3. Un signal dans le noir (3) : sujets tabous
CORRIGÉ
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— Ce cair commence à ressembler à un jardin zoologique, fit ironiquement Elbereth en observant le caisson.
Elle n’avait pas tort. Entre les wyrms, les eyslyns, les carcadanns et maintenant le chien, notre vaisseau prenait de plus en plus l’allure d’une arche de Noé.
— Comment connais-tu ce mot ? demandai-je, ce à quoi elle se contenta de pointer Dea du doigt. C’est très bien. Nous sommes les porteurs de ce qu’il avait de mieux dans la Voie Lactée. C’est normal que nous abritions toutes sortes de créatures.
Elbereth haussa les épaules. Pour ma part, je programmai le réveil du chien et chargeai une eyslyn de me prévenir lorsque le processus serait terminé.
Dans le bain, le soir, je revins sur l’évènement de la journée.
— Je me demande comment ils auraient réagi en nous voyant, confiai-je à Ren qui paressait à mes côtés. Tu te rends compte, être secouru par un équipage du futur, composé d’une IA et de deux extraterrestres… Je pense qu’à cette époque, on ne savait même pas que ton espèce existait !
Ren reposa le verre de gwydth qu’il était en train de siroter et secoua la tête.
— Nous avons toujours connu ton peuple, et ils ont toujours connu le mien, fit-il en me regardant. C’est vrai qu’à une certaine époque, nous avons cessé de le fréquenter… Les humains s’étaient mis à nous haïr et à nous mépriser. Ils nous disaient malveillants, animés de mauvaises intentions. Les visites se sont espacées, ainsi que l’aide que nous leur apportions. Avant de cesser complètement.
Ren ponctua la fin de son petit récit par une gorgée de nectar. Je le sentais dépité de ce rejet de son espèce par les humains – c’était un sujet sensible, chez lui – mais je ne pus m’empêcher de penser qu’il y avait des raisons bien logiques à ce rejet.
— Et les esclaves humains ? murmurai-je en le regardant. Tu ne peux nier qu’il y en avait. C’est peut-être pour ça que les humains se méfiaient de vous !
Ren tourna son regard aigu vers moi.
— Les humains qui vivaient chez nous le faisaient depuis longtemps déjà, dit-il sur un ton assertif. Ils venaient tous de leur plein gré et en retiraient de nombreux avantages : je n’ai jamais vu d'humain traîné de force chez nous ou cherchant à s’échapper ! Et puis, il n’y en avait pas tant que ça. Il ne faut pas tout généraliser.
Sur un claquement de doigt, il convoqua une eyslyn, qui arriva avec la vasque qui contenait le nectar. Dubitative, je regardai Ren attraper la bouteille et me servir un verre d’office, avant de le pousser vers moi. Puis il s’en remplit un lui-même.
— C’est vrai qu’ils avaient un statut inférieur. Mais notre société était très hiérarchisée. Les mâles devait obédience aux femelles nobles, et elles-mêmes répondaient à la haute reine. Et, s’ils en émettaient le souhait, les tributs ayant effectué leur service pouvaient rentrer chez eux. Tous choisissaient de rester sur ta planète d’origine.
— Terra n’est pas ma planète d’origine, ne pus-je m’empêcher de placer, oubliant momentanément son histoire de « tributs ». Je n’y ai jamais mis les pieds.
Ren balaya ma remarque d’un geste agacé.
— Qu’importe que tu n’y ai jamais mis les pieds, ou pas : c’est de là d’où tu es originaire. Aucun de mes enfants n’a connu Ælda, mais ils en sont pourtant originaires, de par le sang. Et de Terra également, pour ceux que j’ai eu avec toi.
Pensive, je pris une gorgée dans mon verre et me remémorai l’accueil que recevait Ren à chaque fois que nous nous étions arrêtés dans une colonie humaine. La première fois que je l’avais rencontré, il se dissimulait sous un manteau qui cachait et son corps, et son visage. J’avais tout de suite été intriguée par lui, puis fascinée et émerveillée. Malgré tout, la première fois que je l’avais vu en pleine lumière, j’avais été terrifiée. Nos enfants seraient toujours vus comme des étrangers, des créatures non-humaines et dangereuses. Il n’y avait rien à faire contre ça.
Je relevai les yeux vers lui et le regardai. À force d’être observé ainsi, Ren pencha la tête sur le côté, intrigué :
— À quoi penses-tu ? me demanda-t-il.
— À Tyrn-an-nnagh, lui répondis-je. Et à la façon dont nous seront accueillis là-bas, tous autant que nous sommes : humain à l’ADN modifié, hybrides humain-ældien, machine dans une interface humaine, wyrm dans une interface ældienne, wyvern, chien, caracadanns, eyslyns et ædhel couleur de lune parlant Commun et s’habillant en humain. (Je marquai une pause.) Si nous y arrivons, bien sûr.
Sans rien dire, Ren se cala en arrière. Sur ses lèvres, je vis flotter une moue indécise. Il ignorait lui-même la réponse à cette question.
— Ne te prends pas la tête avec ça. L’important, c’est le voyage, pas la destination, fit-il en m’attirant à lui.
Calée contre son corps puissant — il était si grand, par rapport à moi ! —, je laissai mes yeux errer sur l’immense baie au-dessus de nous. À travers les plantes exotiques qui lançaient leur feuilles vers l’espace, il n’y avait aucune étoile visible. Juste le noir complet.
— Nous sommes perdus, Ren. Comme ces humains momifiés.
Pour toute réponse, Ren me saisit par la taille et me positionna face à lui. Je me retrouvai à cheval sur son ventre, un peu intimidée.
— Je t’ai dit de ne plus penser à tout ça. Fais-moi confiance. De toute manière, on ne peut pas retourner là-bas. On doit avancer.
