Dissension Existentielle
Le bien et le mal n'existent pas.
Il a toujours été convaincu par cette phrase, elle a toujours guidé ses pas. Tout Homme est capable du meilleur comme du pire, c'est un raisonnement logique, pragmatique, vérifié à des centaines de reprises...
Sauf aujourd'hui.
L'enfer est trop immonde pour en apercevoir même un monceau.
Il en avait ouvert un interstice.
Devant lui, un homme était suspendu au plafond de cette cave à la moisissure huileuse par deux sinistres chaines rouillées qui lui déchiraient les aisselles. Il était ainsi, affreusement figé à dix centimètres du sol, les deux parois moles de son abdomen grand ouvert tendues par quatre ignobles pics d'acier jaillissant du sol pourri, un ensemble de boyaux écarlate dégueulant à même la terre par cette ignoble seconde bouche béante.
Le bien et le mal n'existent pas.
Ce n'était plus un dicton, c'était un mantra, une affirmation qu'il répétait en boucle dans sa tête pour ne pas qu'elle se brise. Pour ne pas qu'il se brise.
Il voyait tout, sentait tout, pourtant il ne pouvait pas bouger. Qu'était-il arrivé ? Comment était-ce arrivé ?
Un frisson abominable lui parcouru l'échine, les yeux exorbités aux paupières grossièrement arrachées de l'homme le fixaient. Des larmes de sang en suintaient, pour rouler inexhorablement vers les restes d'une cavité édentée à la mâchoire défoncée, se balançant légèrement au rythme de ses douloureuses respirations rauques.
Même épinglé au sol comme un rongeur dans le laboratoire de l'horreur, l'homme vivait encore... Nausée et pitié le prirent en même temps.
Le bien et le mal n'existent pas.
Que faisait-il ici ? Où était-il réellement ? Sa mémoire lui était comme blessée, mutilé. Comme si...
- En es-tu toujours certain ?
Les ténèbres venaient de vibrer comme une unique entité dégoulinante produisant une voix malsaine dont la profondeur n'avait d'égal que le grincement assourdissant des plus noires abysses.
De quoi donc parlait la chose ? Essayait-elle de communiquer avec le supplicié écorché qui pendait mollement dans son pus entre chaines et piques ?
- Je parle du bien et du mal, doutes-tu toujours de leurs existences ?
Son esprit semblait saigner, pouvait-il... Entendre ses pensées ?
Il aurait voulu fuir. Il ne pouvait pas.
- Cela ne sert à rien, je ne suis venu que pour discuter. Alors discutons. Je vais poser ma question autrement : Penses-tu que l'essences même de ce que tu appelles le Mal est voué à se gommer sous prétexte que son pendant existe ?
Alors qu'il parlait, les ombres semblaient gémir, les couleurs faner et les pierres suer un sang gras et malade.
Le bien et le mal n'existent pas.
Sa maxime lui avait toujours paru limpide, à partir de l'instant où tout individu est capable d'un extrême comme de l'autre, il n'est plus pertinent de qualifier l'un ou l'autre, simplement d'accepter le tout comme une normalité.
Il aurait voulu parler. Il ne pouvait pas.
- Alors ton monde et ta logique acceptent tout deux cela comme la normalité. Parfait.
Un immonde tentacule de glaise, de bile et de croutes fouetta devant lui, brisant et étalant un millier de fragment de miroir sur un hexagramme rouge sang.
Il aurait voulu fermer les yeux. Il ne pouvait pas.
Il aurait voulu hurler. Il ne pouvait pas.
L'homme n'avait jamais été là. Il était l'homme.
L'ignoble douleur le saisit en une seconde. Il était l'homme.
Son abominable agonie se rappela à lui. Insupportable.
Il mourrait. Lentement.
- Regarde toi, pauvre humain, tu as appelé un démon au nom palindrome de six lettres dans un rite de six mots prononcé six fois au centre d'un hexagramme. Tu y es parvenu, vivant...
Les ténèbres se tordirent, agonisant et sursautant dans un même mouvement. Dans son horreur, il y reconnu une caricature d'éclat de rire.
- ...Et tu perds la vie, sur une simple dissension existentielle.
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