Le jeu

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Dans un futur proche, la surpopulation a atteint un tel degré que les gouvernements ont dû prendre des mesures drastiques. La politique de l’enfant unique a été remise en application. Les contrevenants s’exposent à des peines de prison très lourdes. Même chose en ce qui concerne les animaux domestiques. Il est possible d’en obtenir un de nos jours uniquement en participant à un jeu mystérieux. La personne est soumise à un certain nombre d’obstacles et si elle en sort victorieuse. Elle a le droit d’obtenir l’animal de compagnie de son choix.

Pour participer à ce jeu, il faut avoir été sélectionné à une loterie annuelle. A ce jour, seul 5% de la population a des animaux de compagnie. Il existe toutefois d’autres moyens non légaux pour obtenir un ticket gagnant de loterie. L’argent a toujours été le nerf de la guerre. Les temps n’ont pas changé. Avec assez d’argent, vous pouvez vous acheter un ticket gagnant.

Une des clauses pour participer à ces épreuves est de ne rien révéler à personne. Personne ne doit savoir ce qui s’est passé durant le jeu. Les organisateurs tiennent particulièrement au respect de cette loi. Les joueurs ayant bafoué cette règle, en ont sévèrement payé le prix.

Les jeux ne sont retransmis que pour une poignée de privilégiés. Les plus fortunés, ceux qui participent au financement de ce projet. Personne d’autre ne sait ce qui se passe durant ces épreuves. Et le mystère n’en est plus grand, il attire chaque année de nombreuses personnes. Mais peu sont sélectionnés.

Mr Anthony Kheint fait partie des chanceux. Il a économisé pendant plus d’un an pour avoir assez d’argent afin de participer au jeu. C’est demain, l’anniversaire de son fils Gregory et il compte bien lui ramener un petit chiot. Il stresse quelque peu, ne sachant pas ce qui l’attend. Mais c’est un fonceur qui ne recule jamais pour obtenir ce qu’il souhaite. Il a toujours été très sportif, remportant de nombreuses compétitions.

Mr Kheint est un homme d’une quarantaine d’années, grand, svelte, les cheveux châtains courts. Il travaille dans le service informatique d’une banque. Il a rejoint les chanceux, ceux qui ont pu conserver leur travail.

Avec une population toujours grandissante, le chômage a atteint un pourcentage élevé. De nombreux sans abris ornent les rues, attendant un miracle. Mais la société les a rejeté, un nouvel ordre nouveau est en place. Et Mr Kheint compte bien l’intégrer.

Après avoir subi une batterie de test pour évaluer sa santé physique, on place Anthony dans une salle d’attente. Il s’assoit tranquillement et attend que la suite des festivités commence. Il est bientôt rejoint par une femme. Après quelques minutes dans un silence total, les deux adultes finissent par faire connaissance.

L’informaticien apprend ainsi que Catherine Sanchez est venue pour un chiot également. Elle veut l’offrir à sa fille qui est en phase terminale de cancer. Elle a travaillé toute sa vie pour payer les soins médicaux de sa fille. Catherine est une femme qui semble plus vieille qu’elle ne l’est vraiment. Stressée, elle ne peut s’empêcher de jouer avec ses longs cheveux noirs grisonnants. Elle a le visage anguleux et un nez crochu. Des rides sont visibles sous ses yeux malgré ses efforts pour les cacher sous une couche de maquillage.

Ils discutent ainsi pendant un certain temps, échangeant le peu d’information qu’ils ont sur ce jeu. Anthony la trouve sympathique et il espère sincèrement qu’elle réussira également les épreuves. Elle poursuit un but noble, elle mérite d’en sortir victorieuse.

Au bout de quinze minutes, ils sont rejoints par un androïde qui leur explique le déroulement du jeu. Ils vont être soumis à trois épreuves et testés sur plusieurs facteurs.