Son index griffu vint caresser doucement ma lèvre. Je jetais un coup d’œil par-dessus mon épaule, alors qu’une chaleur familière grandissait dans mon bas-ventre.
— Tu veux tenter une configuration ? lui proposai-je dans un murmure embarrassé. Les enfants dorment... je suis un peu fatiguée, mais ça pourrait marcher.
Ren répondit par un sourire énigmatique. Parfois — et surtout ainsi, limitée par mes sens humains —, j’échouais à lire ses expressions.
— Ça veut dire quoi ? soufflai-je en jouant avec son pouce, qu’il promenait de plus en plus près de mes dents. Oui, ou non ?
Il secoua la tête.
— Non, alors ?
Nouveau refus.
— Allez, fais pas ton timide... On peut faire ça.
Ren me serra plus fort.
— Reste comme ça, captai-je alors qu’il enfouissait son visage sur mon épaule.
Je sentis ses dents mordiller gentiment ma peau. Je n’avais plus peur de la morsure depuis longtemps, même sous cette forme.
— T’es pas sérieux, Ren. Je veux pas te laisser en plan...
Ren ne disait rien. Ses mordillements s’étaient transformés en baisers, et cette fois, ce fut sa langue que je sentis sur ma peau.
— Ren...
Mes hanches se mirent à remuer. Tous les savants de l’univers avaient beau prétendre que les ældiens avaient des terminaisons nerveuses dix mille fois plus nombreuses et sensibles que les miennes, j’avais l’impression de ressentir les choses plus intensément sous cette forme imparfaite. C’était la mienne, celle avec laquelle j’étais née. Celle qui, dans un monde de machines et de cyborgs, faisait de moi une rareté.
— Oh, et puis merde ! grognai-je à l’oreille de mon compagnon. On va le faire. On n’en meure pas, pas vrai ?
L’espace d’un instant, je crus discerner la pupille elliptique de Ren dans le blanc laiteux de son œil, réduite à un mince filament.
— Tu es sûre ?
— Oui. Je pense que cette substance, là...
— Le luith.
— Voilà. Dea dit que ça a des propriétés anesthésiantes, expliquai-je en sentant mes joues chauffer.
Qu’est-ce que j’étais en train de lui dire, encore ! Mais Ren avait l’air de très bien saisir le message.
— C’est exact.
— Tu feras attention, hein... Je me vois mal demander à Dea de configurer le module médical, si ça... foire.
— Évidemment.
J’étais coincée avec Ren dans le vide, pour un voyage sans but ni destination. Qu’est-ce que j’avais à perdre ?
— Ça fait vraiment mal ? lui demandai-je tout de même, avant de me rappeler que Ren n’en savais rien.
J’étais la première humaine avec qui il couchait. Comment aurait-il pu le savoir ?
Mais Ren était honnête.
— Oui, ça fait mal, me répondit-il en me regardant dans les yeux. Mais le luith arrange beaucoup les choses. C’est ce qu’on dit, en tout cas.
Je baissais les yeux sur son torse, sur lequel mes deux mains étaient étalées. Minuscules, comme celle d’un petit singe.
Je pris une grande inspiration.
— C’est pas grave. Je suis pas une chochotte.
— Tu es sûre ?
Je lui jetais un petit regard sous ma frange.
— Tu me crois pas ?
— Si. Je te demande juste si tu as vraiment envie de le faire.
— Oui. J’en ai envie.
Ren me serra contre lui à nouveau.
— De toute façon, on a tout notre temps. Si tu n’y arrives pas aujourd’hui, ce n’est pas un drame.
— Tu ?
— Moi, je suis sûr de moi, répondit-il avec un demi-sourire.
La vue de ses canines me fit fondre. Je savais que ce sourire carnassier terrifiait la plupart des gens, mais moi, il me faisait craquer.
— Je te promets que j’y arriverai, répliquai-je en posant un doigt sur ses crocs. J’ai pas peur de toi.
— Si tu le dis...
— Je le dis, et c’est vrai.
Les baisers reprirent, doux et lents d’abord, puis plus fiévreux. Les grandes mains de Ren descendirent de ma taille à mes hanches, avant de venir se poser sur mes fesses. Il me poussait contre lui, contre la colonne de chair dure que je sentais désormais contre ma cuisse. Son membre était sorti, et comme ce jour si lointain maintenant, j’étais assise dessus comme sur un petit cheval.
Voilà. J’y suis. Cette fois, je vais surmonter mes peurs et relever le challenge.
Je connaissais suffisamment Ren pour savoir qu’il allait se montrer patient. Je ne risquais rien avec lui, absolument rien.
Lorsque je sentis l’extrémité de son sexe contre le mien, je faillis avoir un mouvement de recul. Pour l’avoir bien observé — rien de pervers là-dedans, je le jure ! —, je savais que, à l’échelle humaine, cette pointe effilée était déjà énorme. Mais je ne pouvais plus m’en aller. Il me tenait fermement, et je lui avais fait une promesse. Ce n’était pas le moment de flancher.
Je peux le faire.
Depuis le temps que j’y pensais... Ren était celui que j’avais choisi. Tout m’avait conduit à ce moment.
De nouveau, je croisais son regard. Il attendait, me demandait la permission. Je la lui donnais en attrapant ses lèvres entre les miennes. Parfois, mieux vaut se jeter à l’eau.
Mais la brûlure tant redoutée ne vint pas. L’oreille de Ren tiqua, et, à peine trente secondes après, le vagissement de Ninim retentit dans la salle.
— Maman, papa, qu’est-ce que vous faiiites ?
Ren me repoussa gentiment sur le côté. C’était ça aussi, la vie de parents.
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