Chapitre 1 : Questionnements

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Partie I : La scène de crime

De toute ma carrière de détective, je n’avais jamais vu de scène aussi étrange. Dès que j’eus franchi le pas de la porte, je compris que cette affaire ne s’arrêterait pas à un simple cadavre.

Automne 1971. Scène de crime.

Ma voiture de service garée devant l’habitation laissait s’échapper de tournoyantes couleurs bleues et rouges par les fenêtres de la demeure, ainsi, j’avais pris le loisir de fermer les rideaux. Mes collègues m’avaient donné toutes les libertés concernant cette drôle d’enquête et c’est pourquoi je me trouvais seul dans cette entrée vide. Mes pas résonnaient froidement alors que je me dirigeai vers la pièce de gauche.

Il était là, étendu sur le ventre, le cadavre de cette pauvre femme. Sa position plus que théâtrale me donnait l’impression d’être l’acteur d’une de ses séries policières qui passaient à la télévision. Les jambes si croisées qu’elles semblaient presque emmêlées, les bras écartés en croix et une tête contre le sol avec de longs cheveux blonds cachant un visage sans vie. Une longue traînée de sang s’écoulait jusqu’à une impressionnante flaque sous la femme. Cette dernière semblait avoir été tirée depuis l’encadrement d’une porte située derrière elle. De cette alcôve, je pouvais deviner une grande horloge et une tapisserie de fort mauvais goût. Comme quoi, toutes mes enquêtes se déroulaient dans des maisons à la décoration douteuse. Avant d’aller la visiter, je me penchai légèrement sur la femme pour entrapercevoir un profil angélique doucement endormi dans la mort. Mais quelque chose me chiffonnait. De la fermeture de sa robe à motif de cubes, un bout de papier ressortait. Mais sa fine épaisseur m’indiquait que ce n’était pas une simple étiquette oubliée. J’arrivai à le débloquer avec difficultés et découvris dessiné un cube en feu surmonté d’un chiffre un romain. Certain que ce détail aurait son importance, je déposai délicatement la petite feuille dans mon classeur qui serait, je l’espérais, bientôt rempli de preuve.

Me relevant lentement et avec douleur, mes genoux grinçant sous l’âge qu’ils subissaient, je faillis perdre l’équilibre en me trouvant devant un mur stérile et sans aucune ouverture. L’embrasure que j’avais aperçue n’était pas, ou devrai-je dire, n’était plus là. Je tâtai le mur avec conviction mais absolument aucun endroit ne sonnait creux. Avais-je rêvé ? Je pris quelques instants pour reprendre mon souffle. Ma dernière investigation, qui avait été d’un mystère sans nom, m’avait presque dévasté. Mais je ne voulais pas rester à me morfondre dessus, c’est pour cela que j’avais presque sauté sur l’occasion d’une nouvelle affaire. Cependant, certains traumatismes ne voulaient pas se voir vaincu. Mettant cette sorte d’hallucination sur le compte de la fatigue, je pris la direction d’une nouvelle pièce.

Encore une fois, un audacieux papier-peint aux teintes orange et marron m’accueillit. La première chose qui me frappa fut le tableau d’un perroquet tout noir. Je n’avais encore jamais vu d’animal de cette espèce de cette couleur et me mis alors à gratter les bords pour en décoller la toile, persuadé qu’il s’agissait d’un indice. Il y avait inscrit « Parrot », et en-dessous « psittacus » sur la peinture et, par mégarde, j’arrachai ce deuxième mot de son canevas. Je le mis dans mon classeur puis fis face à l’œuvre : elle ne pourra apparemment plus rien ne m’apprendre d’autre.

