Le sablier "unificateur"
....Tic-tac, tic-tac, tic-tac, tic-tac, tic-tac, tic-tac...
S’il est bien une chose que nous subissons tout au long de notre vie sans pouvoir rien en changer, c’est ce Temps qui passe, emportant tout sur son passage.
Il fait cela de manière si imperceptible que l’on ne le sent que très peu en vérité.
C’est un voleur malin, c’est un voleur né, un voleur de nature.
Voyez vous-même :
Le présent est fait d’instants T, d’une durée indéterminée, que l’on peut comparer à de minuscules grains de sable qui ne cessent de glisser les uns après les autres dans un immense sablier qui a été retourné dès notre venue au monde.
Les grains de sable se trouvant dans la partie supérieure du sablier sont en fait des grains vides, neutres qui attendent de passer leur tour dans le centre ; vous savez cette partie toute fine qui relie les deux côtés. Cette partie-là, c’est elle le présent, et c’est donc elle qui va donner tout son sens au grain de sable jusque-là vide. En passant par-là, ce petit grain va être marqué de manière unique par un lieu, des gens, des émotions, des sensations, des pensées, des actes et plein d’autres choses. Ce centre du sablier est un « unificateur » : il donne une unicité à chacun de ceux qui passe par lui. Et il les relâche par la suite avec toutes ces empreintes, nous laissant nous, petit humains des êtres démunis. Car il faut le dire, on a participé à ce moment « unique », ou du moins on avait l’impression d’y être convié et d’y prendre part, on croyait être propriétaire de ce lieu, de ces émotions, de ces pensées, de ces actes, de ces évènements, de toutes ces choses qui finalement nous ont été volées puisque désormais, ils sont de l’autre côté du sablier et tout ce que nous pouvons faire c’est tenter de se rappeler tant bien que mal, comment était cet instant T au moment où il était encore dans nos mains en train d’être façonné. Que c'est bon de se souvenir des moments joyeux! Mais en même temps si douloureux de savoir qu'ils sont partis à jamais!
Eh oui hélas, car si notre sablier a été retourné une fois, il ne le sera pas une seconde ! Le temps ne va que dans un sens, c'est une fatalité auquelle on s'est habituée. Il ne nous reste donc plus qu’à se préparer à ces moments, si infimes et si intenses au cours desquels les grains sont entre nos mains et que nous avons encore le pouvoir d’en faire absolument ce que l’on veut. Et puis ne jamais croire qu’au regard de la tonne de sable qu’il nous reste en stock, on peut bien gaspiller quelques grains… Mais surtout détrompez-vous sur un point : même si une fois parti, le minuscule grain se fondra dans la masse des milliards autres qui lui ont succédés et apparaitra presque insignifiant pendant un instant, eh bien dites-vous que c’est pourtant lui qui aurait pu changer la donne des milliards autres qui vont venir après lui!
PS : je dois souligner qu’après avoir écrit ce texte, j'ai réalisé que le Temps n’est finalement pas tout à fait un voleur, pardonnez-moi pour l’erreur, mais ce n'est pas possible car il est en quelque sorte l’objet volé ; donc non le Temps ne fait en fait que s’offrir à nous l’espace d’un instant, l’espace d’une vie, puis repart, emmenant avec lui tout ce que nous avons pu lui apporter.
Et pourtant cette sensation de dépouillement et d’arrachement est bien présente...
Je prendrai comme témoin un fin connaisseur, un maitre en la matière, qui se fait ici notre porte parole pour s'adresser sans gêne, au Temps lui même, et sur un ton plutôt accusateur... J’ai cité, monsieur Lamartine :
« Temps jaloux, se peut-il que ces moments d'ivresse,
Où l'amour à longs flots nous verse le bonheur,
S'envolent loin de nous de la même vitesse
Que les jours de malheur ?
Eh quoi ! n'en pourrons-nous fixer au moins la trace ?
Quoi ! passés pour jamais ! quoi ! tout entiers perdus !
Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface,
Ne nous les rendra plus !
Éternité, néant, passé, sombres abîmes,
Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?
Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimes
Que vous nous ravissez ? »
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