10- Terre : Hélio
Au petit matin, ils sont en place aux environs de la porte d'où les milices sortent pour commencer leur sale besogne.
Kaly, Hélio et leurs alliés se sont octroyés deux semaines pour se préparer.
C'est tellement peu, songe Hélio.
- Tu crois qu'on peut y arriver, lui demande Cendra, postée à ses côtés.
La voix de la jeune femme transpire la peur.
- Oui. Concentre-toi sur ce que tu as à faire et ça ira, lui répond-t-il d'une voix qu'il veut posée et affirmée.
Ils sont aussi prêts qu'ils pourraient l'être compte-tenu de leur peu de moyens. Leur plan est simple, le gros de leur troupe va attaquer les escouades de soldats tandis qu'un petit groupe essaiera de s'infiltrer dans Bulle tant que la porte est ouverte. Leur seul avantage est leur nombre. Les gardes seront une cinquantaine, ils sont presque cent cinquante. Pourtant, cette offensive reste une folie, presqu'un suicide. Tous ceux qui se sont portés volontaires le savent, ils ne reviendront sûrement pas, surtout les attaquants.
Hélio cherche Téodime, il aperçoit sa silhouette à quelques dizaines de mètres. Kaly et Hélio en ont longuement discutés avant d'accepter qu'il se joigne à l'assaut. Ils ont fini par céder car Kaly était convaincue qu'il viendrait, qu'on le lui accorde ou non. Il fait partie du groupe des infiltrés, celui d'Hélio. Kaly sera dans la troupe des attaquants. À cette pensée, la gorge d'Hélio se noue. Il sent le poids du regard furieux de Noway sur son front.
Elle m'a dit que tu n'aurais rien pu faire non plus pour la dissuader, mec ...
Sans aucun signe précurseur, un large pan de mur commence à coulisser lentement, laissant apparaître les entrailles de l'enceinte en béton qui ceinture Bulle. La respiration d'Hélio s'accélère.
Des soldats bien alignés sortent en marchant au pas cadencé. Ils se ressemblent tous, cachés sous leur casque et leur combinaison grise. Ils avancent sur la place en forme de demi-cercle. Des gens y errent comme tous les jours. Parmi eux , se trouvent quelques alliés d'Hélio qui traînent là depuis des jours afin de ne pas éveiller les soupçons le jour J, aujourd'hui. Le plus grand nombre est caché dans les bâtiments environnants. Ils y sont arrivés progressivement et le plus discrètement possible pour échapper à la surveillance des drônes.
Tous doivent attendre le signal de Kaly pour débuter l'assaut. Il faut attendre qu'une bonne moitié des soldats ait franchi le portail.
Fébrile, Hélio a une dernière pensée pour William et Feng. Que ne donnerait-il pas pour avoir les deux féroces combattants à leurs côtés ? Il imagine les voir surgir, tout sourire, armés jusqu'aux dents lui annonçant qu'ils n'ont pu se résoudre à les laisser derrière.
Ils devaient partir. C'est ce qu'il fallait faire, se répète-t-il en boucle, à quoi bon tous mourir aujourd'hui ?
Envahi de sentiments mêlés de rage et de peur, il serre les poings. Il faut qu'ils y arrivent, il faut entrer dans B2 et au moins faire trembler MAGIE de l'intérieur.
Le sifflement de Kaly traverse l'atmosphère, l'arrachant à ses réflexions. Un instant après, des hommes et des femmes armés au mieux d'épées et de poignards, au pire de bâtons et de pierres, prennent d'assaut les escadrons. Les Bullites, loin de s'affoler, activent leur bouclier de protection et subissent les premières vagues sans même riposter. Petit à petit, ils sont submergés par le nombre d'assaillants. Quelqu'uns tombent. C'est comme un signal silencieux, les autres se mettent à tirer dans le tas.Des dizaines de corps s'effondrent en quelques minutes seulement.
Hélio, qui ne s'est pas engagé dans la bataille, fulmine. Il doit contourner les combats pour se glisser par le portail encore ouvert. Il s'oblige à avancer en prenant soin de ne pas regarder les affrontements mais il les entend. Il entend les cris de ses amis qui tombent ... C'est un carnage, il le sait. Il doit mobiliser toute sa volonté pour ne pas se jeter dans la bataille. Kaly le lui a fait promettre, comme à tous ceux qui doivent se faufiler entre les mailles du filet. Quoiqu'il se passe, il ne doivent pas faire demi-tour.
Du coin de l'oeil, ils vérifient que ses infiltrés suivent. Ils croisent quelques regards torturés qui disent combien c'est difficile pour eux aussi. Hélio cherche encore, il n'a pas vu Téodime. Il le repère enfin, à la traîne. Immobile derrière un semblant de muret, l'adolescent a les yeux rivés sur les combats.
- Non Téodime, ne fais pas ça, murmure Hélio entre ses dents. Rappelle-toi, tu as juré, toi aussi....
Soudain l'adolescent s'élance droit vers la mêlée.