Je me tournai alors vers le canapé qui prenait une grande place dans ce salon. Mon premier reflexe fut d’enlever tous les oreillers qui le recouvraient, et, pour une fois, mon plan fonctionna. Il y avait tout au fond du sofa un morceau de feuille semblable à celui trouvé dans la robe de la victime. Je pouvais contempler une main au cœur de laquelle se formaient des flammes et sous le chiffre romain deux. J’allais de nouveau ranger cet indice quand mes yeux rencontrèrent un panneau posé contre la tapisserie. Il y avait déjà d’accroché une église en feu accompagnée d’un trois devant laquelle je disposais mes deux papiers trouvés. De plus, une affiche publicitaire était également fixée. Soudain, mon sang se glaça lorsque mes iris décryptèrent le nom de la société mise en valeur. « Rusty Lake, Mental Health & Fishing ». Ce n'était pas la première fois que cette organisation se trouvait liée à des disparitions et crimes mystérieux mais, il faut croire que tout du long, je m’étais voilé la face. Il ne s’agissait pas d’un simple hasard et j’allais devoir élucider ces manigances.

Enfin, trois objets susceptibles de m’en apprendre davantage étaient disposés sur une table.

Tous d’abord, un cigare encore allumé trônait au bord d’un cendrier, sa fumée amère me piquant les yeux. Cette découverte était plutôt étrange. En effet, il avait été prouvé que la femme retrouvée morte ne fumait pas et n’avait personne dans sa vie. Qu’est-ce qui pouvait alors expliquer la présence d’un cigare encore chaud ? Un téléphone orange à cadran était bien branché et un vieux journal était déplié. Quelques articles sans importance le recouvraient, tous insignifiants, sauf deux. Le premier était une publicité pour une machine à écrire et le second pour gagner un voyage à… Rusty Lake. Je mis brutalement mes lunettes sur mon nez et lu les conditions. « Gagnez un voyage unique à l’Institut Psychiatrique et de Pêche Rusty Lake. Complétez les mots croisés, appelez le numéro ci-dessous et dites le mot ». Le numéro en question était composé de six chiffres mais les trois derniers avaient été rayés. Seul le zéro, le deux et le quatre étaient encore lisibles. Quant aux mots croisés, il y en avait quatre à trouver afin d’obtenir le mot caché.

« 1. Tableau de La Dame Du Lac

2. Perroquet

3. Neobuxbaumia

4. Vincent van Gogh : Chambre à … »

Je n’avais aucune idée des mots à trouver. Enfin… peut-être un. En neuf lettres, « psittacus » rentrait parfaitement dans la seconde ligne. Je décidai de l’y inscrire au stylo rouge. Mon objectif était désormais clair. Il fallait que je trouve un moyen de contacter Rusty Lake, c’était la clé de tout. Mais pour cela, il me fallait encore trouver trois mots et autant de chiffres. Les dés étaient jetés…

La dernière pièce de l’habitation était plus fournie que les autres. Pour procéder avec discernement, je commençai mon inspection par la droite. Je pus distinctement observer avec intérêt un tableau représentant une chambre. Dessous, il y avait un cartel sur lequel il était gravé « Chambre à Arles ». C’était un Van Gogh. Je m’empressai donc de retenir le mort « Arles ». Par ailleurs, chose plutôt amusante, il était possible d’ouvrir les volets de la chambre du tableau. C’est ainsi que je contemplai le nombre « 1853 » écrit précipitamment au feutre au-dessus de la douceur des vagues bleutées formant un ciel assoupi sous les pinceaux de Van Gogh. Une part artistique de moi était scandalisée par le sabotage d’une telle œuvre mais une autre prit les dessus et me remit sur les chemins de mon enquête. Il y avait sous le tableau un bureau. Celui-ci était recouvert d’un petit aquarium rond dans lequel étaient entassés une crevette, un énorme poisson et un imposant coquillage en spirale. Ils étaient si serrés qu’ils pouvaient à peine bouger et écraser deux faibles algues décharnées. Un fer à repasser brûlant marquait le bois du meuble. En outre, quatre petits tiroirs, dont l’un fermé à clé, s’écrasaient sous l’écritoire. Tous vides.

Mes espoirs défaillaient à vue d’œil, mais je refusais de me laisser abattre. D’un pas déterminé, j’allai me planter devant une haute étagère. Tout en haut de cette dernière se tenait un cactus avec une étiquette enfoncée dans son pot. En prenant de l’élan, je réussis malgré tout à la récupérer et je remarquai avec joie que cette plante était un Cactus Neobuxbaumia. Plus qu’un dernier mot à trouver !