Il existe une multitude d’épreuves sur différents thèmes: comme la logique, la dextérité, l’équilibre, la confiance ou le courage. C’est un ordinateur high-tech qui décide quelles seront les épreuves sélectionnées. Suite à un calcul à base de statistiques et de probabilité. Cela permet de s’assurer que personne ne triche. Personne ne peut savoir en avance ce qui sortira. Chacun a la même chance de réussir.

Anthony et Catherine retiennent leurs respirations pendant qu’ils ont les yeux rivés sur l’écran géant. Une série de symboles et de chiffres défilent dessus à vitesse grand V. Finalement, trois mots apparaissent : Courage, détermination, sacrifice.

Anthony se dit qu’en fin de compte, ils ne s’en sortent pas si mal. Il se tourne vers sa partenaire et hoche la tête pour lui faire comprendre qu’il est confiant pour la suite.

Une fois qu’ils ont signé une décharge, les deux joueurs sont placés dans une camionnette. On leur met une cagoule noire sur le visage, ne voulant pas qu’ils sachent où on les emmène.

Le trajet dure près de deux heures. Les deux joueurs restent silencieux, rassemblant leur courage et leur force pour ce qui les attend. On les sort de la camionnette et après quelques minutes de marche, on leur enlève leurs cagoules.

Les deux adultes découvrent avec horreur qu’ils sont au milieu d’un grand hangar sombre. Le lieu est loin d’être vide, c’est une décharge qui sert à disposer des corps sans vie d’animaux. Il doit y en avoir plus de mille, qui pourrissent à différents stades.

Des chiens, des chats, des lapins et autre animaux. Au fond du hangar, une montagne a même été formée à base de cadavres, entassés les uns sur les autres. Le tout, offre l’image d’un tableau cauchemardesque. La montagne doit faire près de 6 mètres de hauteur. Anthony voit même la carcasse pourrissante d’un cheval dans un recoin. Tous les animaux qui ont dû être abattu afin que le niveau de la population reste en parfait équilibre.

Une odeur pestilentielle se fait sentir. Catherine se met la main devant la bouche, se demandant si elle va réussir à ne pas vomir. Anthony ne pourrait pas lui en vouloir. Il a lui-même toutes les difficultés du monde à garder une certaine contenance. Il dépose un bras réconfortant sur l’épaule de la joueuse. Catherine finit par souffler un bon coup avant d’hocher la tête à son tour.

Ils voient un écran noir au-dessus de la montagne de carcasse Il affiche 30minutes. L’androïde, qui leur a expliqué les règles, se trouve à leurs côtés, un large sourire sur les lèvres.

- Vous avez 30 minutes pour arriver au sommet. Bonne chance à vous !

L’employé s’éclipse discrètement, suivi par ses deux hommes.

Catherine se tourne vers son partenaire, une grimace de dégout sur le visage

- Ce n’est pas possible. Il doit y avoir une erreur. C’est inhumain !

- Ils ont tous les droits et nous avons signé une décharge. Je ne vois qu’une seule solution.

- Laquelle ? demande Catherine, totalement perdue.

- Réussir.

Une fois que la porte du hangar se referme, ils entendent une violente sonnerie résonnée. Lorsque celle-ci s’achève, les 30 minutes disparaissent et un décompte commence à défiler.

Le sang d’Anthony ne fait qu’un tour, il s’élance vers la montagne, désireux de triompher quoi que cela lui en coûte. Catherine le suit de près, tenant à sortir de cet enfer. Elle ne veut pas qu’on la considère comme un boulet, sa fille compte sur elle.

Les deux adultes tentent de faire abstraction de l’horreur et de gravir tant bien que mal cette montagne de cadavre. Ils ont le même visage horrifié sur le visage et ils grimacent de dégout. Ils s’aident tant bien que mal des carcasses pour grimper rapidement, voulant en finir avec ce challenge le plus vite possible. Ils comprennent pourquoi cette épreuve fait partie de la catégorie : courage. Car il en faut pour ne pas abandonner devant un tel spectacle.

