Un désir incessant qui brûle mes entrailles…
De la musique... Une chanson des années cinquante ? On dirait... Elvis Presley ! J'ouvris les yeux et découvris que je me trouvais allongé sur un grand lit dans une chambre toute simple aux couleurs sombres, sans cadres aux murs et sans décoration particulière. Il ne se trouvait seulement qu'une commode, un grand placard et une petit table de chevet. Guidé par la chanson que j'entendais, je me levai et sortis de la chambre, avançant dans un long couloir. Je vis une lumière et décidai d'aller voir.
Il s'agissait de bougies éclairant une pièce, la lueur donnait une ambiance magique. J'entrai sans savoir ce que je cherchais exactement, mais la musique provenait de là, je pouvais le voir au vieux tourne-disque qui fonctionnait. Il avait l'air vraiment vieux, d'ailleurs ! J'aimais tout ce qui était rétro. Ces appareils d'une autre époque racontaient une histoire. Celle d'une société différente, à la technologie différente. Je trouvais ça assez passionnant. Je m'immobilisai devant et regardai le disque tournoyer dans sa mallette, me laissant porter par la chanson.
Blue moon
You saw me standing alone
Without a dream in my heart
Without a love of my own
Blue moon
You knew just what I was there for
You heard me saying a pray for
Someone I really could care for
Without a love of my own
Blue moon
You saw me standing alone
Without a dream in my heart
Without a love of my own
Without a love of my own
Blue moon
Without a love of my own*.
Sans surprise, deux bras finirent par m'enlacer tendrement. John...
-Encore un rêve ?
Un baiser sur ma nuque me répondit, me provoquant un long frisson. Je me tournai alors pour plonger mes yeux troublés dans ceux si clairs et doux cette fois-ci du vampire auquel j'étais lié. Il me sourit.
-Danse avec moi, me dit-il en me tendant sa main que je pris.
Serrés l'un contre l'autre, sa main dans la mienne posée contre son torse et l'autre sur ma hanche, nous bougions doucement.
-Où sommes-nous ?
-Chez moi, dans la petite maison que je possédais en 1961.
-1961 ? Tu es si plein de surprises... dis-je tout bas en posant ma tête contre lui, me laissant bercer par la douce ambiance.
Une autre chanson commença et nous dansâmes encore un moment sans plus parler.
I was all right for awhile
I could smile for awhile
But I saw you last night
You held my hand so tight
As you stopped to say, "Hello"
Oh, you wished me well
You, you couldn't tell
That I'd been crying over you
Crying over you
When you said, "So long"
Left me standing all alone
Alone and crying, crying
Crying, crying
It's hard to understand
But the touch of your hand
Can start me crying
I thought that I was over you
But it's true, so true
I love you even more
Than I did before
But, darling, what can I do?
For you don't love me
And I'll always be crying over you
Crying over you
Yes, now you're gone
And from this moment on
I'll be crying, crying
Crying, crying
Yeah, crying, crying
Over you*.
Les paroles trouvaient un écho dans ce moment. Mon cœur battait la chamade. Je me sentais si bien. La douceur de cet instant, la lueur des bougies, la musique, la tendresse de John, tout me paraissait intense. J'en étais totalement chamboulé.
Lorsque la chanson se termina, aucune autre ne prit le relais, et je me reculai un peu pour regarder le vampire. Nous ne bougions plus, le temps semblait s'être arrêté. Je ne pus empêcher ma main qui était posée sur son dos, de venir caresser son visage. La suite ne se fit pas attendre. John se baissa et posa tendrement ses lèvres sur les miennes, me faisant gémir de satisfaction. Je fus soulevé et je passai mes jambes autour de ses hanches pendant qu'il marchait.
Dans ses bras, je jetai un coup d'œil aux pièces que nous traversions, et je pus comprendre que son existence avait été assez solitaire. Il n'y avait que le strict minimum. Des meubles, des bibliothèques remplies de livres… Un certain confort régnait, mais tout manquait tellement de chaleur ! Rien de superflu ! Pas de jolis bibelots, pas de photos, rien que le nécessaire comme pour la chambre dans laquelle il me déposa lentement sur le lit. Il ne tarda pas à venir tout contre moi, son odeur m'envahissant ainsi que sa chaleur. Cependant, contre toute attente, il ne tenta rien du tout, se contentant de me serrer contre lui et de me caresser les cheveux.
-Qu'est-ce que tu faisais à cette époque ? Quel était... ton quotidien ? me risquai-je finalement à demander.
J'étais curieux. Je voulais tout savoir de sa vie. De ses vies. Les connaissances qu'il avait dues accumuler, les événements auxquels il avait dû assister, tout ce qu'il avait connu, vu et vécu m'intéressait réellement ! Mais... Dans la réalité, nous passions notre temps à nous chamailler, alors lui poser ce genre de questions me semblait impossible. Par contre, dans les rêves, John semblait plus doux, plus enclin à me parler. Autant tenter ma chance ! Sa maison me paraissait si peu chaleureuse ! Ça me faisait me questionner sur lui.
