Postface
Les douze premières nouvelles de ce recueil ont été écrites entre 1985 et 1995, alors que j'avais entre 15 et 25 ans, à une époque où le changement climatique était considéré comme le fruit de l'imagination de quelques scientifiques, où en pensait que les éléphants et les baleines n'étaient pas vraiment en danger, où la dernière crise économique dont on parlait était celle de 1929, et où l'humanité pensait pouvoir continuer à exploiter et polluer la planète sans aucune conséquence.
Ceci explique pourquoi les "fins du monde" décrites dans ces nouvelles ne correspondent pas vraiment à celles qu'on pourrait trouver dans l'imaginaire collectif de ce début de 21ème siècle. D'ailleurs à l'époque le thème de la fin du monde n'était pas autant à la mode qu'aujourd'hui. Pour ma part, j'étais encore un adolescent puis un jeune adulte, en rébellion contre beaucoup de choses et en particulier contre un dieu que les guerres de religion et les comportements sectaires me faisaient imaginer cruel, égoïste, injuste, et que je considérais facilement comme responsable d'une éventuelle apocalypse.
Depuis le monde a bien changé, et la conscience collective commence à comprendre sa part de responsabilité dans ce qu'on considère maintenant comme un effondrement potentiellement rapide des équilibres de la planète. Les "fins du monde" décrites aujourd'hui dans les fictions s'inspirent largement de ce nouveau paradigme.
J'ai changé moi aussi, heureusement, et j'ai pu avancer sur le chemin de la vie vers plus de sérénité, et apaiser ma relation avec tout ce qui concerne la spiritualité. Je n'écrirais certainement pas, aujourd'hui, de la même façon d'éventuels récits de fin du monde. Pour autant j'ai relu avec plaisir ces nouvelles écrites il y a presque 30 ans, et je trouve justement intéressant d'observer à travers ces textes l'évolution de l'imaginaire collectif.
Quelques mots maintenant sur la genèse de ces nouvelles.
Il y a 30 ans, je n'avais pas spécialement le projet d'écrire un recueil sur le thème de la fin du monde, mais comme c'était une question qui me fascinait, elle s'invitait régulièrement et naturellement dans mes textes. Au moment où j'ai commencé à vouloir publier mes nouvelles (ce qui à cette époque signifiait envoyer une version papier d'un recueil à une maison d'édition), il m'avait semblé plus sérieux de chercher un thème commun à mes écrits : je choisissais alors de regrouper mes textes dans un recueil intitulé étrangement "clafoutis de fins du monde", dans une référence douteuse à une image pédagogique utilisée par Einstein pour expliquer le principe de l'expansion de l'univers. Je me rends compte avec le recul que l'ensemble était somme toute assez artificiel, car sur les 20 textes ainsi regroupés en chapitres selon une suite arithmétique, tous ne parlaient pas vraiment de fin du monde : j'avais cherché à remplir ce recueil de tout ce que j'avais pu écrire, et pour donner un semblant de cohérence à l'ensemble j'avais abusé des épigraphes, souvent fictifs d'ailleurs - à la manière de Borgès -, des références croisées, des allusions ésotériques, et j'avais poussé l'audace jusqu'à inclure, entre les chapitres, quelques-uns de mes poèmes. Ce projet était ensuite tombé dans l'oubli.
Pour publier aujourd'hui une partie de ces textes, j'ai donc d'abord dû dépoussiérer tout cela, enlever le maquillage inutile, sélectionner les textes en lien avec le thème, et essayer d'améliorer les textes les plus pauvres, tout en cherchant à préserver l'esprit qu'avait pu avoir, au moment de l'écriture, le jeune homme que j'étais à l'époque. Ainsi, en agençant ces nouvelles j'ai voulu conserver un peu de symétrie qu'avait le recueil original. C'est pourquoi le rôle de l'écrivain est mis en avant à la fois au début, au milieu et à la fin du recueil. De même, "le réveil" répond au "cauchemar d'Alice", et "nouveau jardin" à "une histoire de pommier". De même certains de ces textes ont été écrits à l'époque pour des amis à qui je voulais rendre hommage, et qui se retrouvent ainsi, personnages principaux et source d'inspiration de ces histoires. J'ai conservé les prénoms, et je n'ai que modifié légèrement leurs noms quand ils apparaissaient.
"Le secret de l'écrivain" ouvrait déjà le "clafoutis de fins du monde" : d'une certaine façon cette nouvelle justifie l'existence même du recueil, et annonce l'univers imaginaire dans lequel les autres nouvelles se placent. Elle propose aussi une réflexion sur la difficulté et la responsabilité du travail de création quel qu'il soit. Je soupçonne d'avoir été, pour cette nouvelle, influencé par la lecture du K, de Dino Buzzati, que je cite d'ailleurs dans le texte. Je n'ai que peu modifié la trame du texte, mais j'ai par contre fait le choix de remplacer les évènements d'actualité cités dans la première version par des évènements similaires mais plus récents... Peu de lecteurs en effet se seraient souvenu du torrent de boue qui avait dévasté des villages Chiliens après une explosion volcanique il y a 30 ans, alors que la pandémie de Coronavirus que nous traversons marquera les esprits pour quelques années.