Catherine rencontre plus de difficultés, n’arrêtant pas de glisser sur les mâchoires ou les oreilles des corps. Mais elle tient bon et continue à monter.

Leurs vêtements sont immaculés de sang en moins d’une minute. Des morceaux de viscères et autres organes s’accrochent sur eux. Au départ Catherine tente de les enlever mais voyant que cela lui fait perdre trop de temps, elle abandonne l’idée.

Anthony est en tête, grimpant sans s’arrêter et s’assurant un minimum que les prises, sur lesquelles il s’accroche, tiennent bon. Il pousse un petit cri de douleur lorsque sa main droite accrochée à une mâchoire est perforé par une dizaine de dents pointues. Il retire vivement sa main en sang et continue à monter. Il arrive à mi-chemin et s’autorise une petite pause en se tenant aux oreilles d’un vieux labrador. Il regarde l’écran, il leur reste moins de 20 minutes.

Voyant que sa compagne a plus de difficultés, il lui tend la main gauche afin de la hisser et ainsi de le lui faire gagner un peu de temps. Lorsque soudain, la gueule du chien devant lequel elle passe, s’ouvre en grand. L’instant d’après le corps du chien tout entier se dégage et il lui saute dessus. La femme pousse un hurlement en tombant en arrière sous le coup de la terreur.

Elle fait une chute de trois mètres avant d’atterrir dans une flaque de sang, se brisant plusieurs cotes au passage. Elle reprend rapidement ses esprits et rampe difficilement au sol. Voulant mettre le plus de distance entre elle et son agresseur. Il s’agit d’un doberman adulte en piteuse état, les deux pattes arrière atrophiées, avec des lambeaux de chairs en moins.

Elle hurle de terreur, rampant dans les flasques de sang, s’en mettant tout partout sur le corps. Malgré son état, le chien tente de la rattraper. Il est aux portes de la mort, titubant mais voulant continuer à avancer. Dieu seul sait depuis combien de temps, il est dans cette décharge, écrasé par le poids de ses congénères. Attendant la mort, qui se fait attendre.

Anthony est en panique, il ne sait pas quoi faire. Une partie de lui, lui susurre de grimper les derniers mètres qui le séparent de la victoire. Mais une autre, le pousse à jouer les héros en portant secours à Catherine. Mais il se demande pourquoi il ferait ça. Il est venu pour son fils et rien d’autre. Il la connait à peine, il ne lui doit rien. Si elle n’est pas assez forte pour remporter cette épreuve, c’est son problème, pas le sien.

Il finit par pousser un long soupir avant de regarder autour de lui. Il ramasse la première arme qu’il peut trouver. Dans son cas, c’est la patte arrière d’un grand chien. Elle trainait au sol parmi d’autres membres en état de décomposition avancé. Des liquides gluants lui coulent sur le visage. Il n’y pense pas, concentré sur sa tâche. Il jette un dernier regard vers l’écran. Il leur reste près de 15mn. Il va devoir faire vite.

Il prend son courage à deux mains avant de sauter dans le vide. Atterrissant sur ses deux jambes à moins d’un mètre de sa proie. Le chien qui a presque rattrapé Catherine, pousse des grognements agressifs.

Soudain, Anthony hurle de rage et se jette sur le chien. Il ne se retient pas et abat son bâton improvisé sur le crâne de l’animal. Une fois, deux fois, au bout d’un moment, il ne tient plus le compte. Il l’abat jusqu’à ce que Catherine le secoue pour le sortir de sa frénésie meurtrière.

Anthony finit par se reprendre et regarde au sol. Le chien est secoué de spasmes mais il est bel et bien mort cette fois. Son crane est ouvert, béant, des bouts de cervelle un peu partout. L’informaticien lâche son arme de fortune, horrifié au plus haut point. Il recule en tremblant, n’arrivant pas à croire qu’il ait pu faire une telle chose. Il n’a jamais fait de mal à une mouche, ce n’est pas un tueur. C’est encore une fois Catherine qui en le giflant sèchement, lui permet de reprendre ses esprits.

