Le Billet

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Adam pensait à son Billet. Celui où étaient inscrits la date, l’heure, le lieu et la raison de son décès. Il ne l’avait jamais vu, bien sûr. Ses parents le gardaient précieusement caché depuis le jour de sa naissance où ils l’avaient reçu dans une enveloppe grise. Pourtant, il aurait beaucoup aimé connaître le secret de son Billet. Qui ne souhaite pas savoir quand viendra la mort ? C’était pour cette raison que les Billets causaient de nombreux problèmes. Certains parents le montraient à leur enfant, ce qui les plongeait parfois dans une angoisse qui ne trouvait son terme qu’en même temps que la vie. D’autres, comme les parents d’Adam, le gardaient à l’abri des regards de tous, mais alors cela entraînait de temps à autres une longue quête pour les jeunes qui voulaient tout savoir de leur mort. On trouvait dans les faits divers nombre d’agressions de couples par leur propre progéniture dans le but de leur faire avouer où était conservé leur Billet. Cependant, Adam n’était pas de ceux qui usaient de la violence. Lui se servait de ses yeux et de ses mains pour fouiller le moindre recoin de sa maison, espérant qu’il y trouverait ce qu’il voulait. Et ses recherches portèrent leurs fruits. Un beau jour, au fin fond de la penderie de ses parents, il aperçut, cachée derrière des vêtements, une serrure qui camouflait un petit renfoncement. Il dût prendre son mal en patience jusqu’à trouver la clé, mais il était certain qu’elle déverrouillerait la petite porte et son ignorance. Il ne fut pas déçu. Après des mois et des mois de recherches dans toutes les cachettes possibles, il la découvrit accrochée au milieu de ses semblables, et la petite niche s’ouvrit enfin sur deux enveloppes grises. Celle de son frère et la sienne. Sans moyen de les différencier, il prit la première et la vida de son contenu avec empressement. Son regard glissa sur le nom de son frère, puis sur la date de sa mort. Vendredi 29 septembre 2078. C’était dans moins d’une semaine. Le motif ? Un accident de voiture.

Adam resta sans bouger pendant de longues secondes, incapable de croire ce qu’il avait sous les yeux. C’était forcément faux. Après tout, ce n’était qu’un vulgaire bout de papier… Le détruire traversa un instant la tête du jeune homme, puis il se rappela que les multiples essais d’autres avaient échoué. Il abandonna donc ce plan et en adopta un autre qui consistait à empêcher à tout prix son frère de prendre la voiture. Il rangea le Billet de son frère, regarda le sien avec attention, soufflant de soulagement à la vue d’une date bien lointaine. Adam remit ensuite en place les deux enveloppes, disposa les vêtements comme il les avait trouvés et alla ranger la clé dans sa cachette.

— Alexis ! Tu as quelque chose de prévu ce soir ?

— Oui, je sors.

— Tu es sûr ?

— Oui pourquoi ?

Adam espérait de tout cœur que son frère le prendrait au sérieux.

— Fais-moi confiance, annule s’il te plaît.

— Pourquoi ?

— Parce que ! Je te le dis, c’est tout, tu ne dois pas sortir ! implora Adam

— Qu’est-ce qui te prend ? Écoute petit frère, si tu veux me convaincre, tu as intérêt à me donner une explication valable…

Le jeune homme emmena donc Alexis à l’écart, résigné à lui dire ce qu’il savait.

— J’ai trouvé nos Billets. Et tu… tu meurs ce soir, s’étrangla Adam.

— Quoi ?!

— Dans un accident de voiture, tu ne dois pas sortir !

— Putain Adam ! Tu n'aurais pas pu le dire plus tôt ?

— Je ne le sais que depuis quelques jours…

— Ok, ben je reste à la maison alors.

L’appréhension tordait le ventre de l’un et les lèvres de l’autre. Sans un mot, ils s’assirent dans le canapé et lancèrent un film, tentant de se changer les idées. Le début de soirée arriva et Alexis se leva brusquement.

— Tu vas où ? demanda immédiatement Adam.

Alexis se dirigea vers la porte d’entrée sans répondre.

— Mec ! Tu fais quoi ?

L’aîné regarda son cadet avec une lueur de détresse dans le regard.

— Retiens-moi ! S’il te plaît, je ne sais pas ce qu’il se passe !

Les deux frères regardèrent les pas d’Alexis qui le menaient vers la porte. Adam se précipita vers lui, attrapa son bras et le tira de toutes ses forces vers l’intérieur de la maison. Ils reculèrent tous les deux de quelques mètres, mais ils furent brutalement séparés et Adam regarda, impuissant, son frère sortir dehors, comme entraîné par une force invisible.

Quelques heures plus tard, ils furent tous les deux retrouvés morts ; le destin de l’un s’était accompli, et sur le Billet de l’autre, la date du jour remplaçait désormais celle qui figurait avant, accompagnée de la mention « On ne défie pas la Fortune ».

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