- Et merde, jure Hélio en portant son regard sur la bataille.
Une défaite cuisante. Le jeune homme aperçoit Kaly au milieu des soldats. Elle parait balayer du regard le théâtre des affrontements. Peut-être cherche-t-elle les siens qui sont désormais, si peu ?
- Kaly, derrière toi ! l'avertit Téodime avant de se jeter sur un soldat.
Kaly se retourne échappant de justesse à la capture. Un âpre combat au corps à corps s'engage entre elle et son assaillant. Téodime se trouve aussi en mauvaise posture. Touché par un tir à la jambe, il a réussi, on ne sait comment, à désarmer le soldat qui l'a blessé. Inconscient, le jeune homme se débarrasse du fusil pour faire face au soldat. Ce dernier en pleine possession de ses moyens vient facilement à bout de ses parades défensives. Les coups pleuvent sur l'adolescent.
C'en est trop pour Hélio. D'un geste, il intime à sa troupe de continuer d'avancer avant de se porter au secours de Téodime.
Par chance, personne ne s'interpose avant qu'il n'atteigne son objectif. Il ramasse le fusil abandonné là.
- Téodime, couche-toi ! crie-t-il.
Alors que le garçon se laisse tomber au sol, il tire à bout portant. L'adversaire, protégé par sa combinaison, vacille mais ne tombe pas. Hélio tire à nouveau. La combinaison crépite, le soldat est toujours debout.
- Vise la gorge, entend-il une lointaine voix féminine.
Le jeune homme s'exécute. Il garde le doigt appuyé sur le bouton jusqu'à ce que son opposant soit étendu, sa combinaison parcourue d'étincelles. Les paumes brûlées, Hélio lâche aussitôt le fusil.
- Téodime, appelle-t-il.
L'adolescent est toujours étendu face contre terre. Il faut qu'il se lève, d'autres miliciens approchent. Hélio arrache un pan de sa chemise pour protéger ses mains abîmées puis sort son épée, même s'il sait qu'il ne pourra rien ainsi équipé face à un fusil. Tant pis, avec un peu de chance, Téodime pourra s'enfuir avant qu'il ne succombe. L'arme se lève, le canon pointé droit sur lui.
- Allez tire, espèce de lâche ! lâche-t-il en une ultime et dérisoire bravade.
Il croit presque entendre l'imperceptible clic d'enclenchement. Il lui semble même voir le projectile partir. Pourtant rien, il est indemne. Téodime ne s'est pas enfui. Il s'est jeté entre la balle et Hélio. Abasourdi, ce dernier regarde le corps gisant de son protégé puis le soldat qui s'apprête à faire feu.
- À terre, lui crie Kaly qui parait arriver de nulle-part.
Il s'aplatit au sol pendant qu'elle percute le soldat pour dévier son tir. Celui-ci n'a pas le temps de se redresser qu'elle lui plante son épée dans le cou, avec un cri féroce. La combinaison disparaît tandis que la lame continue sa course mortelle.
Hélio et Kaly se retrouvent tous les deux à plat ventre entre les cadavres du soldat et de ...
- Téodime ? murmure Hélio.
- C'est trop tard pour lui. Tu dois partir Hélio. Tout de suite. Je vais te couvrir, le presse-t-elle en saisissant le fusil de sa victime.
- Mais ... ?
Kaly l'arrête d'un regard menaçant.
- Je refuse de mourir pour rien, tu m'entends ? À mon signal, cours sans te retourner ! lui ordonne-t-elle d'une voix si impérieuse qu'il se sent gifler.
Soudain, elle se redresse.
- Maintenant, crie-t-elle en commençant à tirer.
D'un bond, il se lève et s'élance vers Bulle tandis que Kaly, elle, court vers sa fin.
Les larmes brouillent la vue du jeune homme. Tenaillé par la peur d'être fauché à tout moment avant d'avoir atteint son objectif, il jure à chaque foulée que s'il réussit à franchir cette porte vivant, il fera sauter cette bulle et toutes les autres. Une balle lui atteint le bras, il la sent à peine. Il se rapproche. Son flanc le brûle, il s'en fiche, il peut encore courir. Il peine à respirer. Peu importe, il vient de franchir la porte. Il a tout juste le temps de se cacher dans un angle de mur qu'un nouvel escadron apparaît pour aller finir leur sale boulot.
Hélio s'écroule. Il est entré. À bout de souffle, il essaie de réfléchir à la suite en éloignant ses pensées de ceux qu'il vient de perdre. Il porte les mains à son flanc retenant un gémissement de douleur. Ses paupières se ferment quelques secondes comme si les clore pouvait l'aider à étouffer la douleur.
Je ne peux pas mourir maintenant ! Je refuse !
Il ouvre à nouveau les yeux pour les poser sur ses mains ensanglantés. En silence, il prête un serment désespéré. Il survivra jusqu'à que cette Bulle explose. Il le jure à Kaly, à Téodime, à tous ceux qui sont tombés.
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