Sur l’étagère du milieu, seize romans étaient tassés. Naïvement et sûrement à cause de trop de lecture, je les réorganisai du plus petit au plus grand. Évidemment, rien ne se passa. Seulement, par acquit de conscience, je décidai de faire de même du plus grand au plus petit, et là, stupeur générale. La planche qui soutenait les livres se suréleva légèrement sur une fine trappe. À l’intérieur, quatre chiffres romains, chacun face à un système de symboles à faire défiler. Je compris immédiatement qu’il fallait faire le lien avec les morceaux de feuilles accrochés au panneau du salon. Cependant, il n’y avait dans cette étagère que des formes géométriques. La solution me paraissait si loin, et pourtant, si proche…

Je me concentrai alors avec déception au rayon suivant. Des poupées russes. Jeu plutôt amusant pour les enfants, mais beaucoup moins pour un enquêteur. Qu’est-ce que je pouvais bien découvrir ? La première poupée était tout à fait normale, une fille tenant une rose. La suivante était une chouette, ou bien un perroquet ? Je ne savais pas vraiment. À ma plus grande stupeur, la troisième était bien plus inquiétante. Une jeune fille blonde se tranchait la gorge. J’essayai à tout prix de taire mes émotions mais mes mains tremblèrent lorsque je l’ouvris. Heureusement, ce n’était qu’une figurine d’oiseau. Cependant, quand je séparai ses deux parties, une décharge traversa tout mon avant-bras. Soudain, je sentis l’air devenir plus froid, plus sombre, plus…glaçant. La dernière poupée était un animal, je n’aurais pu dire quoi. Il était tout de sombre recouvert et seuls deux yeux vides, blancs ressortaient de son pelage. Je savais que c’était la toute dernière figurine, et que ce qu’elle camouflait n’augurait rien de bon. Mais je ne pouvais pas m'arrêter là. Jamais, dans une seule de mes affaires, je n’avais été aussi prompt à la peur. Cette terreur me semblait presque surnaturelle. Alors, avec prudence, je disloquai les deux moitiés de l’animal.

Une clé. Une si simple clé m’avait mis dans tous mes états. Me reprenant mentalement, j’essayai d’ouvrir un tiroir du bureau. Mais cela ne fonctionna pas. Au lieu du tiroir, ce fut un des deux placards sous l’étagère qui s’ouvrit. À l’intérieur, un bocal contenant des mouches m’attendait. Je ne voyais pas en quoi des mouches pourraient me servir, à part pour des animaux. Et les seuls que j’avais vus se trouvaient dans l’aquarium. Lorsque l'un des insectes y plongea, elle alla presque d’elle-même vers la coquille et alors qu’elle allait y rentrer, une atrocité eut lieu. Mes poils se hérissèrent, mes pupilles se dilatèrent abruptement et ma bouche s’assécha d’une seule seconde. Raide. Mon corps était raidi par l’horreur. Le seul son que j’entendais était celui de mon cœur qui battait dans mes oreilles. Car devant moi, un doigt était sorti du coquillage. Il avait repoussé la mouche qui était devenue rouge. Celle-ci s’était faite dévorée par le poisson qui, subitement, disparu. Rien d’autre que le choc n’avait sa place dans ma tête à cet instant. Horripilé, je n’avais même pas remarqué la fine clé qui était apparue à la place du poisson. Je devais, je sais, je devais revenir sur terre. Mais tous mes sens étaient stoppés. Mécaniquement, ma main livide s’empara du morceau de métal qui attendait négligemment au fond de l’eau. Elle s’approcha ensuite du tiroir du bureau qui s’ouvrit en un « clic » sonore. Ce bruit me fit l’effet d’une douche froide. Peu importe comment tout cela était arrivé, il n’y avait plus qu’un gouvernail à ma vie : trouver des réponses. Cela ne pouvait pas être du surnaturel ou quoi que ce soit de la même sorte. C’était seulement les machinations d’un meurtrier fou. Il n’y avait aucune autre explication.

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