Chapitre 4.5
Fulbert ne répondit rien et se précipita dehors. La jeune femme enfila sa veste et fit signe aux deux hommes de ne pas bouger.
— Surtout restez cachés. Il ne doit pas être au courant de votre présence.
Sho’Ryu grommela et tenta de sortir de la maison, Elise l’empêcha d’avancer davantage.
— Tu ne m’as pas entendu ?
— Je vais le défier en duel et le tuer ici et maintenant, déclara le jeune homme.
— Ici ? En plein milieu du village ? Alors que n’importe qui pourrait se retrouver blessé ? Alors qu’il pourrait prendre un otage pour faire pression ?
— Je…
— Restons en arrière et observons, intima Luke en posant une main sur l’épaule de Sho’Ryu.
Il grogna en agitant l’épaule, et rangea son arme avec rage. Elise remercia Luke avec un clin d’œil, et de nouveau une étrange sensation le parcouru.
— J’espère que ton ami ne va rien tenter non plus, dit Sho’Ryu. Il n’a pas l’air digne de confiance.
Luke ne trouva pas la force de le contredire.
— Vous pouvez observer par la fenêtre au-dessus, mais surtout restez discret !
Les deux hommes acquiescèrent, avant de rapidement grimper au premier étage. Ils rentrèrent dans une chambre et écartèrent le rideau avant d’entrouvrir la fenêtre.
Dehors la nuit commençait à tomber, mais il restait bien assez de luminosité pour voir clairement. Fulbert se tenait fièrement au milieu de la place entouré par d’autres villageois. Le reste des habitants observaient d’un peu plus loin, terrifiés.
Ils entendirent d’abord le son des sabots, puis ils les virent arrivés. Une trentaine de soldats, peut-être plus, mieux équipés que les éclaireurs que Luke avait aperçus plus tôt. Il n’eut aucun mal à deviner lequel d’entre eux était Livink Haste, il était impossible de ne pas le remarquer.
Le général menait la marche, son étalon était plus grand que tous les autres et son regard menaçant était fixé devant lui. Même à cette distance Luke remarqua les cicatrices qui ornaient son visage, il devait être proche de la cinquantaine, mais il se tenait droit et fier. Ses longs cheveux devaient être d’un blond éclatant autrefois, mais ils étaient parsemés de mèches grises. Il portait une armure rouge sang et une aura sombre se dégageait de lui.
Livink Haste respirait la puissance. Même à cette distance, même désarmé, Luke sentit un frisson lui courir le long du dos.
Un autre cavalier chevauchait tout près de Livink, il tenait une longue lance bardée de dorure.
Luke n’arriva pas à décider ce qu’était le plus grand danger.
— Mon seigneur, dit Fulbert effectuant une courte révérence. Nous sommes honorés de votre présence ce soir.
Sho’Ryu jura à voix basse, une insulte dirigée vers l’attitude du maire. Livink ne dit rien et continua d’avancer, il remarqua que plus personne n’était pendu à l’église, et il esquissa un sourire. Il arriva au niveau du maire, qui était resté figé.
— Nous sommes néanmoins curieux des raisons de cette visite soudaine, continua Fulbert en se redressant, son visage n’exprimait que de la crainte. Le paiement était prévu pour la semaine prochaine si je ne me trompe pas.
— Tu as parfaitement raison, répondit calmement Livink.
Il se pencha tout en restant sur son cheval, et saisit Fulbert par le col. Il le souleva sans peine, sans même que l’effort ne se lise sur son visage, somme s’il avait s’agit d’un enfant. Les autres villageois restèrent interdits.
— Six de mes précieux hommes sont morts aujourd’hui pendant leur patrouille. J’imagine que tu n’as aucune information à ce sujet ?
— Je… je n’étais pas au courant, bégaya Fulbert, étouffé par ses vêtements.
— C’est peu étonnant, vous n’auriez jamais osé me défier. N’est-ce pas ? Pas après tout ce que j’ai fait pour vous ?
— Nous… nous vous sommes redevable.
— Je le sais bien.
Livink lâcha Fulbert, et le vieillard s’affaissa sur le sol. Personne ne vint l’aider à se relever à part Elise. Luke dut empêcher Sho’Ryu de sauter par la fenêtre.
