26- Le Lupanar (2/2)
- En effet, je ne suis pas d'accord ! déclara Hélio, les yeux brillants de révolte, en se levant pour faire face à la tenancière. Et je ne comprends pas comment vous pouvez cautionner cela ?
- Nous devons nous résoudre à sacrifier des innocents si nous voulons avoir une chance qu'un nouveau monde advienne, riposte Ma.
Pourtant elle fuit le regard de feu du jeune homme. Lia sait qu'elle n'a jamais été à l'aise avec la vision du conflit de ceux qui ont pris la tête du réseau de manière très autoritaire. Depuis que ceux qui se font appeler le Cercle ont pris le pouvoir, plus aucune voix discordante n'est admise. Pourtant, certains contestent encore sous cape les actions violentes et meurtrières organisées sou l'égide de leurs meneurs. Ma en parle rarement mais elle regrette toujours amèrement de les avoir laissé emmener Saul. Son visage s'assombrit à chaque fois qu'on évoque le fait que s'il appartient désormais au Cercle, c'est qu'il est sûrement en accord avec la voie choisie.
Lia est convaincue que faute de meilleure alternative, sa patronne préfère se taire à défaut de pleinement y adhérer. La jeune femme elle, est convaincu que la violence et la destruction sont les pavés de l'unique chemin possible vers la liberté. Les Bullites ne sont que des caricatures d'êtres humains, c'est presque un acte de clémence de les arracher à cette vie.
- Et puis Ma te l'a expliqué, nous choisissons avec soin nos cibles : nous attaquons les Optimems dont dépendent des Bullites qui, privés de leurs séances, pourraient afflaiblir le système mais qui pourraient nous servir s'ils se réveillaient ! ne peut-elle s'empêcher de renchérir.
- Est-ce que le système s'est affaibli depuis que vous perpétrez ces attentats ? Je n'en ai pas l'impression ! est-ce que je me trompes ? réplique le jeune homme d'une voix tranchante.
Ma secoue piteusement la tête.
- Est-ce qu'un seul Bullite s'est réveillé ? continue-t-il.
Les deux femmes échangent un regard en silence.
- Alors ? les presse-t-il.
- Pas que nous sachions, avoue la jeune femme. Mais ni moi, ni Ma ne gravitons dans les hautes sphères du Réseau. Peut-être que c'est le cas et qu'ils préfèrent le taire...
- Vraiment ? Ils ne partageraient pas une si bonne nouvelle... Ces attentats sont ignobles d'inutilité !
- Comment oses-tu dire ça ? s'insurge Lia.
- Pourquoi n'oserai-je ? s'énerve-t-il en faisant un pas vers elle. C'est quoi ce Réseau de combattants pour la liberté qui musèle ses partisans ! Je suis libre, tu m'entends ! Et si c'est cela qui menace l'intégrité du Réseau, il mérite de péricliter !
- Ils avaient raison, tu veux semer la discorde ...
- Non ! j'adhère à l'idéal qu'ils prétendent défendre pas à leur façon de faire, ni aux moyens déployés. Et je ne me taierai pas et je ne me cacherai pas !
- Ah oui ! Et t'as une meilleure idée peut-être ?
- Oui, je crois, lui répond-il, l'air résolu. Mais d'abord, je dois sortir Saul de là.
Lia interloquée dévisage Hélio puis Ma. Il a l'air de vraiment croire à ce qu'il dit et sa patronne réputée pour son caractère de lionne, se contente de le regarder sans un mot.
- Ma ! Dis quelque chose... l'enjoint Lia, en lui serrant le bras.
- Quelle voie proposes-tu ? demande la tenancière au jeune homme.
Hélio l'observe d'un air dur.
- Si je vous le dis, vous le répéterez à vos chefs qui s'empresseront de dénigrer mes propos de peur que le pouvoir ne leur échappe, lui répond-il d'une voix amère. Vous êtes convaincues du bien-fondé de vos actions, continuez donc et ne vous préoccupez pas de moi.
