Nouvelle rencontre
On dit l’Ethereal si dangereux qu’en général, peu de nautes apprécient les rencontres qu’ils y font. Mais voir la longue silhouette d’un vaisseau de l'Holos apparaître sur la baie cette première « nuit » de navigation fit bondir mon cœur dans ma poitrine. Le bâtiment en question était un gros-porteur structuré en anneaux, du type de ceux qu’on utilise pour le transport de colonies. Nul doute que leur bord regorgeait de denrées humaines délicieuses et de nouvelles fraîches de la galaxie. Profitant de l’absence du reste de l’équipage dans la salle des commandes – c’était mon tour de quart – je leur envoyai un signal sur une fréquence républicaine.
Ils me répondirent immédiatement.
— Ici le bâtiment de terraforming Astartes, identification T37845637. Capitaine Louis Wu. À vous ?
— Ici l’Elbereth, bâtiment militaire ældien sans identification. Je suis le capitaine Rika Srsen. Est-ce qu’on peut vous docker ?
J’entendis un petit cliquètement dans mon micro. J’avais bricolé ce système moi-même pour pouvoir communiquer sans passer par Elbereth ou Dea, de manière plus « manuelle » et maniable. Comme c’était artisanal, il y avait peut être un couac.
— Vous êtes un vaisseau non sapiens ? me demanda de confirmer ce Louis Wu.
Je poussai un soupir découragé.
— Écoutez, je suis une sapiens. Une partie de l’équipage est ældien, mais ils ne vont pas vous manger ! Ignorez l’autre vaisseau, en revanche.
— Celui qui est derrière vous, avec l’immense baie ?
Je confirmai, et leur demandai de préparer l’amarrage.
Je procédai à quelques réglages moi-même, positionnai le sas de l’Elbereth devant le leur, verrouillai la jointure puis enfilai ma combinaison de sortie. Les petits étaient là, dans leur panier : ils étaient restés avec moi pendant tout le temps de mon quart. Depuis quelques jours, ils étaient plus vifs et moins demandeurs de lait. La petite, en particulier, avait l’air très éveillée : elle avait même prononcé son premier mot deux jours auparavant.
— Maman ? demanda-t-elle en me voyant me préparer.
Elle ne savait dire que ça, mais elle le disait déjà de façon variée, exprimant plein de nuances différentes.
— Allez, viens, lui dis-je en la faisant monter dans mon sac à dos.
Son frère, qui était toujours dans son ombre – visiblement, le formatage des mâles ældiens commençait dès le panier – monta lui aussi. Je rentrai leur petites queues dans le sac et glissai vers le haut la fermeture éclair, en faisant attention de ne pas les coincer dedans. Puis, toute guillerette, je le chargeai sur mes épaules et me dirigeai vers la sortie.
Mais Ren veillait au grain. En le voyant dans le sas, tout prêt à m’interdire quelque chose, je me dis qu’il devait probablement me surveiller depuis de nombreuses heures, tapi dans l’ombre.
— Tu sais à quoi ça sert, un tour de quart ? lui demandai-je avec un demi-sourire. À permettre à tout l’équipage de bénéficier d’un quart de sommeil sans relâcher la surveillance. Quelle en est l’utilité si toi, tu restes debout toute la nuit à superviser celui des autres ?
En voyant qu’il s’apprêtait à répondre, je tendis un doigt impérieux devant lui.
— Attends ! Je dois te prévenir d’abord : interdiction de prononcer les mots inquiétude, danger, angoisse, attaque, ennemis, et hostile. D’accord ?
— Je voulais juste te donner une liste de courses, répliqua-t-il avec une mauvaise foi évidente.
Je lui souris franchement.
— Mais bien sûr. Alors, cette liste de courses ?
— Elle est dans ma tête. Je viens avec toi.
Je soupirai, cherchant à réfréner mon sourire.
— Prends une caisse de transport, alors.
Ren attrapa l’un des shinawil qui étaient accrochés dans le sas, le passa sur sa combinaison et sortit une caisse à sustentation magnétique. Je notai qu’il avait choisi de ne pas prendre les caisses de bord ældiennes, mais celles qu’on avait utilisées en transbordant du matériel de l’astronef padmien à l’Elbereth, et laissées ici. Il posa son doigt sur le bouton de démarrage et la fit partir d’une petite poussée du pied, la laissant flotter à environ dix centimètres du sol. Aussitôt, les autres caisses de la série s’allumèrent et se placèrent derrière en convoi.
