Premières promesses
Jeudi 4 juillet 2018, Aéroport :
Ou du moins, c'était ce que je pensais.
Les 11h de vols furent sombres. Juste sombres.
Les dents serrées, les jambes tendues, les paupières scellées.
La musique vicée dans les oreilles, j'entendais tout de même les petites voix. Vous savez, celles de la solitude, chantant les désillusions.
Je tentais de ne pas y prêter garde. Enfermée entre les accoudoirs de mon siège, je suffoquais ; grelottais.
C'est fébrile que je descendis de l'avion.
Peur qu'à nouveau mon corps trahisse mon mal.
Peur que l'on voit que j'étais défoncée, un produit disfonctionnel.
Je soufflais pour révoquer les larmes.
J'étais à l'Ile Maurice. J'étais à l'autre bout du monde pour un mois. Je m'étais fait le serment de ne laisser passer aucune opportunité ; de tout prendre de cette expérience telle un pillard, aussi bien les présents que les épines de l'apprentissage. Je devrais vivre, rendre cela life-changing.
Ma mission ? Pas de prétention. Simplement, transmettre de l'espoir ; permettre de voir un peu plus grand, un peu plus loin ; être là.
A cet instant, je visualisais difficilement comment je pourrais être en état.
Le moindre effort se dressait en gigantesque obstacle.
Ainsi, il fallait que je me rééduque. Que je réapprenne à croire en moi. Un pas à la fois.
Je m'accroupis à terre dans la queue dix minutes. Non sans raison : dans l'espoir de trouver dans mon sac et de compléter un formulaire stipulant que je respectais toutes les normes nécessaires à mon entrée dans le pays.
A quelques minutes de l'atterissage, il a été demandé aux passagers de renseigner deux documents : l'un assurant que l'on ne causerait pas d'épidémies délétères ; l'autre indiquant que l'on n'avait ni pour intention d'apporter de la misère en fuyant la notre, ni de profiter du marché mauricien tout en nuisant aux points vitaux économiques du pays.
Il était requis de noter sur le papier en question notre adresse de résidence. C'est la recherche de cette dernière information qui me conduisit à tenir une position amphibienne, les bras débordants d'affaires, en quête de wifi pour joindre mes contacts au bord de mes 8% de batterie. Je n'avais pas la moindre fichtre idée de la position de mon futur domicile - sens de l'organisation optimal. Soudain la perspective d'être retenue à l'aéroport dans mon état belliqueux me fit paniquer sévèrement.
Une présentation s'impose pour la suite de cette aventure : ce fut mon professeur de marketing, Monsieur Albert Fleur de Sel (préservons l'anonymat de nos pairs), qui me répondit dans la minute. Homme d'exception, il fait partie de ces personnes qui attirent instantanément le respect - si ce n'est la crainte pour ceux qui ne verraient pas chaque pépite d'humanité habitant ses gestes. Si les faits parlent davantage, il avait étudié à la meilleure école de commerce de Tokyo ainsi qu'à Harvard. Il enseignait désormais à l'ESSEC, une autre école et HEC, continuait une activité de conseil pour de grandes entreprises et avait créé avec l'un de ses étudiants essequiens une association destinée à aider des jeunes connaissant la précarité et/ou de forts déséquilibres familiaux.
Le programme que je suis actuellement incluais une expérience humanitaire à effectuer pendant un mois de préférence à l'étranger. C'est sans hésitation que j'ai accepté la proposition d'Albert de m'embarquer dans cette épopée à l'Ile Maurice, son pays d'origine qui lui manque terriblement. J'ai une confiance aveugle en cette personne et en sa capacité à nous faire vivre l'Incroyable. C'est aussi avec une curiosité préoccupée que je souhaitais découvrir la terre qui le laissait tel un amour impossible en proie à un déchirement visible.
Ainsi introduit, Albert m'envoya depuis la France l'adresse où mes camarades et moi logerions. Nous allions habiter Albion, Avenue des Barracudas.
Mon passage au premier office de douane fut sous quelques aspects comique. Il me fallut me pencher sur le guichet pour capter la tête de l'agent de control -hindou enrobé moustachu à lunettes. Non pas que la taille de l'homme fut excessivement petite ; le box devait surement être designé pour l'accueil de touristes de grande stature.
Inquisiteur, il me demanda l'objet de mon voyage.
-"Tourisme."
C'était faux. Afin d'éviter l'édition d'un visa de travail, notre responsable de stage nous avait demandé de prétendre à un séjour de loisirs. Ce qui nous mettait dans une légère illégalité :)
-"Où allez-vous résider ?"
Dans tes fesses.
-"Avenue des Barracudas, Albion." Il me jeta un regard oblique. Quoique je n'étais pas sure qu'il me regardait moi ou les poils de ses sourcils.
-"C'est une location ?"
-"Non, je vais résider chez un ami."
-"Ah, votre petit ami ? Vous connaissez des personnes de Maurice ?"
Je ris nerveusement.
-"Non, pas mon petit ami. C'est un ami de mon école qui est mauricien qui m'a proposé de venir en vacances ici. Il y a de la famille."
-"Vous faites quoi comme études ?"
Je balançais inconfortablement entre la causette et le scanne de ma potentielle criminalité.
-"Une école de commerce."
-"Et vous résidez où en France ?" Me demanda t'il examinant chaque ligne de mon passeport.
-"A Paris."
-"Ah ! Je suis allé à Paris !"
-"Ah, vous avez apprécié ?"
-"Oui, très belle ville... Beaucoup de Noirs par contre et comment vous les appelez ? Des Roumains ?"
Prise entre consternation et hilarité, je sentie que mon corps entamait un mauvais cycle de digestion. Ou était-ce la brique de riz vegan de 2h du matin ?
-"C'est bon tout est en ordre." Il me tendit mes papiers.
-"Du coup, vous les appelez comment ?"
-"Euh... Roumains."
Je lachai un "bonne journée" et filai vite.
La valise finalement récupérée de façon chevaleresque - trois individus faillirent être assomés - je me dirigeai avec une fausse assurance vers la sortie lorsque je me fis interpeller.
-"Mademoiselle !" Tonna une grosse voix. Il s'agissait d'un vigile.
Décidemment, j'étais suspecte. Il me fit lui présenter mon passeport et me questionna sur la contenance de ma valise. Drogue ? Sucre ?
Sucre ? L'économie sucrière représente un tel avantage que l'Etat tient un control stricte d'une quelconque importation.
Je repris mon chemin. Aux portes de l'aéroport m'attendait mon futur tuteur et sa fille, Nicolas et Maria. Locaux d'une générosité rare, ils entretenaient un lien fin d'amitié avec Albert Fleur de Sel.
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