-Je tenais une épicerie et j'avais acheté cette maison qui se trouvait dans la même rue, mon manoir étant trop éloigné. Éric a d'ailleurs travaillé avec moi. Il s'occupait des clients quand je m'occupais plutôt de la gérance, de l'inventaire, des achats...
Ça ne m'étonnait absolument pas ! Éric était bien plus avenant que John ! J'avais du mal à imaginer cet ours bourru parler avec la clientèle !
-Pour ce qui était de ma vie, elle était plus simple qu'aujourd'hui. Plus dangereuse, également. Et surtout, plus vide, me dit-il en me regardant dans les yeux, caressant délicatement ma joue et me faisant rougir sous le sous-entendu à peine voilé. Contrairement à Éric, je suis une personne solitaire, ne cherchant pas à entretenir de relations qui finiraient de toute manière par me déchirer le cœur. Et puis, garder un œil sur ma famille, qui s'est agrandie avec les générations qui ont suivi la mienne, me prend déjà beaucoup de temps, mais il s'agit de mon devoir que j'accomplis avec joie. Les membres de ma famille me permettent de me nourrir sans faire de mal à qui que ce soit, et je leur suis redevable pour cela.
Je hochai la tête, lui montrant que je comprenais.
-Qu'est devenue cette épicerie ?
-Ils l'ont brûlée.
Je me figeai et me redressai légèrement.
-Quoi ?
-En 1970, une grève générale a éclaté chez les petits commerçants. Les manifestations étaient importantes et violentes. Un jour, elles ont dégénéré à tel point que quelqu'un y a mis le feu. J'ai toujours soupçonné un rival quelconque, car mon épicerie marchait plutôt bien, et puis, le jour où s'est arrivé, je n'avais pas fermé. Son ouverture a dû envoyer un message qui dénonçait un manque de solidarité avec mes collègues, termina-t-il dans un petit sourire triste. J'étais pourtant d'accord avec leurs revendications, mais exceptionnellement, ce jour-là, j'avais décidé d'ouvrir suite à de nombreuses demandes de mes clients.
Ça me serrait le cœur de l'apprendre. Je me doutais que son existence n'avait pas été de tout repos...
-Au lieu de tout reconstruire, j'ai préféré partir. Cela faisait une dizaine d'années que j'étais établi dans cette ville. Il était temps de recommencer une nouvelle vie ailleurs. Éric était d'accord, bien évidemment.
J'étais triste de l'apprendre. Cependant, ses propos m'apportaient un début d'explication sur son attitude si grincheuse. Il avait été soldat, une vie rude, surtout à son époque. Il avait été enlevé par un dingue, transformé contre son gré, et il avait vécu plus de deux siècles à voir les siens partir les uns après les autres. Sans parler de certains événements qui avaient marqué sa vie, comme cela avait dû être le cas en ce qui concernait tout son travail, son dur labeur parti en fumé, qui ne l'avait sans doute pas réconcilié avec les êtres vivants peuplant cette planète !
-Ne sois pas triste pour moi, Lucas.
Mince ! Il l'avait senti ?
-Cette année-là a été riche d'une autre manière. Peu de temps après, la célèbre mission lunaire Apollo 13 est revenue sur Terre. C'était un vrai miracle ! Sais-tu que ses membres ont failli y laisser leur vie ? Lors de l'aller, leur réserve d'oxygène a explosé. Il existe d'ailleurs un film qui raconte leur histoire. Si tu ne l'as pas vu, nous pourrions le regarder ensemble et...
Je ne l'écoutais plus, il était trop attirant ! Toutes ses connaissances étaient trop sexy ! Je n'en pouvais plus ! Sans réfléchir, j'attrapai son beau visage à la barbe naissante et rugueuse, et posai fougueusement mes lèvres sur les siennes. Bien que surpris, il ne tarda pas à me renverser sur le matelas et à s'allonger sur moi, me dévorant de sa langue.
J'avais la tête qui tournait. Mon désir était si fort ! Mon érection me faisait mal, emprisonnée dans mon pantalon. Il fallait qu'il me prenne et tout de suite !
Un grognement se fit soudainement entendre... Totalement parti, j'ouvris les yeux et ce que je vis me fit redescendre de mon joli nuage arrosé aux vapeurs toxiques de la luxure de calice...
John était au-dessus de moi, immobilisé. Sa bouche était entrouverte et montrait ses canines d'un air féroce. Ses yeux étaient dorés et... il me regardait comme si j'allais être son prochain repas...
-John ?... murmurai-je d'une petite voix angoissée.
Ma voix le fit réagir, mais pas de la bonne manière puisque ma chemise me fut arrachée si rapidement que j'entendis plus le bruit que je ne sentis le geste. Il s'attaqua ensuite à mon pantalon qu'il tira violemment sans le déboutonner, ce qui fut très désagréable, il m'avait griffé en tirant dessus !
-JOHN, TU ME FAIS MAL ! ARRÊTE !
