Ce chiffon porte tous mes espoirs
Miranda,
il est temps que je me livre à toi.
Je sais que je te fais peur, malgré ma petite taille. Comme tous les autres, tu me crains et je vois bien ton regard inquiet lorsque je m'approche trop près de toi. Si tu savais comme cela me fait mal.
Je sais ce que vous pensez tous. Je sais quelle image j'ai donné de moi jusqu'à ces dernières semaines. Je suis ce petit être à la grand barbe qui grogne, qui menace de mordre dès qu'on s'avance vers lui. Celui qui n'ouvre la bouche que pour hurler et qui se jette contre ses barreaux jusqu'à s'en faire saigner le front.
Bien entendu, vous avez peur de moi. Je suis un monstre, n'est-ce pas ? Comme si nous ne l'étions pas tous...
Miranda, j'espère que tu liras cette lettre en faisant fi de tous les a priori liés à mes actes passés. Je change, je te le promets, et je tiens à ce que tu le saches, toi, tout personnellement.
Si tu ne m'as jamais entendu prononcer autre chose que des cris et des imprécations c'est, vois-tu, que je n'avais pour seul public que ces crétins qui venaient faire des grimaces devant ma cage, qui se moquaient et m'invectivaient eux-même.
Personne d'autre, jamais, ne m'adressait la parole. Comment auriez-vous donc pu soupçonner que je sois capable d'autre chose ?
Je rends mille grâces à Monsieur Tariffin de m'avoir sorti de ma cage. En me laissant défiler sur scène, pour partager enfin ces moments délicieux avec toi et Monsieur Turk sur l'estrade, il m'a fait le plus beau des cadeaux.
Les rires et les interpellations graveleuses que nous partageons deviennent mon moment de gloire, car je les partage avec toi.
Je n'ai pas l'occasion de te parler, pendant ma brève démonstration de naine à barbe, et c'est pour moi une grande frustration. Il fallait donc que je te l'écrive sur ce chiffon.
Miranda, j'admire tes rondeurs, je suis fou de tes joues rebondies... et ton regard charmeur, qu'il me frappe chaque fois que je le croise ! Je ne sais si c'est par la force des choses que ton visage est si expressif, mais chaque regard de ta part, chaque mouvement de ta tête met mon coeur en fusion. Mon esprit s'engourdit chaque fois que tu te tournes vers moi, et bien souvent je manque de perdre l'équilibre au milieu de ma parade - ce qui du reste amuserait sans doute fort notre public.
Miranda, je suis bien peu de choses. Contrairement à Monsieur Turk, je ne peux pas soulever ton chariot pour te ramener à ta roulotte. Contrairement à lui, je ne peux pas te mettre à table, puisque toi tu as droit à la table commune. Et pire que tout, sans lui pour me porter, je serai bien incapable d'atteindre ta bouche pour y déposer un baiser.
Mais j'espère, Miranda, que tu liras ce message, et que tu comprendras que quelqu'un, quelque part, se languit de toi, et rêve de partager quelques moments de rêves en ta compagnie.
En attendant, je brûle d'amour pour toi, et je n'aurai de cesse, désormais, lors de ma parade sur scène, de guetter le petit clignement d'yeux qui me prouvera que ce sentiment est partagé.
Ton dévoué Valentin, la naine à barbe
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