5. Le bal des ombres (1) : nouvelles révélations
CORRIGÉ
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Après l’intervention de Ninim, les occasions d’avoir un peu d’intimité se firent plus rares, pour Ren et moi. Surtout que nous avions un nouveau passager, qui amenait encore plus de chaos dans notre petite famille. Une fois sorti de son caisson, le chien ramassé sur l’astronef n’eut qu’un court moment de latence avant de se mettre à renifler partout et à faire la fête : le vrai problème fut de trouver quoi sortir du syntoniseur pour le nourrir. Dea résolut le casse-tête en trouvant une vieille formule de nourriture pour chien dans ses archives. Malheureusement, dès la première occurrence de ce repas, la gamelle fut vidée par mes propres enfants. Ren en fut catastrophé : en le voyant feuler sur les petits, je compris que la continence était une question d’honneur, pour lui.
Il fallut encore deux semaines pour que je retrouve à nouveau seule avec Ren. Pour une fois, les petits ne s’étaient pas endormis dans notre lit. Je me demandais si Ren allait remettre le sujet sur le tapis... j’attendis, le cœur battant, qu’il m’en parle. Depuis la dernière fois, nous n’avions pas reparlé du sujet ni refait l’amour, et je pensais que cette soirée de calme serait la bonne. Je m’étais arrangée avec Dea pour qu’elle garde les petits et, après m’être attardée dans la salle de bain, j’avais revêtu les sous-vêtements affriolants que Ren m’avait offerts à l’époque où Mana vivait encore sur notre bord.
Lorsqu’il entra dans notre chambre, je fis mine d’être occupée en lisant un article sur ma tablette. Ren m’effleura gentiment en passant, puis il attrapa la commande de l’écran holographique, avant de s’allonger de tout son long de son côté du lit.
— On se regarde un film ce soir ? proposa-t-il en faisant défiler le menu.
Je lui jetais une œillade appuyée. Mais il avait les yeux fixés sur l’écran.
— « Alors que la guerre fait rage et que sa fiancée se meurt, un jeune officier prometteur séparé de son escadron est contraint de prendre refuge sur une planète hostile ». Ça a l’air bien. On le regarde ?
Je jetais un œil peu concerné sur l’écran. Ren avait choisi « Le courage de la légion », un film d’action à visée légèrement propagandiste qui relatait sous une forme nettement romancée les exploits des Astra Leo et l’avènement du Major Singh.
— C’est un film de propagande... et il est en tamoulien sous-titré en marsiche. Tu ne comprendras rien.
— C’est pas grave, tant qu’il y a de belles batailles et une bonne intensité dramatique !
Je poussais un soupir résigné. Depuis qu’il se gavait de vieux films humains, Ren se prenait pour un critique de cinéma.
— Ok... mais j’avais imaginé un programme plus excitant pour ce soir.
— Tu veux un autre film ?
— Je parle de faire une activité avec toi.
— On peut jouer au lugdanaan... mais je croyais que tu détestais ça.
— Tu refroidis, Ren. Retente ta chance.
— Tu pourrais chanter, et je t’accompagnerais au clairśeach.
— Je ne parlais ni d’une activité intellectuelle, ni artistique...
Ren me regardait, franchement décontenancé.
— Quoi, alors ?
— On pourrait faire une autre portée, soufflai-je avec une mine exagérée — faire le clown m’a toujours permis de briser la glace.
— Je ne suis pas en rut, m’annonça Ren sur un ton bizarrement jovial. Et tu ne trouves pas qu’on a déjà beaucoup de petits ? C’est la première soirée qu’on passe en tête à tête depuis un quart de lune...
— Justement, on pourrait en profiter, Ren. Et on n’est pas obligés d’avoir un projet parental pour faire du sexe...
— Mais c’est toi qui as amené cette idée sur le tapis.
— Pour que tu comprennes où je voulais en venir.
Et, comme il ne réagissait toujours pas, je finis par lâcher la bombe :
— Je veux faire l’amour, Ren.
— Ah.
Il fallait toujours tout lui dire.
Mais Ren me regardait soudain d’un autre œil. Il se redressa, et, sans prévenir, il se débarrassa de son uniforme.
Comme à chaque fois, la vue de son corps sculptural provoqua la compression de mes organes internes et l’accélération de ma fréquence cardiaque. Et, à mon tour, je retirai le peignoir que je portais sur mes sous-vêtements.
Ren me regarda en silence.
— Tu les as encore, observa-t-il.
— Je n’allais pas m’en débarrasser... je n’ai jamais rien reçu d’aussi beau de ma vie !
— Je ne t’ai jamais vu les porter avant.
Je lui répondis par un sourire que je voulais coquin. Ren tendit sa main, et la posa sur ma cuisse, qu’il caressa du bout des doigts.
— Dis-moi Ren, susurrai-je en venant me lover contre lui. Quand tu m’as offert ses sous-vêtements à l’époque... est-ce que c’était pour me faire passer un message ?
— C’était pour te montrer que tu me plaisais, avoua-t-il.
— Et là, ça te plait de me voir comme ça ? lui demandai-je en faisant mine de le pousser sur le lit.
— Ça me plait plus que jamais.
Assise sur lui, je profitais qu’il soit occupé à m’embrasser pour retirer lentement la minuscule culotte en soie le long de mes cuisses. Prendre la direction des opérations me rassurait. De ma main libre, je caressai le ventre de Ren, appuyant mes gestes d’une douce pression pour faire sortir son sexe.
