Chapitre 2

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Au matin du troisième jour, le curé du village vient prendre des nouvelles de la pauvre mère. Ce curé, qui avait pris l’habitude de culbuter la mignonnette en cure, se dit que la place devait être libre à nouveau.

En ce siècle, dans ces campagnes reculées de la France profonde, le curé est souvent le premier représentant de Satan. Ivrogne, paillard et illettré. La bure retroussée à la moindre occasion, le cierge dressé.

C’est donc lui, Jérôme Broussard, curé de son état, qui trouve l’enfant à côté du corps roidi de cette pauvre Marie Trapu, née Marie Bourloute.

Alors bien sûr, vous vous dites. Alléluia, voilà l’enfant sauvé. Que n’ira-t-il dans quelques douillets orphelinats, nourri, logé et instruit par un jésuite. Je le sais, je l’entends.

Je vous réponds, taisez-vous, imbéciles. Et écoutez cette histoire.

Ainsi donc, Jérôme Broussard, curé de son état, rentre dans la misérable demeure. Rien ne l’avait préparé à la vision d’horreur qui l’attendait!

« Jésus, Sainte-Marie, Mère de Dieu, Saint Joseph, Saint Antoine! » s’exclame-t-il avec un mouvement de recul.

La mère, figée dans une posture impie, lui rappelle quelques souvenirs coupables. Et l’odeur, quelle épouvantable odeur! Une odeur qui vous prend au fond de la gorge, comme de la vieille viande hachée, laissée au fond du frigo 2 semaines.

Mais oui, vous voyez très bien. Un dimanche, tranquille à la maison, on se dit, « Mmmh je vais me faire un bon chili con carne ». Imaginez bien le moment où, vous régalant déjà en avance, vous ouvrez le paquet. Et là, une vieille odeur dégoûtante vous claque au visage. Et bien, voilà dans quel malheur notre curé se retrouve à mariner.

Jérôme Broussard, curé de son état, n’est point complètement idiot et prend immédiatement la situation en main en parant au plus urgent. Dans la cuisine, il trouve une vieille bouteille d’eau-de-vie et la vide à grandes rasades.

Après un rot appréciateur, il remarque alors un petit paquet remuant entre les jambons maternels.

« Saint Bernard, Sainte Sophie, Saint Ursule! » murmure-t-il en se signant. Une fois, deux fois, trois fois.

Ce bon curé Broussard hésite, évidemment. Il s’approche du gigoteur, l’air peu ragoûté. Quel petit monstre, la bouille barbouillée de bouillie sanglante et coagulée.

« Saint Patrick, Saint Jacky et Saint Michel » chuchote le saint homme.

Par quel miracle ce petit d’homme vit-il encore? Il se penche et croise les yeux noirs de la créature. Au fond de lui, il sait. Il sait très bien. Il sait très bien que quelque chose cloche. L’orbite ne tourne pas rond.

Il sait que la bonne décision est de laisser cette petite crapule, là, ici. À mourir sur ce lit. Malheureusement, le curé Broussard est curé de son état, et son patron chasse l’intelligence à coups de marteau dogmatique.

Chaque vie est sacrée, alléluia! Par devoir, notre Broussard s’empare du petit renardeau pour le ramener au poulailler.

Sur le chemin, il réfléchit et se pose la question la plus importante. Voilà des années qu’il dégaine la chandelle avec la Marie Trapu, née Bourloute. Se pourrait-il que ce chenapan soit de lui?

Après avoir emballé le poupon dans un drap, Jérôme Broussard rentre au village.

« Sainte Pauline et Saint Marc, que vais-je faire de ce petit? » Il le débarbouille dans le bénitier et se sert un petit coup de vin de messe.

Une migraine le prend alors, fulgurante, c’est une idée. Il a eu une idée!

La femme du boucher, Delphine Macarel, née Cramont, venait d’accoucher d’une petite fille. Fichtre! que la maquerelle Macarel avait des seins généreux, aussi dodus que des grosses courges. Des mamelles comme des cornes d’abondance. Le petit ne manquerait de rien.

Marcel Macarel, boucher du village, a la figure de l’emploi. La joue rouge, le couteau rouge, les idées rouges. Il découpe tout ce qui lui passe sous la main. Ah, mes amis, quelle erreur vient de commettre notre curé Broussard.

Le petit vampire allait pouvoir se nourrir à la source. Car vous imaginez bien que la boucherie du 19ème ne ressemble pas à un stand chez Auchan. Ça dégouline, ça pue, ça bourdonne. Et le peuple n’est pas regardant, l’ami Marcel en profite pour arrondir ses fins de mois en hachouillant toutes sortes de bidoches pas catholiques.

Parfois un enfant tuberculeux, une petite fiévreuse, une bouche à nourrir improductive disparaissent et personne ne s’en plaint. Est-ce à cela que pense Jérôme Broussard? L’idée l’a effleuré, peut-être… certainement.

Mais voilà, après Marie Trapu, née Bourloute, c’est au tour de Marcel Macarel de ne pas saisir l’occasion. Un coup de hachoir, et hop, on désosse, on jette les boyaux et quel tendre petit cochon de lait nous avons. L’histoire s’arrêterait là, et vous et moi pourrions retourner vaquer à nos occupations.

Oui, je vous entends, c’est un bébé! Vous vous dites,

« Regarde comme il est moche, on dirait vraiment ma mère. »

Vous êtes attendris, grand dadais que vous êtes. Mais attendez, attendez de savoir quels ravages cette âme maudite va déverser sur le monde.

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