Il n'écoutait pas ! Il ne semblait plus être lui-même ! Quelque chose clochait. Forcément !
-JOHN ! criai-je alors qu'il me retirait mon boxer.
Il était si rapide, je n'arrivais pas à retenir ses mains et mes habits qui partaient les uns après les autres ! La peur s'emparait de moi. Le désir avait totalement reflué pour laisser place à la frayeur. John s'attaquait maintenant à ses propres vêtements. Non... Non, non, non ! J'en profitai pour essayer de m'échapper, mais il était trop lourd et m'écrasait. J'étais coincé entre ses cuisses !
-John ! Ressaisis-toi !
Je tentai de le repousser mais rien à faire ! Sans que je ne comprenne ce qui m'arrivait, le vampire m'attrapa durement et me retourna sur le lit sans ménagement. Je me retrouvais ainsi sur le ventre, toujours coincé sous lui. Je sentis ses mains glisser durement sur mon dos, sur toute sa longueur. Ses gestes ne cherchaient pas le plaisir mais la domination… L'une me bloqua la nuque pour que je ne puisse plus me défendre et l'autre vint malaxer une de mes fesses. Ma respiration était hachée. Qu'est-ce qui se passait ? Tout allait bien et soudainement, la situation avait basculé ! Je ne comprenais pas !
Quelque chose d'humide sur ma peau, en bas de mon dos... Je ne pouvais pas le voir, ma tête était bloquée par sa main contre le couvre-lit, mais je devinai aisément qu'il s'agissait de sa bouche, j'en sentais la chaude humidité. John me mordillait et me léchait.
-John... gémis-je malgré moi.
Il descendit un peu plus bas, sur mes fesses dont il suivit l'arrondi de ses lèvres. Des frissons me parcoururent mais... je ne voulais pas que ça se passe comme ça ! Lui, ne parlant pas, agissant de manière effrayante, et moi, bloqué durement contre le lit, ne pouvant pas bouger, arrivant à peine à trouver de l'air pour remplir mes poumons ! Sa bouche descendit encore plus bas, vers mes testicules... Je me mis à gigoter autant que je le pouvais.
-JOHN ! ARRÊTE, S'IL TE PLAÎT !
Il s'arrêta et grogna de nouveau. J'entendis alors un bruit de fermeture éclair. NON !
-JOOHHNNN !! criai-je de toute mes forces, éclatant en sanglots.
L'instant se cristallisa. Plus de poids me bloquant... Je respirais de nouveau et je me tournai doucement pour voir ce qui se passait. John... Il était debout, torse nu, le pantalon ouvert montrant la bosse de son sous-vêtement. Ce qui me frappa était qu'il avait l'air... choqué... Son regard était posé sur moi mais il avait l'air hagard.
-John ? l'appelai-je piteusement, des larmes plein le visage.
Soudainement, tout devint flou. De plus en plus flou...
J'ouvris brusquement les yeux. Un rêve ! Seulement un rêve ! J'étais chez moi, dans mon lit, tout allait bien ! Je me dépêchai d'allumer ma petite lampe de chevet et je m'assis, tentant de calmer ma respiration. Un miaulement me rappela à la réalité.
-Ho Pattoune ! Tu es là, mon petit chat d'amour ! m'exclamai-je, reconnaissant de sa présence réconfortante en le câlinant.
Il dormait sur mon lit à côté de moi. J'avais préparé la chambre d'ami pour John qui avait carrément amené une grosse valise avec lui ! Et à mon plus grand étonnement, il avait accepté d'y dormir sans rechigner. Moi qui m'attendais à ce qu'il insiste pour dormir dans mon lit, je m'étais senti étrangement déçu. Oui, ça ne tournait pas bien rond dans ma tête ces temps-ci...
John... Est-ce que le rêve que je venais de faire était un rêve qu'il avait créé, m'emmenant dans son monde ? Ou était-ce moi qui, perturbé, faisais des cauchemars ? Je soupirai. Je n'avais pas le courage d'aller dans la chambre dans laquelle il se trouvait pour lui poser la question. J'avais... peur. Oui... John m'avait fait si peur dans ce rêve étrange ! Je ne voulais pas aller lui demander, au risque de ne pas aimer sa réponse, mais aussi, au risque de me faire encore agresser... Il faisait toujours nuit. Je pouvais attendre le lendemain, si j'en avais le courage, pour lui demander si oui ou non, il avait tenté de me violer. Était-ce une stratégie bizarre et malsaine pour me convaincre de passer à cette seconde étape du lien ?
Mal à l'aise, je me levai doucement et sans faire de bruits, partis fermer à clé la porte de ma chambre. Si Pattoune avait envie de sortir, il saurait me réveiller. Je repartis dans mon lit, et avec ma lampe de chevet allumée, je me rendormis contre mon petit chat noir sans savoir qu'à quelques mètres de là, un certain vampire au regard doré et aux canines sorties était également réveillé et tentait de réprimer ses pulsions…
*Elvis Presley : Blue Moon.
*Roy Orbison : Crying.
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