— On pourra sans doute leur acheter des chips militaires, proposai-je en traversant le sas.
Ren acquiesça.
— De nouvelles sauvegardes imprimées et de nouvelles sauvegardes audio-visuelles, aussi.
— Je ne sais pas si nous aurons affaire à des antiquaires, Ren, le mis-je en garde pour modérer ses attentes. Il ne fallait pas qu’il soit déçu.
De l’autre côté du sas, trois humains nous attendaient, collisionneur passé en bandoulière, sécurité enclenchée. Ils n’avaient pas la tête à transporter des vieilleries vieille-terriennes pour les aficionados ældiens. L’un d’eux, dont le physique dénotait une souche génétique commune à la mienne, se présenta comme le capitaine. C’était Louis Wu.
— Rika Srsen, me présentai-je en lui serrant la main.
— Gustavo Doa, se présenta un autre.
— Gesto Doa.
Son frère, de toute évidence.
Discrètement, je poussai Ren, qui restait derrière, visiblement décidé à ne pas parler.
Les trois hommes lui jetèrent un regard rapide, puis ramenèrent rapidement les yeux à mon niveau, cherchant sur mon visage un genre d’explication. En tant que femme jeune, j’étais peu accoutumée à une telle considération : jusqu’ici, les nautes comme les clients m’ignoraient au profit du porteur de chromosome Y de l’équipage. Mais là, c’était différent : Ren n’était pas humain, et il faisait peur à ces hommes. Son silence total n’arrangeait rien.
— Dis quelque chose, lui susurrai-je en ældarin entre mes dents.
Ren se décida enfin à tendre sa longue main noire.
— Ar-waën Elaig Silivren, dit-il en Commun. Commandant de l’Elbereth.
Aucun des membres de l’équipage de l’Astartes n’osa la toucher. Finalement, après avoir échangé un bref coup d’oeil avec moi, Louis Wu se jeta à l’eau, imité par les frères Doa.
— Bon… finit par dire Louis Wu, mal à l’aise. Vous voulez entrer boire un verre ?
— Ce ne serait pas de refus, oui, concédai-je.
— On aimerait vous acheter quelques denrées, si c’est possible, ajouta Ren.
Les trois hommes se regardèrent à nouveau.
— Faut voir… Avec quoi vous payez ?
Ren sortit de sa poche l’uranocircite magique, accompagnée de deux autres cailloux, un argenté d’une brillance qui faisait presque mal aux yeux, et un autre cristallin et iridescent.
Les trois comparses se penchèrent sur sa main obsidienne, parfaitement adaptée à la présentation commerciale d’échantillons luminescents tels que ceux là. Louis Wu sortit de sa poche un petit radiomètre, et passa le rayon ultraviolet sur les pierres.
— Du mithrine et de l’iridium, confirma-t-il avec un large sourire. Avec ça, vous pouvez bien nous acheter tout le vaisseau ! Enfin, en nous laissant la barge… Combien vous en avez ?
— Dépendamment de ce que vous me donnerez, je peux vous fournir plusieurs dizaines de kilos de chaque. Mais en échange, il me faudra plusieurs tonnes de carbone en barre, le même poids en denrées et en objets divers.
Louis Wu émit un sifflement qui me laissa penser qu’il n’appréciait pas le deal, pourtant très avantageux.
— Plusieurs dizaines de kilos de mithrine ! Vous êtes propriétaire d’une mine, ou quoi ?
— De trois mines, pour être honnête, répondit Ren.
— Où ça ?
Ren sourit.
— Cela, je ne peux pas vous le dire.
Sa réponse fit rire les trois hommes, et l’atmosphère se détendit nettement.
— Allez, venez, nous pressa aimablement Louis Wu. On ne va pas faire nos comptes debout dans le sas, sans rien à boire !
Rassurée, je me tournai vers Ren, qui répondit à mon sourire en me montrant ses belles canines.
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