VI

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Je hurle et je pleure en même temps, pas loin de la folie.

Le rocher n'en finit plus de tomber, comme si le temps, sadique, avait ralenti pour me laisser tout loisir de savourer ma mise à mort jusqu'aux plus petites subtilités de la terreur.

Pour me laisser la possibilité de penser.

De comprendre.

Pourquoi je meurs.

Ce sont les esprits qui accèdent à ma demande.

Je meurs pour expier ma faute.

Pour me racheter.

Je meurs compris.

Libéré.

Je cesse de hurler, mon sourire trempé de larmes accueillant avec gratitude l'outil de mon passage vers ma prochaine chance de corriger mon erreur.

Déjà, j'entends une voix douce et rassurante qui m'appelle.

Peu à peu, je distingue les sons.

Et le rocher poursuit sa descente, fermant mon horizon.

Faisant tomber la nuit pour que le jour renaisse.

- Baptiste !

J'ouvre les yeux.

- Monsieur Roths, tout va bien ?

Je laisse trainer un regard circulaire sur la pièce, la mémoire me revenant par couches successives.

Je retourne à mon temps, à mon identité, à mon corps.

Je suis trempé de sueur.

Et de larmes.

- Oui.

Et tout en formulant ma réponse, je sens qu'un grand calme m'a envahi.

Je viens de trouver la clef.

Je sais.

- Qui sont Clair de Lune et Aigle Serein ?

Je tressaille et me tourne brusquement vers Prakaash, stupéfié.

- Comment vous les connaissez ?

Il me sourit avec indulgence.

- Vous parlez pendant l'hypnose, monsieur Roths, laisse-t-il tomber comme je tombe de haut en l'entendant. Tout n'est pas compréhensible pour moi, mais vous dites des choses, vous vous adressez à des personnes présentes dans vos réminiscences, vous commentez, vous implorez.

Je me sens pris au piège, trahi, en danger.

Mais Prakaash a toujours cette même posture détendue.

Il a toujours cette même voix apaisante.

Toujours ce bon sourire patient.

Ce regard franc.

Honnête.

- Vous ne voulez pas en parler ?

Oh que si ! Je brûle de tout déballer, de n'être plus seul dans cette histoire invraisemblable ! De me libérer de tout ce chagrin, de toute cette violence, de cette tension accumulée, de mes enthousiasmes comme de mes craintes.

Et le visage ouvert et calme du docteur m'y invite.

Docteur.

Un voyant rouge clignote quelque part dans mon cerveau.

Frère des Esprits est désormais en moi et sait.

Il sait ce qui se passe.

Ce qui doit se passer.

Il dialogue avec ses frères et sœur à travers le temps.

Il se nourrit des visions de Cœur-d'Ours.

Il sent à travers Voix-des-Êtres.

Il connaît les mécanismes secrets de l'esprit grâce à Ernst.

Il comprend et ressent la vie grâce aux connexions et savoirs de Jeanne, de Samba.

Il a conscience du fonctionnement de ce monde moderne où il n'y a de place que pour la rationalité du profit grâce à Baptiste.

Nous avons toutes les cartes en main.

Je peux faire face.

- Ne vous inquiétez pas, ça va aller. Depuis le début, mes rêves sont embrouillés et fantaisistes, mais j'avance, je trie, je guéris.

Le praticien hoche la tête, une vague déception infléchissant son sourire et ternissant son regard.

- Je sens que la séance d'aujourd'hui m'a donné une clef importante, mais c'est à moi de la déchiffrer.

- Très bien, monsieur Roths, comme vous voudrez.

Me sentant vaguement coupable de ne pas lui faire confiance malgré tout ce qu'il m'a apporté, je baisse les yeux et, machinalement, je regarde ma montre pour me donner une contenance.

Vingt-et-une heures quinze.

Une montée d'adrénaline m'électrise tandis que mon cœur, pompant brusquement mon sang, me redresse d'un coup.

- Je dois partir ! Je vais rater mon avion !

- Très bien. Comme vous partez longtemps – un mois, n'est-ce pas ? -, me dit-il pour que je confirme, et au vu de votre situation exceptionnelle, je vais vous proposer un protocole inhabituel pour moi et auquel je me refuserais normalement.

Intrigué, je m'exhorte à la patience et l'écoute attentivement.

- Je vais vous faire une ordonnance d'anxiolytiques pour le cas où votre état de stress l'exigerait. Je vous fais confiance pour ne pas en abuser. Ce type de médicaments n'est pas comme le décontractant que je vous ai prescrit pour vous aider à dormir. Il peut avoir des effets secondaires importants tels que la modification des humeurs ou la concentration et entrainer une dépendance. A utiliser – j'insiste encore – avec prudence et uniquement en cas de nécessité. Comme notre thérapie occasionne beaucoup de stress et de cauchemars, vos nuits peuvent également être troublées et une fatigue importante s'installer. Je vous renouvelle donc l'ordonnance de somnifère et je vous en établis une autre avec un traitement énergisant. Là aussi, je vous en prie, entendez bien que ce traitement est un produit considéré comme dopant et donc à utiliser avec responsabilité en cas de nécessité. La base de votre rémission tient tout d'abord à la qualité du sommeil. Encore une fois, c'est le caractère exceptionnel de votre situation qui me pousse à cette imprudence afin que vous ayez les outils sous la main en cas de besoin. Vous avez bien compris que vous ne devrez utiliser ces traitements qu'avec raison ?

- Oui, merci, je réponds avec le plus grand sérieux.

Il m'observe en silence un instant puis, apparemment convaincu, il hoche la tête et poursuit.

- Enfin, comme nous serons longtemps sans nous voir et que je me sens une responsabilité envers vous, je vais vous confier mon numéro personnel. Je compte sur vous pour ne pas en abuser et m'appeler si c'est nécessaire et que vous avez besoin de mon aide. Ce ne sera pas une consultation au premier sens du terme, mais plutôt un appui, un soutien. Bien entendu, je ne vous facturerai pas ces interventions.

J'acquiesce, vaguement impatient de partir maintenant que le temps a repris son cours et que mon avion m'attend.

En effet, une étrange idée se dessine obscurément en moi et j'ai hâte de voir vers quoi ça me mène.

- Bien.

Il m'imprime les ordonnances et m'inscrit son numéro de portable sur sa carte professionnelle tandis que je remplis mon chèque pour la consultation.

- Bon voyage, monsieur Roths, me dit Prakaash en retenant un instant les documents entre ses doigts alors que je les prends. Appelez-moi, surtout, si vous avez besoin.

Je soutiens son regard et acquiesce doucement.

Il lâche les feuilles.

Je le salue, empoigne ma valise et la nuit parisienne m'engloutit alors que je plonge dans la gueule souterraine la plus proche.

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