L’organe ældien n’ayant rien à voir avec le pénis humain, il n’y avait pas besoin d’attendre qu’il se gorge de sang. À partir du moment où il était sorti de sa gangue, il était opérationnel. Je n’avais aucun moyen de savoir si Ren était vraiment excité, puisqu’il n’avait pas ses fièvres. Mais il pouvait me pénétrer à tout moment.
Je me sentais particulièrement audacieuse. Je me séparai de sa bouche un moment pour embrasser son torse, puis descendre plus bas sur le ventre. Ren me laissait faire tout en me surveillant du coin de l’œil. À quoi pensait-il ?
En arrivant devant son sexe, je relevai les yeux vers lui. Il continuait de m’observer : je rompis le contact et refermai mes doigts sur l’organe. Il palpitait sous ma peau, étrangement doux et froid. J’avais l’impression de tenir un objet magique, un genre d’arme organique. En temps normal, j’osais à peine le regarder, parce que sa taille et son aspect étrange m’impressionnaient. Mais cette fois, tout en remuant mes doigts le long de la hampe — que j’étais très loin de pouvoir saisir à pleine main —, je pris le temps de le regarder. Je me souvins de la curiosité que j’en avais au début, alors que j’étais une jeune obsédée qui ne connaissait rien à l’amour et au sexe, et de la description cauchemardesque que les gangsters de Demeria Tri en avaient faite. « Un truc énorme et tout noir, complètement alien ». Comme c’était loin de la vérité !
Ren, qui était jusque-là immobile, finit par donner un coup de hanche vers moi.
— Tu as envie, toi aussi, souris-je. Tu veux que je te prenne dans ma bouche ?
— Tu n’y arriveras pas, répliqua Ren. Tu n’as jamais appris.
Je me redressais.
— Appris ? Parce que ça s’apprenait ?
— Pour les humains, oui.
Cette information me fit l’effet d’une douche froide.
— Vous appreniez aux humains à faire des fellations sur des pénis ældiens...
— Pas moi. Ceux qui avaient des aslith.
Les aslith. Le mot ældien pour esclave.
— Dis m’en plus sur ces aslith, Ren.
Ren me regardait en silence. La mention des esclaves humains avait changé l’ambiance plus sûrement que l’intervention de Ninim.
— Qu’est-ce que tu veux savoir ? demanda-t-il en roulant sur le ventre.
Je savais que, s’il avait encore eu son panache, il s’en serait servi pour couvrir son intimité. Mais il ne l’avait plus.
— Comment étaient-ils... formés ?
— Tous les aslith n’étaient pas des esclaves de plaisir, m’apprit Ren.
— Mais ceux qui l’étaient ? Que devaient-ils faire ?
— Ça dépend de leur attribution. Ceux qui servaient dans les maisons de plaisir de la haute capitale possédaient le savoir-faire des courtisans. Ceux qui servaient dans les temples apprenaient à incarner les sældar. Ceux qui servaient un maître apprenaient à le satisfaire.
— Et ceux qui servaient un sidhe ?
Ren me fixa, imperturbable.
— Ils devaient savoir traire leur maître pendant ses périodes de fièvres.
— Traire ? Qu’est-ce que ça veut dire ?
Pas de réponse. Mais Ren continuait de me regarder. Il voulait que je devine.
Puis je réalisais.
— Oh.
Nonchalamment, Ren se cala sur le côté, appuyant sa joue dans sa main. Il avait l’air de me dire « je t’avais prévenue ».
— Et toi, Ren... tu as été « servi » par l’un de ces esclaves ?
— Ça m’est arrivé.
— Ça t’est arrivé ? m’exclamai-je en me redressant. Mais tu m’as dit que tu n’avais jamais possédé d’esclave, que tu n’en avais pas le droit et que cette coutume cruelle te déplaisait !
— Ces aslith servaient au temple du dieu de la guerre. Sur Æriban, lors des lunes rouges, c’était obligatoire. Les aslith avaient le droit de revendre le luith prélevé sur les aios. On appelait ça le « don de vie ».
— C’est vraiment affreux... ils le revendaient ? Pourquoi faire ?
— Pour les maisons de plaisir. Et les ellith achetaient la production de leur sidhe préféré.
J’étais sans voix. Je ne trouvais plus les mots.
— Mais je... Des femelles ældiennes comme Mana achetaient ta semence ? Et toi, tu supportais ça ?
— C’était la Voie des aios. Je le supportais.
— Mais tu aimais ça ? Que pensais-tu de cette coutume ?
— Je ne pensais rien.
Une fois de plus, je me heurtais à un mur. Mais Ren m’en avait dit beaucoup plus qu’il ne l’avait fait jusqu’ici.
— Et lorsque tu m’as vu tout à l’heure, tu as pensé... ça t’a rappelé...
Sans le savoir, avec mes grosses bottes, j’avais agi comme ces esclaves de temple qui « trayaient » Ren quelques millénaires plus tôt, réactivant ainsi un souvenir qui ne pouvait être que traumatisant. Ren ne me racontait rien parce qu’on l’avait traité comme un vulgaire étalon, un reproducteur tout juste bon à verser son sang ou son sperme. Et le pire de tout ça, c’est qu’il trouvait cela normal.
Ren attrapa la télécommande de l’écran pour le rallumer. Il avait compris que l’heure n’était plus au romantisme.
— Alors, on regarde quoi ?
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