- Il ne reste plus beaucoup de temps, il faut y aller dit-elle, en hochant la tête pour le remercier de son geste chevaleresque.

Son sauvetage l’ayant revigorée, Catherine mue d’une volonté nouvelle, recommence l’ascension. Les deux adultes font abstractions des animaux sur lesquels, ils rampent, s’accrochent, écrasent. C’est comme s’ils avaient fini par s’habituer à ce lieu sinistre.

Il leur reste moins d’une minute lorsqu’ils atteignent enfin le sommet. A deux mètre d’eux se trouve une passerelle avec une porte au bout. Les deux joueurs s’activent, se tenant l’un l’autre pour aller plus vite. Ils franchissent la porte alors qu’il ne leur restait plus que 15 secondes.

La pièce suivante est plongée dans le noir. Ils entendent un petit sifflement dans l’air et l’instant d’après les luminaires de la pièce se mettent en fonction. Inondant la pièce d’une lumière jaune opaque. L’endroit est une grande salle blanche, très propre avec au milieu une cage avec un homme à l’intérieur.

Il semblerait qu’il s’agisse d’un prisonnier, vu la tunique orange qu’il porte. L’homme doit avoir dans la cinquantaine, barbu, l’air aussi perdu qu’eux. Il est attaché à un poteau à l’intérieur de sa prison. La particularité de la situation, c’est que de chaque côté de la cage, il y’a un mécanisme. Ils abritent chacun un revolver, visant la tête du prisonnier. Les deux armes sont solidement harnachés, impossible de les retirer ou de changer leurs trajectoires.

Les deux joueurs se regardent, ne comprenant pas très bien ce qui est en train de se dérouler. Seulement que cela ne ressemble plus du tout à un jeu. Une feuille de papier se trouve à leurs pieds. Anthony l’a ramasse et la lit à haute voix :

- Il s’agit de Dimitri Kirkov, un terroriste qui a tué plus d’une centaine de personne. Votre mission sera de l’exécuter. Mais pour que le jeu soit validé, vous devez appuyer sur la gâchette en même temps. Bonne chance.

A la fin de sa phrase, un écran qu’ils n’avaient pas vu, s’illumine et affiche un chronomètre. Il leur reste moins de 5mn.

Les deux joueurs se regardent tout tremblant. Ils n’arrivent pas à croire ce qu’on leur demande.

- Je rêve, ce n’est pas possible. Ce sont des conneries, pas vrai ?

- Je ne suis pas un tueur, je ne suis pas un tueur se répète inlassablement Anthony.

Le prisonnier se racle la gorge pour attirer leur attention, il les regarde longuement en silence, l’un après l’autre. Avant de dire :

- Ecoutez-moi. Dimitri, c’est bien mon nom. Mais le reste est faux. Je ne suis pas un terroriste, je n’ai jamais tué personne. Je suis un ancien joueur et j’ai fait la connerie de raconter ce qui c’était passé à un ami. Et voilà où je me retrouve, c’est ma punition.

Les deux adultes font les cents pas dans la pièce, terrifiés par ce qu’on leur demande.

- C’est n’importe quoi, il y’a des lois bordel ! s’exclame Catherine.

- La loi, c’est eux. Ils ont assez de pouvoir pour être intouchables. Ils font ce qu’ils veulent crache Dimitri.

Anthony lève les yeux vers l’écran, il leur reste trois minutes. Son cerveau est en ébullition à force de réfléchir à des hypothèses. Cela ne peut pas être réel. Il savait que le jeu serait risqué mais pas au point de devoir tuer des personnes. Abattre un chien l’a suffisamment traumatisé.

Puis, il se rappelle qu’il joue à un jeu. Qui dit jeu dit épreuve et qui dit épreuve dit test. Il se redresse, un sourire sur le visage.