"Une histoire de pommier" est un texte assez ancien que j'ai écrit quand j'étais encore au lycée, pour un concours d'écriture, dans lequel j'avais d'ailleurs gagné un prix (ce qui, à l'époque, se traduisait par des livres !). En le relisant j'ai pourtant trouvé qu'il n'était pas, et de loin, mon meilleur texte... j'ai essayé de retoucher plusieurs passages, d'enlever des lourdeurs, d'ajouter un peu de contenu, sans pour autant que le résultat me satisfasse vraiment. C'est peut-être le prix à payer pour avoir écrit un texte dans l'unique objectif de participer un concours : je sens bien en me relisant que je n'y croyais pas vraiment. Le thème de ce concours était d'écrire une nouvelle qui se déroule en Normandie (dans la version actuelle j'ai expurgé les passages qui me semblaient trop régionalistes !). C'est ce qui m'a fait penser aux pommiers, puis à Adam et Eve. Comme j'avais envie de parler également d'une fin du monde possible, il me fallait trouver un moyen pour relier la genèse à la fin du monde, ce qui est finalement assez facile dans une vision cyclique du temps, ou en utilisant le voyage temporel. Ceci posé, j'avais tous les éléments pour écrire cette nouvelle.
Les deux nouvelles "Le cercle s'ouvre" et "L'éclosion" illustrent la fascination que j'avais, à l'époque, pour les menhirs et les dolmens. J'avais le sentiment que ces pierres dressées devaient renfermer des secrets extraordinaires. Passionné par les légendes arthuriennes, j'étais (et je suis encore !) un grand admirateur du personnage de Merlin, en particulier tel qu'il est joué dans "Excalibur" de J. Boorman : il me semblait juste de le faire revenir dans un contexte de fin du monde. Par ailleurs, j'ai également toujours été passionné par les dragons, et la forme ovoïde de certains menhir m'avait souvent amené à les comparer à des œufs de dragon.
La mission ultime est un texte un peu plus tardif, où j'ai clairement voulu expérimenter une écriture qui rende compte de la multiplicité des choix possibles de scénarii, telle que J. L. Borgès la décrit dans "Le jardin aux sentiers qui bifurquent ". Il y a donc, à partir d'un unique chapitres 1, plusieurs chapitres 2, 3 et 4 qui proposent des versions différentes d'une même histoire. Le lecteur est libre de choisir celle qui lui convient le plus. Je me rends compte aujourd'hui que le résultat n'est pas très différent des "livres dont vous êtes le héros" dont j'étais friand lorsque j'étais jeune adolescent...
"Le cauchemar d'Alice" et "Le réveil" se ressemblent et illustrent tous les deux l'idée finalement très classique d'un univers rêvé par un Dieu. De façon générale, le thème du rêve est assez présent dans plusieurs autres nouvelles, et traduit certainement les questionnements que je pouvais avoir à l'époque sur la réalité de ce que la société considère comme réel, un thème qui continue à alimenter mes réflexions et mes écrits. On peut remarquer que dans ces deux nouvelles, comme dans "le dernier grain", c'est un Dieu finalement plutôt sympathique qui est présenté, même si il n'est pas forcément du côté de l'humanité. A contrario, "Le témoin" présente l'image d'un Dieu égoïste, peu cohérent avec les valeurs mises en avant pas les religions. Il rend bien compte de l'image que je pouvais en avoir à cette période de ma vie : j'étais révolté par les atrocités des guerres de religion passées et présentes, et par l'hypocrisie de certains religieux, et j'attribuais au Dieu de ces religions la responsabilité de ces atrocités.
Dans la version originale de "le réveil", le personnage de Dieu était genré au masculin. A cette époque, formaté par une société patriarcale, je n'avais pas encore pris conscience des enjeux du féminisme ni de la richesse des questions de genre. J'ai beaucoup avancé depuis sur le chemin de la déconstruction et des luttes contre les discriminations quelles qu'elles soient, et je n'ai pas résisté à l'envie de genrer différemment Dieu dans cette nouvelle très courte. Pour un être complet, créateur supposé de tout l'univers, il m'a semblé plus logique d'utiliser un neutre qui englobe et dépasse le masculin et le féminin. La langue française ne propose pas encore pour l'instant de règles claires et précises pour le neutre inclusif, j'ai utilisé des règles qui sont largement appliquées dans mon cercle associatif : le pronom "iel", qui donne "ellui", et l'accord "é·e". Je m'excuse auprès des lecteurs et lectrices que ces notations ont pu perturber, et j'espère ne pas avoir fait trop d'erreurs dans leur usage. Les personnes non binaires n'ont que très peu de romans ou de films pour trouver des représentations positives auxquelles se rattacher, et je souhaite de tout cœur que cela évolue. Pour les personnes que cela intéresserait, j'ai commencé à écrire une nouvelle avec un personnage non binaire, genré également au neutre inclusif, que j'espère pouvoir publier prochainement sur Scribay, sans doute sous le titre "un rayon de Miel".
Notons pour finir que la treizième nouvelle, "Affaire classée" n'est pas une histoire de fin du monde, et n'a pas été écrite à cette époque : c'est une brève conclusion que je viens d'écrire, en cet été 2020, pour clore cette nouvelle version du recueil. Elle se situe en quelque sorte en dehors de l'imaginaire plus ou moins partagé par les douze autres nouvelles, et même en dehors de l'univers d'Andréa Cortes qui était déjà supposé contenir les autres nouvelles : c'est une sorte de mise en abîme supplémentaire pour raccrocher ces histoires à notre univers réel, qui n'est pas encore tout à fait à la fin du monde mais connaît d'autres soucis comme le confinement ou l'addiction aux jeux vidéos et au téléphone !
J'espère que la lecture ces nouvelles vous aura un peu diverti, et je vous souhaite une excellente journée sans fin du monde !
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