Chapitre V
Victoire inspira une vague odeur de brûlé et d'acide. Elle toussota et cracha de l'eau. Une douleur lui arracha un gémissement. Ses yeux s'entrouvrirent péniblement. Sa vision était floutée, comme si il y avait un mur de fumée entre ses yeux et l'endroit où elle se trouvait. Elle respira pronfondément.
La cadette était allongée sur le côté dans une position inconfortable. Elle était à moitié immergée. Victoire observa les alentours.
Devant elle se trouvait un très beau chêne si il avait eu des couleurs. Elle plissa les yeux et remarqua que tous les arbres étaient de la même couleur.
La cadette se releva sur ses coudes et réussit à effleurer le tronc.
« De la pierre. On dirait de la pierre. »
- Victoire !
L’intéréssée sursauta et gémit de douleur. Aussitôt, un bruit de pas vint vers elle et elle reconnut Arsèce, suivi de Jaréa. Cette dernière lui demanda :
- Tout va bien ? Soeurette ? Tu m’entends ? Tu n’as rien de cassé ?
La cadette voulut se relever mais sa tête se mit à tourner. Quand elle retrouva ses esprits, elle réussit à articuler :
- O-Où... s-so... mmes-nous... ?
- Aucune idée, répondit Jaréa.
Juste à ce moment-là, une longue plainte stridente s’éleva. Victoire frissonna violemment. Elle se rallongea. Elle voulait juste dormir, et ne jamais se réveiller pour ne plus subir la douleur.
« Que m’arrive-t-il ? »
Jamais elle n’avait encore songé à abandonner.
« C’est cet endroit qui me fait perdre la raison ? »
La cadette mobilisa ses forces pour se lever. Jaréa la soutint. Ensemble, elles s’éloignèrent du point d’eau. Arsèce les suivit.
Victoire écoutait avec attention. Aucun bruit ne s’élevait à part quelques plaintes de temps à autre. La forêt de pierre semblait s’être figée dans le temps. La curieuse odeur était toujours présente et donnait l’impression d’être entourée de fumée. La cadette n’aurait pas été étonné de voir des flammes. Jaréa lui chuchota :
- Qu’est-ce que c’est que cet endroit ?
Arsèce siffla.
- Regardez le plafond.
Les deux soeurs levèrent les yeux. Le plafond était fissuré et semblait soutenir toute la montagne. Une légère lueur orangée "sortait" du plafond. La cadette baissa les yeux et soudain, elle remarqua qu’un des rochers avait une curieuse forme. Elle plissa les yeux.
« Une statue ?! De... rapace? »
Elle s'en approcha mais lorsqu'elle voulut la toucher, celle-ci tourna sa tête vers elle. Victoire poussa un cri de terreur.
- Et bien... je ne pensais pas que des humains seraient envoyés..., soupira-t-elle d'une voix rauque.
« C'est comme si elle ne l'avait plus utilisé depuis... je ne sais combien de temps. Une éternité. »
Arsèce s'approcha à son tour:
- Qui es-tu? Comment peux-tu parler alors que tu es...
- Pour votre gouverne, je ne suis pas une statue, je suis en train de le devenir, l'interrompit-elle.
- Comment est-ce possible? demanda Jaréa, horrifiée.
- Je n'en sais rien. Tout ce que je sais, c'est que ce lieu est maudit.
- Comment ça?
- Pendant les premiers jours, on cherche la sortie puis notre volonté faiblit. On commence à errer puis au bout d'un moment, on perd l'envie de bouger. Petit à petit, on se change en pierre. Comme les arbres alentours. Enfin, c'est comme ça que ça s'est passé pour moi.
Victoire frissonna. Ainsi, cette envie de ne plus bouger venait bien de cet endroit.
« C'est... horrible. Comment peut-on subir ca? Mais surtout, y a-t-il un moyen de sortir? »
Comme si le rapace avait lu dans ses pensées, il ajouta:
- J'ai volé jusqu'en haut de cette grotte. J'ai cherché partout une sortie qui n'existe certainement pas. Tout est comme gris, changé en pierre pour toujours.
- Et il y a d'autres... animaux qui sont dans..., demanda Jaréa.
- Oui. Sur certains, il y a même déjà une couche de cendres qui les recouvre...
- Depuis combien de temps te changes-tu en statue? voulut savoir Victoire, même si elle redoutait la répnse.
- Et bien... aucune idée, déclara le rapace. J'ai très vite perdu la notion du temps. J'ai parfois l'impression d'être là depuis des siècles mais je serais normalement déjà mort depuis longtemps... à moins que...
- À moins que ce lieu vous "laisse vivre", que le temps de vous changer en pierre, termina le Giquareu.
- Oui. D'ailleurs, laissez-moi seul. J'aimerais terminer cette transformation seul.
- Vous n'avez pas d'indice à nous donner? le supplia Jaréa.
Le rapace sembla réfléchir.
- Et bien... si vous me dites qui vous êtes, j'ai peut-être un indice à vous donner. Peut-être même deux.
- Je suis Jaréa et voici ma soeur, Victoire. Nous sommes les filles de Sir Urien. Et voici Arsèce, le seul Giquareu connu à ce jour.
- Les filles de Sir Urien? s'exclama-t-il. Je dois rêver. Votre père était un homme extraordinaire. Tout le contraire de son frère. J'aurais voulu travailler pour lui, devenir son plus fidèle serviteur. Enfin, vous connaissez la suite de l'histoire...
Le rapace semblait avoir de yeux que pour les deux soeurs.
- Alors?
- Vous lui ressemblez tellement...
- Écoutez, si vous ne voulez pas voir les deux filles de Sir Urien changé en pierre, dites nous ce que vous savez, insista l'ainée.
- Excusez-moi. En volant vers le nord, j'ai vu de loin une cascade magnifique. Très claire. Les cendres ne l'avaient pas recouvert.
- Et le deuxième indice? demanda Victoire.
- C'est une supposition. Vous avez déjà entendu parler de la montagne des songes?
Les deux soeurs se regardèrent. Victoire en avait déjà entendu parler, mais où?
« Mais oui! La légende! »
La cadette hocha la tête au rapace.
- Je savais que vous le trouveriez, commenta-t-il.
- Abrégez, le coupa-t-elle.
- Je pense que nous nous trouvons dans la faille qui a "avalé" la forêt.
- Qu'est-ce qui vous fait dire cela? Voulut savoir Jaréa.
- J'ai toujours su que la montagne des songes avait existé. Si vous voulez mon avis, les Giquareux ont fait quelque chose sur cette montagne. C'est pour ca qu'elle a disparu, et qu'elle est devenue maudite. D'ailleurs, maintenant je l'ai surnommé "la forêt de l'opacité".
- Vouc nous faites marcher! s'irrita Arsèce.
- C'est juste mon opinion, répliqua le rapace.
Les deux animaux se toisèrent avec véhémence. Jaréa s'interposa pour éviter que l'un des deux ne fassent quelque chose de grave.
- Stop!
Elle se tourna vers l'oiseau.
- Merci de nous avoir dit ça, peut-être qu'on pourra sortir de cet endroit.
- Et si tel est le cas, ajouta Victoire. Nous ferons en sorte de trouver une solution pour vous sortir de cet état. Mais pas que vous, tous ceux qui sont ici. Je vous le promets.
- Je vous crois. Dépèchez-vous alors. La cascade se trouve par là, leur indiqua-t-il en tendant un bout d'aile.
Un horrible bruit de pierre se fit entendre. Victoire grimaça. Le trio s'engagea dans la direction indiquée.
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