- Il s’agit de l’épreuve de la détermination. Ils veulent voir si nous sommes prêts à tout. Je parierai qu’aucun coup de feu ne partira. C’est un test rien d’autre. Et il nous reste deux minutes pour le réussir.

L’idée commence à germer dans l’esprit de Catherine, qui finit par hocher la tête. Dimitri commence à paniquer, n’aimant pas la tournure des évènements. Il tente de se dégager violemment mais il est solidement ficelé. Il pousse un cri de frustration avant de se tourner vers les deux joueurs qui prennent chacun position sur un coté de la cage.

- Attendez ! Attendez un peu ! Vous ne pouvez pas faire ça. Ce sont des malades, vous ne savez pas de quoi ils sont capable.

- Relax, ce n’est qu’un jeu. Personne ne va être blessé. J’en suis sûr. Fais-moi confiance !

- Tu es en train de parier ma vie dessus lui répond Dimitri d’une voix tremblante.

Les deux joueurs sont en position, leurs mains moites serrées autour de l’arme. Catherine a tout d’un coup des doutes et relève la tête vers son partenaire. Ce dernier lui répond d’un hochement de tête, confiant. Anthony compte jusqu’à trois pendant que Dimitri hurle de désespoir. En arrivant à trois, les deux joueurs appuient sur la gâchette. Répandant dans un nuage de poudre, de la cervelle et du sang un peu partout. Sous le double impact, la moitié de la tête de l’ancien joueur a explosé, des morceaux de cervelle et de sang volent un peu partout. Les deux adultes couverts de sang, reculent, hébétés, sous le choc. Catherine est la première à craquer, hurlant d’hystérie pendant qu’Anthony s’écroule à genou. Il a l’impression que son monde vient de s’écrouler, que tout est flou autour de lui.

- Oh mon dieu ! Oh mon dieu, qu’est-ce qu’on a fait ? On a tué un homme !

- Je ne pouvais pas savoir. Ce n’est pas de ma faute. Je ne pouvais pas savoir répète Anthony, les larmes aux yeux.

Les organisateurs ne leur laissent que quelques minutes de repos avant de lancer les festivités.

Une musique d’ascenseur résonne à travers différents hauts parleurs. Avant qu’un pan du mur de droite coulisse sur le côté, donnant accès à un long couloir.

Anthony jette un coup d’œil dans ce nouveau passage, voulant penser à autre chose qu’au cadavre sans tête. Il voit une porte au fond. Il se doute qu’il s’agit de la toute dernière épreuve. Il pousse un soupir, n’étant pas très désireux de savoir ce qu’on leur réserve. Qu’est ce qui pourrait être pire que tuer un homme. Anthony n’a pas très envie de le découvrir.

Si ce n’était pas pour son fils, il aurait tout arrêté. La vie de nos jours a beau être dure, on ne joue pas comme ça avec celle des gens. C’est tout simplement inhumain. Anthony a envie de cracher au sol son mépris pour ces sadiques d’organisateurs. Ils ont dû bien rire lorsqu’ils ont appuyé sur la détente. Tout ça n’est qu’un jeu pour eux. Anthony n’est qu’un pion. Cela a beau le plonger dans une colère noire, il n’a pas le choix. Il doit l’accepter, il a signé pour ça ! C’est trop tard pour regretter. Trop tard pour faire machine arrière. Il se promet de tout faire pour que la mort de Dimitri ne soit pas vaine.

Autant en finir une bonne fois pour toute, se dit l’informaticien en se relevant et en avançant vers le couloir. Quoi qui se dressera devant lui, il le vaincra. Il n’a pas fait tout ce chemin pour perdre maintenant. Il s’en fait la promesse.

Catherine ne semble toujours pas remise, grelotante, en étant de choc. Elle le regarde avec de grands yeux, comment s’il avait perdu la tête.

- Vous ne comptez pas continuer leur jeu quand même.

- Je ne vois pas d’autres solutions. Vous, comme moi sommes en état de choc. Mais on ne peut pas abandonner maintenant. Si on le fait, la mort de Dimitri n’aura servi à rien. On doit leur prouver qu’on est plus forts que ça !

