Manon et Luc, futurs compositeurs de parfums
Manon fait attention à bien reproduire les gestes de sa maman. Il est très tôt et le soleil se fait encore très doux dans le champ de roses sur les hauteurs de Grasse. La jeune fille a mis un grand tablier de lin sa taille et un chapeau de paille sur ses cheveux bouclés. Sa maman se penche sur les buissons au feuillage vert tendre et fait attention aux épines sur les tiges. Il faut couper la fleur très délicatement pour ne pas l’abimer, dans un petit bruit sec en tenant la fleur entre le pouce et l’index.
Les femmes papotent et avancent en ligne dans le champ. Il fait bon, Manon adore cette ambiance, le calme, les couleurs, les senteurs et la vue sur la mer, au loin.
Elle regarde de temps en temps son ami Luc qui aide son père à charger les sacs de toile dans la camionnette. Elle se réjouit de les rejoindre dans quelques heures, lorsque le soleil sera tout en haut dans le ciel et qu’il faudra amener les fleurs à l’usine.
Pour l’instant, elle profite du moment et admire sa maman qui travaille en chantant. Ses gestes sont rapides et précis. Elle aime ce qu’elle fait, c’est évident, la couleur des roses est éclatante et les joues de Manon ont presque la même couleur, ce qui fait ressortir le vert de ses yeux rieurs. Une légère brise fait flotter un mélange d’arômes, la terre est humide de rosée, les roses imprègnent l’air, se mêlent au jasmin et à la lavande des champs voisins.
Manon est amoureuse de cette terre qui l’a vue naitre. Ses parents, italiens, sont arrivés tout jeunes pour trouver du travail et ont lutté pour assurer une bonne éducation à leurs enfants. Manon admire la force de son père, la gentillesse de sa mère qui dirige pourtant la famille d’une main de fer et là on peut dire, dans un gant de velours…. Son père a construit leur refuge, un joli petit mas provençal, avec le jardin qui sent bon la lavande et qui est leur véritable garde-manger. Les légumes cultivés par leur mère et les arbres fruitiers qui sont assaillis par les enfants qui grimpent pour remplir des paniers de cerises, d’abricots ou de figues. Même si Manon a grandi, elle ne peut pas s’empêcher de se faire des boucles d’oreilles avec des cerises.
Manon a été une petite fille heureuse, entourée de ses deux frères et de ses parents et rien ne pourrait l’éloigner d’eux. Elle est ambitieuse, passionnée, quelquefois trop excessive et bavarde, ce qui lui vaut des moqueries de la part de ses frères. Elle prend beaucoup de place dans la famille mais d’un autre côté, dans son cœur, ce sont eux qui prennent toute la place.
Après quelques heures de cueillette, Manon retrouve Luc, son ami d’enfance. Ils montent à l’arrière de la camionnette, derrière les gros sacs et profitent de ce moment de repos. Dès leur arrivée, ils se faufilent entre les ouvriers qui viennent décharger ce butin fragile et l’amener rapidement à la distillerie.
Luc est différent, moins intellectuel, plus manuel et très réaliste. Plus calme, il lui en faut beaucoup pour s’énerver, mais lorsqu’il atteint le seuil de ce qu’il peut supporter, il voit rouge et il lui arrive même de se battre. Ses parents sont grassois depuis des générations et ils ont toujours travaillé à l’usine tout en héritant d’une grande bastide au pied des Gorges du Loup. La route pour y arriver est étroite, zigzague, les gorges sont profondes et la roche est dure. Leur maison est dans un creux, totalement isolée, la cuisine est ouverte sur le canyon. C’est impressionnant et cette pièce pourrait figurer dans un magazine d’immobilier de luxe.
Manon et Luc ont un projet. Ils veulent devenir tous les deux des « nez », c’est-à-dire des créateurs de parfum. Mais comment y arriver ? Ils ont grandi à Grasse, leurs parents sont employés dans une des plus grandes usines de parfums, mais comment faire pour prouver à tout le monde qu’ils ont cette passion, qu’ils s’entrainent à reconnaitre toutes les senteurs, le jasmin, le mimosa, la fameuse rose Centifolia, qu’ils passent leur temps libre après le lycée à trainer dans tous les coins de l’usine et à noter toutes les étapes de fabrication d’un parfum, de la cueillette de la fleur jusqu’à ce liquide merveilleux qu’on achète dans des flacons de luxe dans les magasins.
Après avoir passé la matinée dans les champs, Manon est convaincue qu’il faut garder ce patrimoine, cette tradition, relancer les cultures dans le respect de cet environnement unique, le restituer au paysage grassois et en faire un écrin pour les parfums, qu’elle désire tant créer.
Manon entraine Luc dans l’usine, elle parle avec passion, on doit protéger notre richesse, trouver des solutions pour faire renaitre l’image prestigieuse de Grasse dans le monde de la parfumerie.
EIt
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