— Ecoutez moi tous ! tonna Livink. Je viens vous apporter de bonnes nouvelles ! A partir de demain, vous n’aurez plus rien à me payer, tout cela sera terminé. Car dès demain mes hommes et moi nous partiront rejoindre un château plus au sud, afin de prendre part à la campagne d’un seigneur !
Des murmures de joie parcoururent la foule rassemblée sur la place. Luke aurait voulu partager ce bonheur, mais le sourire sur le visage du général continuait de le faire frémir.
— C’est pour cela, que demain je viendrais chercher tous les hommes capables de se battre du village, ainsi que toutes les femmes entre seize et quarante ans. Vous ferez partis de mes troupes.
— Comment ? s’insurgea Fulbert. Vous ne pouvez pas faire ça !
— Bien sûr que je le peux, dit Livink.
Il fit un signe de la main, et on lui tendit la lance dorée. Il la saisit négligemment, comme si l’arme ne pesait pas plus lourd qu’un bâton. Livink fit tournoyer sa lance, avant de la pointer vers l’église.
— Ceci, est votre punition pour votre désobéissance.
Luke vit la lance crépiter, tandis que des étincelles remontèrent le long du manche. La pointe s’illumina, et quelque chose en jailli.
Des éclairs bondirent en avant, déchirant les murs de l’Eglise dans un fracas assourdissant. Les lames jaunes se déplaçaient de manière erratique, frappant et frappant encore. La structure commença à s’effondrer, projetant de la poussière et des débris dans toutes les directions.
Livink baissa son arme, et le tonnerre disparu. Luke aurait pu croire qu’il venait de rêver tout cela, mais à présent il pouvait voir les champs au loin. L’église avait totalement disparu, remplacée par un tas de gravats fumants.
— Je serais de retour demain à midi, déclara Livink, comme s’il venait simplement de jeter une pierre dans l’eau. Tout homme qui se cache verra sa famille entière être pendue.
Il fit signe à ses hommes qu’ils étaient temps de partir, et les chevaux se mirent en marche. Luke se rendit compte qu’il retenait son souffle depuis un peu trop longtemps, il prit une grande respiration pour se calmer.
C’était donc ça la puissance d’une relique ? La réaction d’Eddie devenait soudain peu étonnante, qui voudrait affronter un homme possédant une telle arme ?
Sho’Ryu sauta par la fenêtre, et atterrit avec souplesse sur la place.
Lui en tout cas, ça n’a pas l’air de l’avoir choqué.
Luke sortit de la maison en utilisant les escaliers, et rejoignit les villageois attroupés autour du maire.
— Qu’allons-nous faire ? se plaignit une femme dans la trentaine. Nous ne pouvons pas abandonner nos enfants ici !
— Et nos anciens ? intervint un homme. Ils ne pourront pas travailler ! Si nous les laissons ils mourront !
— Nous n’avons pas le choix, murmura Fulbert en fixant le sol.
— Comment oses tu dire ça ! cria Elise en le secouant. Reprends toi bon sang !
— Elle a raison, est-ce la seule personne qui a conservé son honneur ici ?
Sho’Ryu écarta plusieurs villageois pour prendre place en face du maire. Il le regardait d’aussi haut que sa taille moyenne le lui permettait, il se tenait droit, avec fierté.
— Demain j’irais moi-même trouver Livink, et je lui trancherai la tête. J’en ai eu la preuve, cet homme commet le mal autour de lui, et il doit être stoppé. Qui parmi-vous me suivra ?
Il avait posé sa question comme si la réponse était évidente, mais la foule resta silencieuse.
— Moi je viendrais avec toi, déclara Elise en sortant un livre de la sacoche qu’elle portait. Je me suis préparée pendant des années, aujourd’hui je suis prête.
Sho’Ryu paru hésiter pendant une seconde, mais en regardant le livre son expression changea complètement. Luke se demanda ce que ce bouquin pouvait avoir de si spécial.
Le nijimien regarda de nouveau les villageois rassemblés autour de lui, comme s’il s’attendait à ce qu’ils le rejoignent à leur tour, mais aucun ne bougea. Luke assistait à un véritable choc pour le jeune homme, il n’arrivait pas à comprendre que ces gens choisissent de ne pas se battre.
— Elise ! dit Fulbert d’une voix plaintive. Tu vas te faire tuer !