- Je ne sais pas si j’y arriverai balbutie Catherine

- On a commencé ensemble, on finira ensemble. Juste suivez-moi, je m’occupe du reste.

Catherine n’arrive plus à penser par elle-même, totalement perdue. Elle finit par hocher timidement la tête, ne voulant de toute façon pas rester seule dans cette pièce. Elle le suivra, quoi que cela lui en coûte.

Les deux adultes se tiennent la main, pour se donner du courage et avancent à travers le long couloir. Anthony ne peut s’empêcher de se demander s’ils sont toujours dans le hangar. Ce dernier semble immense.

Ils s’arrêtent devant une porte en bois, un papier a été accroché dessus. Anthony l’arrache, voulant découvrir la nouvelle invention macabre des organisateurs. Il le lit avant de le donner à Catherine. Ils affichent tous les deux un regard perplexe. Ne sachant pas comment ils doivent prendre les choses.

« Bravo !! Voici votre dernière épreuve. Si vous décidez de franchir cette porte, aucun retour en arrière n’est possible ! Choisissez bien ! »

Catherine pousse un long soupir de dépit, épuisée aussi bien physiquement et moralement.

- Qu’est-ce que ça veut dire encore ? se lamente la mère de famille.

- Ils veulent peut être nous faire peur.

- Eh bien, c’est réussi !

Anthony souffle un bon coup, essayant de faire des exercices de respiration. Mais le résultat n’est pas à la hauteur, il est toujours aussi stressé. Il se tourne vers Catherine et hoche la tête pour lui faire comprendre qu’il comprend ce qu’elle ressent.

- Ecoutez, on a vécu l’enfer. Je serai en état de choc plus tard, là je dois avancer. Pour mon fils. Je ne peux pas m’arrêter là. Pas après tout ce cauchemar. Je vais passer cette porte. A vous de choisir ce que vous voulez faire.

Catherine est au bord de l’effondrement mais elle ne s’écroule pas pour autant. Elle hoche mécaniquement de la tête. Au départ, elle faisait tout ça pour sa fille. Pour la rendre heureuse dans les derniers mois qui lui restent à vivre. Mais maintenant, elle veut juste sortir de cet enfer, peu importe qu’elle perde. Sa vie paisible, ennuyante lui manque et elle donnerait tout pour la retrouver. Sa fille comprendra que parfois, on ne peut pas obtenir ce que l’on veut. Que c’est important d’avoir des principes et de s’y tenir.

La main sur la poignée de la porte, Anthony se tourne vers elle, afin de savoir si elle est prête. Elle lui répond de manière affirmative, désireuse d’en finir une bonne fois pour toute. Les deux adultes s’engouffrent dans la dernière pièce, s’attendant au pire.

Il s’agit d’un ancien bureau, mesurant près de 40m². Il a dû être abandonné depuis longtemps, vu l’état d’insalubrité de la pièce. D’anciens mobiliers trainent un peu partout, sous des multitudes de couches de toiles d’araignée.

Mais ce qui attire le regard des deux adultes est un petit chiot blanc, allongé au sol, dormant paisiblement. Il s’agit d’un labrador qui ne doit pas être âgé de plus de cinq mois. Anthony et Catherine ébauchent leur premier sourire depuis le début du jeu. Ils ont enfin droit à la récompense tant attendue. La troisième épreuve était de savoir s’ils allaient avoir assez de volonté pour traverser la porte. Le mot accroché dessus était uniquement pour les tester, pour leur faire peur.

Malgré tout ce qu’ils ont vécu, ils se sentent tout deux soulagés. Un poids énorme en moins dans leurs poitrines. Tout est fini, ils ont réussi. Ils se regardent et rient nerveusement sans pouvoir s’arrêter. Leurs nerfs en ont pris un sacré coup avec toute cette histoire. Ils regardent de chaque côté, à la recherche du deuxième chien. Se disant qu’il doit aussi dormir dans un coin.

