introduction
Les gens ne quittent pas la ville.
On aime souvent comparer une mégapole au coeur de son pays et la Ville avait tout d’un coeur comme d’une mégapole. Siège politique, stabilité économique, population croissante et une agitation vibrante à toute heure du jour et de la nuit ; on aurait eu une cité avec laquelle la comparer, la Ville l’aurait surpassée en tout point. Oui, la Ville avait la prestance et l’activité continuelle d’un coeur ; un muscle vital, indispensable, mais qui nécessite un certain apport sanguin pour d’une part fonctionner, et pour d’autre part justifier son existence. C’est pourtant de ce second point que naissent les premières interrogations sur la Ville. Alors qu’elle est approvisionnée depuis l’extérieur, la nature de ces transactions est un sujet impopulaire, la provenance des convois une évidence superficielle.
(D’où viennent-ils ? Dehors.
Mais où, dehors ? Là où on trouve ce qu’il faut.)
Depuis l’intérieur, le reste du pays n’est que le morceau d’une carte, la montagne est un mur infranchissable, la mer une ouverture sur le néant, les campagnes des terres inexplorées. L’horizon ? L’arrière plan d’un tableau. Rien de plus.
Les gens ne quittent pas la Ville parce qu’ils n’ont pas de questions auxquelles répondre ; leur curiosité est anéantie par son grouillement permanent, son agitation perpétuelle, ses rues toujours pleines, ses commerces jamais fermés, ses foules toujours bruyantes, ses lampadaires jamais éteints. Personne ne semble trouver le temps de réfléchir en dehors de sa zone de confort. Chacun est un rouage dans l’engrenage de la machine, contribuant à son bon fonctionnement sans pourtant bien y comprendre son rôle. Chacun permet le changement, et c’est la fluctuation perpétuelle de ce qu’est la Ville qui capte autant l’attention de son peuple et qui l’empêche de remettre en cause son système. Tous, dans leur immobilité, contribuent à ce mouvement qui les paralysent.
Les gens ont cessé de s’éloigner de la zone urbaine parce qu’ils étaient trop distraits par leur propre activité pour s’interroger sur l’extérieur. Mais c’est quand la peur civile de l’inconnu s’est installée que la tradition a commencé à se perpétuer. Mythes, légendes, fables, spéculations ; les enfants se souviennent des inquiétants mystères des forêts et des montagnes du Nord, des épopées tragiques dans les mers d’eau et de sable du Sud. Beaucoup de ceux qui quittent la Ville ne reviennent pas, et ceux pour qui ce genre d’escapade est commune sont regardés d’un mauvais oeil ; on les suspecte d’être des Dissidents. En partir équivaut à mourir ou à y être considéré comme mort.
Aujourd’hui, cette règle informelle règne ; les gens ne quittent pas la Ville.
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