Comment ose-t-il parler ainsi à Ma ? Elle qui a protégé tant de gens dont Saul.
- Et pour Saul ? tu comptes te débrouiller tout seul aussi ? l'interroge-t-elle.
- Vous allez me dire où il est, annonce-t-il sur un ton froid. Ensuite, j'irai le chercher.
- Et pourquoi ferions-nous ça ? le questionne-t-elle, ravie de le mettre au pied du mur.
Lia est clouée sur place par le regard d'Hélio, plus sombre que jamais.
- Ne m'obliges pas à...
- À quoi ? le coupe Lia partagée entre la colère et la déception. À nous tabasser ?
- Il est chez ma soeur, avoue soudain Ma sous le regard médusé de sa protégée. Mais ils ne te laisseront pas l'emmener.
- S'ils refusent, je mettrais un point d'honneur à faire voler en éclat leur belle organisation. Je suis peut-être un abruti d'idéaliste mais je crois que j'ai prouvé par le passé que je peux me montrer très convaincant.
- Tu peux pas faire ça ! s'indigne Lia. Tu connais l'importance de notre combat !
- Crois-moi, c'est pas l'envie qui me manque. La chute des Bulles est une priorité alors je me retiendrai s'il le faut, mais je ne me soumettrai à l'autorité de personne !
- Il a raison Lia, entérine soudain Ma, au grand désespoir de la jeune femme. J'ai trop longtemps baissé la tête... Il est temps pour moi que je suive mon coeur et mes convictions. Je n'aurais jamais du les laisser emmener Saul ... se servir de lui.
L'air soudain très las, la matronne soupire avant d'aller se laisser tomber dans le seul fauteuil assez large et assez solide pour accueillir son opulence.
- Je comprends ta défiance mon garçon. Cependant, je suis prête à t'aider pour Saul. Il pourra venir ici.
- Mais Ma, ils viendront le reprendre, tu le sais ! s'énerve Lia.
- Alors, nous devrons admettre ce qu'Hélio vient de dénoncer, que personne n'est libre dans cette organisation qui dit se battre pour la liberté de tous les HC. Et nous nous défendrons !
- Une guerre fratricide ! C'est ça que vous allez provoquer, s'écrie Lia écoeurée.
Ma se lève affichant soudain un air résolu. Elle s'approche pour faire face à Lia. Elle plante ses yeux pleins de force et de bonté dans ceux de la jeune femme puis lui saisit doucement les mains.
- Je suis désolée, ma grande, commence -t-elle en lui adressant un tendre sourire empreint de tristesse.
- Pourquoi Ma ? souffle la jeune femme dont le coeur se serre d'angoisse.
- Car je sais que tu as mis tous tes espoirs, toute ta belle énergie au service de ce réseau... Adhérer à cette cause t'a donné une raison de vivre. Je suis navrée de ne pas pouvoir partager ton enthousiasme plus longtemps. Je t'aime beaucoup mais il est temps que tu t'en ailles maintenant. Mieux vaut que tu n'entendes pas la suite de cette conversation. Va retrouver tes amies à l'étage.
- Quoi ? s'écrie Lia outrée. Tu ne me fais pas confiance , c'est ça ! Tu crois que je vais aller tout répéter, que je pourrais te trahir !
- Ose me dire que cela ne t'a pas traversé l'esprit, réplique sa patronne d'une voix douce mais ferme.
Lia, tout en baissant les yeux, tente de se défaire de l'emprise des mains de Ma, sans y parvenir.
- Si, avoue-t-elle dans un souffle. Mais cette idée est morte aussitôt qu'elle est née. Jamais je ne pourrai faire quoi que ce soit qui te nuise.
- Je le sais, vois-tu. Je veux que tu t'en ailles et que tu rejoignes un lieu où tu ne seras pas seule, pour te protéger. Ainsi, tu auras des témoins qui prouveront que tu n'es pas impliquée dans ce que nous allons décidé de faire.
Annotations