâcheté car il refusait d'assumer leur idylle au grand jour, ce qui déclencha les rires de ses deux geoliers.
Noway lui, resta impassible pourtant il était triste. Un prénom hantait son esprit : Alka, la jeune femme bullite qui lui avait redonné espoir, qu'il avait aimé pour sa folie et son courage.
Le Colonel lui avait dit qu'Alka était sa marionnette de bout en bout et affirmé qu'elle était morte. Il l'avait aussi informé que sa soeur Kaly, Hélio, Feng et William étaient retenus prisonniers sur Vénus. Il ne lui avait rien dit d'Ariel.
De toute façon, Noway n'accordait presqu'aucun crédit à ce que cet homme lui avait raconté. Le Colonel Aédé avait montré qu'il excellait dans la manipulation des autres et ne lui avait révélé certainement que ce qui l'arrangeait voire lui avait menti de manière éhontée.
- Cet épisode est fini. Souhaitez-vous en visionner un autre ? demanda l'IA interrompant ses réflexions.
Les soldats répondirent par l'affirmative. Alors que le générique retentissait, il replongea dans ses pensées.
Au fur et à mesure des jours passés dans cette prison dorée, il s'était éteint. Il avait cessé de discuter avec l'IA. Puis, il avait arrêté de suivre activement son programme d'entrainement quotidien. Son visage s'était figé en une moue d'éternelle indifférence sous un regard atone.
En apparence, il semblait frapper d'une grande mélancolie. En apparence, seulement.
Depuis le début de sa détention, il était constamment accompagné de deux soldats pour prévenir toute tentative d'évasion ou de suicide, supposait-il.
Ses geoliers ne lui adressaient pas la parole et ne discutaient pas entre eux, au début. Noway n'avait donc aucune chance d'obtenir la moindre information. Il avait alors jouer son unique carte, il avait fait mine de déserter son corps dans l'espoir d'endormir la défiance de ses gardiens et d'Aédé.
Accroché à sa promesse silencieuse d'essayer coûte que coûte de retrouver les siens, il avait attendu patiemment que les soldats se détendent. Depuis quelques semaines, ses efforts commençaient à payer, même Aédé pourtant extrêmement méfiant au départ, s'était montré plus prolixe, lors de sa dernière visite.
Noway avait ainsi appris que la première fournée de ses clones arriverait à terme, ce mois-ci. Un soldat s'était étonné de la vitesse de fabrication, quelques mois pour obtenir des spécimens adultes, cela lui semblait extrêmement rapide. Aédé lui avait alors expliqué, d'un ton condescendant qu'il ne s'agissait pas d'êtres identiques à Noway. Ils partagaient son code génétique et présentaient une apparence physique grossièrement similaire mais compte-tenu de l'urgence, leur développement intellectuel avait été réduit au strict minimum. Le colonel avait laissé échappé un petit rire tandis que dégoûté, Noway mobilisait toutes ses ressources pour garder son rôle de pantin.
Noway savait désormais que la prison était équipé d'un petit astroport uniquement destiné à de petits vaisseaux appelés glisseurs qui couvraient de petites distances. Chaque mois, ces glisseurs faisaient la navette jusqu'à un plus gros qui amènait les denrées vitales et les soldats venant prendre leur quart.
Depuis, il continuait de glaner des informations et cherchait un moyen de pouvoir embarquer sur cet engin, sans se faire prendre évidemment.
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