Scission
— On s'en va, lâcha Ren sombrement à peine arrivé dans nos appartements. Prépare tes affaires : je veux qu'on parte tout de suite. Je vais prévenir Mana : il est hors de question que je les laisse toutes seules ici, elle et les filles !
Je le regardai, horrifiée.
— On ne peut pas faire ça, Ren ! On est bien ici. C'est la première fois qu'on peut se poser depuis des années ! Et il y a beaucoup à apprendre et à découvrir, ici, pour toi comme pour moi.
Ren me jeta un regard froid.
— Rien que la déception et la trahison, si tu veux mon avis. Et j'apprécierais assez que tu le suives, pour une fois. Crois-en ma longue expérience. Je connais ces gens : ils sont vicieux et sournois !
— Non ! Ils sont bons et aimables. Regarde comme ils nous reçoivent bien ! protestai-je en nous montrant la magnifique chambre qu'on nous avait allouée, et surtout cette vue enchanteresse et mystérieuse sur un monde qui, enfin, n'était pas l'espace, vide et noir.
Mais Ren restait aveugle à tout cela. Pour lui, de toute façon, il n'y avait que son vaisseau qui comptait, le meilleur endroit de l'univers, avec la meilleure comparse de l'univers, sa meilleure amie de toujours : la wyrm Elbereth.
— Ils nous mentent ! grogna-t-il en réponse à mes récriminations. Je sais de quoi je parle, il s'agit de mon peuple.
— Tu n'as aucune expérience de ton peuple : en dehors des situations de guerre et de l'arène du barsaman où tu les massacrais, tu ne les connais pas, toi qui a passé ta vie dans l'espace ou sur Æriban !
Ren se retourna pour me faire face, furieux.
— Quoi ? C'est donc ce que tu penses ? s'écria-t-il, les yeux incandescents.
— Je pense que tu te fourvoies. Tu es influencé dans le mauvais sens, et je crois savoir qui t'a mis toutes ces idées dans la tête !
— C'est toi qui te fourvoies ! protesta Ren, hors de lui. Et c'est toi qui subis de mauvaises influences ! Tu es victime du luith d'Arawn ! Et arrête d'incriminer ma sœur. Elle est peut-être arrogante et égoïste, mais elle est loin d'être bête. Si elle dit qu'on est en danger ici, c'est que c'est le cas !
— Tu veux que je te dise ? m'écriai-je alors. La vérité, c'est que ta sœur et toi, vous êtes jaloux comme des tigres ! Vous êtes furieux qu'Arawn me courtise, alors qu'il a envoyé bouler Mana et qu'il ait refusé de te reconnaître comme l'as sidhe d'Æriban !
Je sentis que j'en avais trop dit. Mais Ren m'énervait tellement ! Il fallait que je lui expose ses quatre vérités.
— Je me moque de ce qu'il pense de moi, grinça-t-il en réponse, les sourcils froncés. Certes, je n'apprécie guère qu'il te tourne autour, mais là, il ne s'agit que de ta propre responsabilité. Je te le répète, ça sent le traquenard et le sortilège à plein nez ! Fais confiance en mon instinct, un peu ! C'est lui qui m'a gardé vivant jusqu'ici. Quant au luith d'un mâle en rut, c'est normal que tu y sois sensible : tu es une femelle. Je t'avais déjà prévenue à ce sujet !
Choquée par son attaque, je le regardai entasser son peu d'affaires – principalement des bouquins et des vieux vêtements absolument importables ici – dans l'espèce de sac militaire humain qu'il se trimbalait depuis le vaisseau de Yany. L'idée de lui mettre une claque, pour m'avoir accusé de me rouler par terre à la seule odeur chargée de phéromones sexuelles d'Arawn, me traversa l'esprit un moment, mais je sus me contenir.
— Tu parles de luith ? Parlons-en ! Le sortilège, c'est ce que j'ai eu lorsque j'ai consenti à tout abandonner pour toi ! Mais j'en ai assez de te suivre dans ta quête nihiliste, Ren ! Tu ne nous emmènes nulle part, et moi, j'ai envie de découvrir cet endroit !
Ren se tut et me regarda en silence. D'un geste énervé, il jeta son sac sur le lit.
— Tu veux rester là ?
— Je ne te force pas à rester, lui rétorquai-je soudain. Puisque tu détestes autant les gens, tu peux aller t'enfermer dans ton cher vaisseau, et retrouver tes chères Elbereth et Dea. Elles ne te contredisent jamais, elles ! Moi, en tout cas, je reste ici. J'ai beaucoup à apprendre de ces ældiens.
Ren resta silencieux un long moment. Je savais que j'étais allée trop loin. Ren était de bonne composition, mais l'attaquer frontalement n'était jamais une sage idée. Je le savais. Mais, comme toujours, je fus incapable de m'excuser. Et je le laissai reprendre son sac et partir.
— Je reste amarré à leur vaisseau, murmura-t-il en le chargeant sur son épaule. S'il y a le moindre problème...
— Oui, je cours m'y réfugier, et je te laisse les massacrer, aidé de tes deux commissaires militaires, ironisai-je. Je connais le protocole, à force. Et ensuite, on se retrouvera tous seuls à nouveau pour errer dans l'espace, à ta plus grande satisfaction !
Ren secoua la tête, puis il rabattit la capuche de son shynawil sur son visage. Et il quitta la chambre.
Je le regardai s'éloigner, prise d'une vague colère et d'un grand sentiment de découragement. Il m'abandonnait. Seule ici, aux mains de ceux qu'il croyait nos ennemis.
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