Lorsque soudain, ils entendent une voix à travers un haut-parleur accroché au mur. Il s’agit de celle de l’androïde qui s’est occupé d’eux. Elle est toujours aussi joviale :

- Félicitation !! Votre récompense est devant vous. A vous de choisir qui le mérite. Ceci est la troisième épreuve.

Anthony n’en revient pas, alors qu’il pensait être prêt au pire, il n’avait en fait rien vu. Ce jeu est le fléau le plus épouvantable du monde. Alors que tout est fait pour créer une solidarité entre les joueurs, maintenant ils veulent qu’ils se déchirent. Les organisateurs sont des sadiques, les pires au monde. Il comprend mieux le thème de l’épreuve : le sacrifice.

Après avoir traversé tout ça, personne n’abandonnerait. Pas aussi près du but. Pas alors que l’on peut voir la récompense devant son nez. C’est ça le pire : pouvoir la voir, la toucher mais ne pas repartir avec. Comment peut-on jouer avec les émotions des gens ?

Contre toute attente, Catherine éclate de rire, ne pouvant s’en empêcher face à la folie de la situation.

- Ils s’attendent à quoi ? ils pensent peut être qu’on va s’entretuer. C’est du délire !

La mère de famille se tourne vers Anthony pour savoir s’il trouve la situation aussi ridicule qu’elle. Pour toute réponse, elle reçoit en pleine face le dossier d’une chaise. La joueuse grimace sous la douleur, crachant du sang et des dents, avant de s’écrouler au sol.

Le visage ravagé par la folie, Anthony lâche la chaise qu’il a ramassé. Il pousse un cri d’animal avant de se jeter sur sa partenaire. L’homme n’a aucunement l’intention de lui laisser le temps de reprendre ses esprits. Il enserre la gorge de la joueuse blessée et commence à serrer. Catherine tente de se dégager, se débattant à coups d’ongles mais la poigne d’Anthony est trop ferme. Ce dernier hurle de rage, tout en serrant le plus fort possible. De la bave coule de ses lèvres, tellement il est aspiré par sa transe meurtrière. Catherine l’implore du regard, ne voulant pas mourir.

Anthony est tellement plongé dans sa folie, que c’est comme s’il ne la voyait plus. Il ne pense qu’à son fils. Il lui a promis un chien pour son anniversaire et c’est un homme de parole. Il n’a pas tout enduré, tout sacrifié pour s’arrêter maintenant. Il s’est promis d’aller jusqu’au bout, c’est ce qu’il est en train de faire. Catherine ne représente rien pour lui. Il ne peut y avoir qu’un seul vainqueur, c’est le plus fort qui gagne. Il faut être prêt à tout lorsqu’on participe à ce type de jeu. Catherine le savait, elle en paye le prix, c’est tout. Le fils d’Anthony passe avant tout.

Au bout de cinq minutes, Anthony reprend quelques peu ces esprits. Il découvre le corps sans vie de sa partenaire qui pend entre ses mains. Catherine est morte, le regard tétanisé de frayeurs avec des yeux terrifiés encore ouverts. Anthony recule vivement du cadavre encore chaud. Il veut mettre tout ça dans un coin de son cerveau et ne plus jamais y penser. Il sait que ce ne sera pas facile mais il n’a pas le choix. S’il ne veut pas plonger dans la folie. Tuer une personne de sang-froid, c’est quelque chose qui laisse des séquelles.

Dix minutes plus tard, Anthony sort du hangar, boitant et couvert de sang. Il continue à avancer, sa récompense serrée contre lui. Le chiot est réveillé et lui donne des coups de langue sur le menton. Anthony ébauche un sourire de dément. Heureux de faire partie des « winners ». Il sent au fond de lui que la folie ne demande qu’à l’envahir. Il a peut-être remporté le jeu mais il sent qu’il a perdu beaucoup plus derrière. Il a perdu son âme.

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