Chapitre VI

3 minutes de lecture

La Décadence d’un Prince

- Royaume de Lenk -

Maintenant

***

Shadar garde ses paupières closes, l’oreille concentrée sur la respiration d’Ayela, enveloppée de nudité satinée. IL se remémore leur étreinte fougueuse. Il avait d’abord retenu ses émotions, refoulé la tentation d’écarter la princesse et de s’éclipser pour fumer enfin sa poudre.

Mais entre chaque baiser, son envie d’étoiles était revenue le harceler. Ses émotions s’étaient peu à peu enchevêtrées en un amalgame de haine, de désir, de rage et de peur.

Alors avait-il abdiqué. Alors ses mains avaient-elles empoignées la fille par les cheveux et, impuissant à retenir son agressivité, l’avaient retournée et plaquée au lit. Alors avait-elle subit ses assauts moites et bestiaux, sans chercher à le repousser. Alors s’était-il retiré, après un dernier coup de reins, avant de choir sur le côté.

Shadar attend encore quelques minutes, puis, n’y tenant plus, se glisse hors du lit. Il se sent fébrile. Son coeur bat un rythme capricieux, prompt à l’angoisser. Les émotions se bousculent dans sa tête et son corps. Une rage gagne ses poings par soubresauts, une frayeur infondée écarquille ses yeux, une inquiétude irrépressible tord ses tripes, et des tremblements incontrôlés parcourent ses muscles. De sombres souvenirs piquent ses yeux, embrouillent son esprit.

Pieds nus, et pour seul vêtement une chemise de nuit en soie, le prince quitte la chambre sans refermer la porte. Il ne veut pas réveiller l’endormie.

De quelques pas pressés il gagne un buffet de bois sombre. Une flamme bleue consume une bougie de cire au miel de lavande, garnie de pépites de cuivre.

Shadar entrouvre le second tiroir, glisse une main experte à l’intérieur et, d’un geste connu de lui seul, récupère une clef en forme de trèfle d’une obscure cache.

Il pose ensuite sa main gauche contre un ornement en forme de trèfle, dévoile au dégagement de la quatrième feuille une serrure à secret, et y enfile la clef. Un tour sur la droite, deux tours sur la gauche. Shadar appuie sur la clef et la serrure répond par un cliquetis sourd. La bordure ornée d’un entrelacs de trifolium se découpe et projette en avant un compartiment jusque là invisible.

Shadar retient son souffle, de peur d’avoir réveiller Ayela. Ne percevant aucun bruit, il fait coulisser le couvercle et récupère le contenu: un sachet de coton sale, et trois larges pétales de lyscalla séchées.

Le prince peste contre ses tremblements, humidifie le bout du pétale et se concentre pour le rouler en cône. Que doit-il faire ensuite ? Son esprit embrumé se porte vers la fenêtre à guillotine. Il remarque sa peine à respirer et va entrouvrir le battant, puis regarde le cône entre ses doigts et se souvient.

De retour devant le buffet, il ouvre le sachet et verse la Poudre d’Etoiles à l’intérieur du pétale. Enfin, il approche le cône de la bougie.

– Shadar!

Une main enserre son poignet et retient son geste. Ayela.

Le prince ne l’a pas entendu. Depuis quand est-elle réveillée? Elle est vraiment belle, habillée de rien. Peut-importe, il veut sentir l’extase de la Poudre, il en a besoin, désespérément.

Ayela lui retire le pétale et recule, le poing fermé sur la drogue.

La colère chauffe les veines du prince. Ses yeux rougissent. D’un geste brusque il attrape son bras, commence à écarter ses doigts.

– Arrête, tu me fais mal!

Shadar sert les dents. Il sent la haine monter de son ventre, oppresser ses poumons. Mais que fait-elle, cette garce? Elle dessert enfin sa poigne. Il récupère son précieux et repousse Ayela.

– Shadaaar!

Le prince embrase la poudre et inspire une longue bouffée de drogue, oublieux de son environnement. Mais Ayela lui arrache le cône des lèvres, court vers la fenêtre et jette l’objet de son aversion.

Les yeux de Shadar se révulsent. Gagné par une rage folle, il bondit, agrippe la chevelure rivale et cogne la tête contre la vitre.

Une fois.

Un cri.

Deux fois.

Un cri en continu.

Trois fois.

Le verre se brise sous l’impact. Une pointe tranche la jugulaire, propulse le sang contre les débris, tache les boiseries et souille le visage du prince.

En état de choc, Shadar relâche la princesse et reste statufié. Le corps tressaille puis, inerte, glisse à terre, macule le sol. Une troisième seconde s’échappe et coule le long du mur extérieur. Rouge de honte, elle poursuit le tracé par un sang frais.

Dans son esprit, réalité et souvenirs s’entrechoquent, déforment l’instant présent. Que c’est-il passé? Que doit-il faire? Shadar observe une forme sombre s’élever du cadavre. L’ombre plaque un regard sans yeux sur lui et s’écrie:

– Regarde ce que tu m’as fait!

Terrifié, Shadar ouvre grand la fenêtre. Il agrippe le rebord, s’entaille les mains et prend la fuite.

Il court sans destination, pressé par la terreur. Il n’ose se retourner, certain d’être poursuivit par l’esprit de cette affreuse femme.

Rouge de sang et noir de peur, le Prince Shadar o’Lenk se perd dans l’encre de la nuit.

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