III
Longtemps je fixe le plafond de ma chambre.
Sans parler.
Sans bouger.
Presque sans penser.
Je suis épuisé. Les pleurs et la tension, le choc et l'émotion m'ont secoué tout l'après-midi. Depuis qu'Alexandre est parti retrouver Céline.
Quand ma mère m'appelle pour le dîner, je n'ai pas faim et j'insiste pour rester dans ma chambre.
Son visage qui se glisse doucement dans l'entrebâillement de la porte me jette un regard tendre et compatissant. Je me force à lui sourire. Elle me souhaite une bonne nuit et redescend.
Quelques instants plus tard, des éclats de voix m'indiquent qu'elle regarde la télé.
Le docteur Prakaash.
Encore un psy.
Encore une thérapie.
Encore un espoir.
Encore la peur de l'échec.
Alors que le soir s'avance, la lumière décline dans ma chambre et j'allume précipitamment ma lampe de chevet quand je m'en aperçois. Dans la foulée, j'allume également le plafonnier et mon ordinateur.
Assis devant l'écran, la souris à la main, je reste vaguement hébété, sans trop savoir ce que je veux faire sur Internet.
Des recherches sur mes phobies ? Je n'en ai déjà que trop fait, et sans bénéfice. Sur les thérapies ? Idem. Un appartement ? Il est trop tôt et l'idée frôle à peine ma conscience que j'en ai déjà des palpitations et des suées.
Le docteur Prakaash.
Je décide de taper son nom, mais les résultats, innombrables, sont d'autant plus difficiles à éplucher que je ne suis pas sûr de l'orthographe. Enfin, à force d'errer de lien en lien, je tombe sur un article dans une revue scientifique. Le présentant sommairement comme un diplômé sérieux et honorable, le journaliste y va néanmoins de ses commentaires un peu moqueurs.
« Le Dr. Prakaash, bien que formé et diplômé par les facultés de médecine de New Dehli et de Paris, respectables et à la pointe de la recherche, a implanté dans son cabinet de banlieue le charme désuet des Indes coloniales et l'atmosphère fantastique des brahmanes et des fakirs de l'Inde mystérieuse. Les traditionnels certificats sont bien entendu accrochés comme il se doit aux murs du cabinet, mais des tentures hindoues et des statues de Vishnou, de Kali ou de Shiva viennent en contrepoint déstabiliser le visiteur.
Des volutes d'encens viennent assoupir le patient dans la salle d'attente, peser sur ses défenses pour l'apaiser, le préparer à une thérapie qui s'aborde dès la première séance comme une transe initiatique. Les meubles orientaux, les couleurs chaudes, un air vibrant et feutré de flûte, finissent de réchauffer l'atmosphère des lieux. On n'y vient pas en soi, on part loin de soi.
Voilà une approche de la psychanalyse bien étrangère aux idées reçues et aux théoriciens de la discipline !
Si ce praticien exotique a été reconnu apte à exercer, son excentricité, elle, lui vaut le mépris de nombre de thérapeutes réputés. Interrogé sur son originalité et ses pratiques thérapeutiques, le Dr. Prakaash a refusé de détailler sa méthode, affirmant que chaque thérapie dépend du patient soigné et que sa multiculturalité et le panachage de sa méthode étaient un gage de souplesse qui permettait à chacune des personnes qui vient le consulter d'avancer vers la guérison sans se sentir jugés.
Et en effet, si l'on peut s'interroger sur le praticien, force est de constater que sa clientèle, brièvement interrogée, ne tarit pas d'éloges sur lui. Génie ou charlatan ? Difficile d'en juger. Néanmoins, le sentiment de mieux-être des patients inspire la tolérance envers ses pratiques non conventionnelles. »
Fixant longuement mon regard sur la photographie qui accompagne l'article, un portrait montrant le praticien enturbanné, la peau presque rouge et le troisième œil au milieu du front, encore plus cramoisi, je reste perplexe.
Autant le fatras mystique qui auréole le personnage me fait frissonner d'inquiétude, autant sa vieille tête d'indien, que j'associe immédiatement aux amérindiens, me paraît familière et rassurante.
Je navigue encore une bonne heure au hasard des liens, mais je ne trouve rien de plus précis sur l'homme et sa thérapie.
Sur un forum, je tombe bien sur une sorte de fan-club, mais les commentaires, aussi louangeurs soient-ils, restent vagues et pudiques. En ressort toutefois un leitmotiv : un sentiment de guérison et de bien-être désespérément attendu jusque là.
Mon espoir s'intensifie devant cet emballement, mais mon pessimisme morose, bien implanté dans mes chairs, m'empêche d'y croire tout à fait.
Inquiet et excité, j'éteins l'ordinateur. Il est près de minuit et il est grand temps que j'aille dormir. Un coup d'œil à la fenêtre manque me provoquer une attaque de panique : le carré de ténèbres qui se presse contre la vitre me paraît si menaçant que c'est tremblant que j'approche ma main pour tirer les rideaux. Il est bien trop tard pour fermer les volets.
J'ôte mes vêtements, encore vacillant et crispé, et je les jette pêle-mêle sur ma chaise de bureau. J'éteins avec regret mon plafonnier et, après avoir vérifié que ma porte est bien toujours ouverte, je me blottis sous ma couverture.
Longtemps, mes yeux restent fascinés par le cercle lumineux que l'abat-jour de ma lampe de chevet projette au plafond. Quelques fissures dans la peinture dessinent comme les brisures d'une coquille d'œuf en train de se fendre ou, en cherchant bien, quelques rayons tarabiscotés d'un soleil tamisé.
Et c'est la pensée divagante pleine d'images poétiques et inquiétantes que je sombre dans l'inconscience.
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