— Je préfère mourir que rejoindre Livink ! protesta-t-elle vigoureusement. Quel sort pensez-vous qu’ils réservent aux femmes ? Elles ne seront pas en première ligne non, elles seront juste là pour satisfaire ses soldats !
— Peut-être pas, lâcha le bucheron. Livink nous a toujours protégé des bandits, il n’a fait de mal qu’à ceux qui ne payaient pas. Si nous lui obéissons il ne nous arrivera rien !
Luke serra les poings, ces gens se cherchaient des excuses pour ne pas agir. A l’inverse d’Elise, ils préféraient jouer les esclaves pour pouvoir voir le soleil se lever une fois de plus. Eddie avait raison, les villageois ne méritaient pas qu’on risque sa vie pour eux. Ce n’étaient que des lâches.
Tout comme moi.
Luke soupira, les voix qui débattaient devant lui se firent plus lointaine.
L’ancien lui, celui à qui ce corps avait appartenu, qu’aurait-il fait ? Dans que camp se serait-il trouvé ?
Cela importait peu en fait, dans quel camp le Luke d’aujourd’hui voulait se trouver, c’était ça la vraie question. Détourner les yeux et continuer sa route était la solution la plus simple, la plus agréable. Mais était-ce la bonne ? Et s’il retrouvait la mémoire, pour se rendre compte qu’il était en fait une pourriture ? Ou pire encore, qu’il réalise qu’en refusant d’aider le village, il avait trahi celui qu’il était auparavant.
Sans même s’en rendre compte, Luke avait pris place à côté de Sho’Ryu et Elise. Tous avaient cessés de parler pour le regarder, pour le fixer en attendant son intervention.
L’amnésique espéra qu’il avait le même don pour les discours que pour le meurtre.
— Écoutez-moi tous ! Je comprends que vous ayez peur, que vous soyez terrifiés par Livink et ses hommes. Je comprends que vous préférez choisir la solution de facilité, car oui, restez dans la soumission est la solution de facilité. Votre vie a-t-elle si peu de valeur pour que vous la gâchiez de la sorte ? Je ne dis pas que je vais vous mener à la victoire, je ne dis pas que je vais vous offrir la liberté. Mais je vais vous offrir la chance de vous battre et de triompher ! Livink n’est qu’un homme comme vous et moi, un homme qui se pense supérieur aux autres. Ensemble, nous allons le faire payer pour son arrogance !
C’était raté. Il avait eu une idée au début, mais il avait rapidement perdu le fil, et les phrases s’étaient enchainés sans trop de logique.
Au moins les villageois étaient restés silencieux, c’était déjà un bon point.
Quand il cessa de se morfondre sur sa perfectible élocution, il remarqua que la foule s’agitait en hurlant. Il sentit une main se posé sur son épaule, et il se retourna pour voir le regard approbateur de Sho’Ryu.
— Je m’étais trompé sur ton compte. Je te prie de m'excuser.
Comment ça trompé ?
Elise rayonnait, des larmes perlaient à ses yeux. Luke devina que cela faisait des années qu’elle tentait d’organiser une rébellion sans succès. Le soulagement pouvait se lire sur son visage.
— Attendez ! coupa le bucheron. Si vous voulez mourir, grand bien vous fasse ! Mais moi je refuse de me suicider avec vous !
Sho'Ryu réagit en un instant, il attrapa l'homme pas le col et le souleva.
— Es-tu donc pitoyable à ce point ? Tu vas laisser ta femme se faire abuser par ces soldats juste pour sauver ta minable vie ?
Une main se posa avec douceur sur le bras de Sho'Ryu, et une femme d'une trentaine d'année portant un arc prit la parole.
— Il ne laissera rien faire à sa femme, dit-elle avant de regarder les autres villageois Nous ne sommes peut-être pas les meilleures, mais nous savons nous servir d'un arc ! Nous ferons pleuvoir nos flèches sur ces porcs, nous vengerons Amélia et toutes les autres !
De nouvelles acclamations retentirent, le bucheron s'en alla en jurant et tous l'ignorèrent. Le maire Fulbert fit signe à la foule de se calmer, avant de se mettre en face de Luke.
— Nous étions dans l’erreur, avoua-t-il. Je te confie mon village, je ne sais pas quel plan tu as prévu, mais nous te faisons tous confiance.
Un plan ? Quel plan ? Luke comprit au regard des villageois qu’il venait d’être désigné comme le stratège.
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