La Belle et la Bête
J'ouvris les yeux sur un ciel chargé de nuages déversant, sur leur passage, les affres de l'hiver. Mes cheveux noirs humides se répandaient sur le sol, contrastant avec le blanc de la neige. Mon corps était ankylosé par le froid, je pouvais à peine bouger mes doigts de pieds au fond de mes bottes. Au moins, ma colonne vertébrale n'avait pas subi les conséquences de ma défaite, pensai-je en regardant le nuage de vapeur sortir faiblement de mes lèvres pour disparaître. Je repensais au combat que j'avais mené avec cette créature. Prise au dépourvue, je n'avais pas eu d'autre choix que de me défendre seule. J'avais résisté quelques temps, jusqu'à ce que la créature sépare mon bras du reste du corps, en un seul coup de griffe. La fatigue me saisi, commençant à embrumer mes pensées. J'avais si froid, et j'avais terriblement envie de fermer les yeux. Je tournai avec lenteur mon regard vers la gauche, constant avec effroi que mes souvenirs étaient réels. Là où devait être mon bras gauche se trouvait des lambeaux de chairs déchiquetés et ensanglantés. Le sang continuait à se répandre, souillant la pureté de la neige. Mon corps rendu insensible par le froid m'avait empêché de sentir la douleur et l'absence de mon membre supérieur. Mais à présent, elle était intense et insupportable. Sans m'en rendre compte, je sombrais de nouveau dans les limbes de l'inconscience.
J'avais la sensation de me noyer dans un océan de néant. Dans l'incapacité de reprendre ma respiration, je me débatais pour remonter à la surface. Mes poumons me brûlaient et ma vue commençaient à se brouiller. Je ne pouvais pas mourir maintenant, je n'avais pas encore accompli ce pourquoi j'étais destinée. Je devais construire un endroit où tout le monde serait accepté, un endroit où il aurait pu être à mes côtés. Mais finalement, je méritais de mourir seule. Cette volonté idyllique m'avait poussée aux paroles insensées, aux mensonges consentis, aux actions intéressées. Une sensation de bien-être m'enveloppa. Je n'avais plus besoin de négocier, de manipuler et de me sacrifier à présent. Je devais simplement lâcher-prise, me laisser porter. Je finis par arrêter de me débattre.
Une vive douleur me rappela à la raison. Je repris mon souffle tel un noyé réanimé, portant un regard hagard sur mon environnement. Une silhouette se tenait à mes côtés. Un pan de tissu à la main, il s'activait pour arrêter l'hémorragie qui finirait à me tuer. Il serra de nouveau. La douleur parcourut mon corps comme un choc électrique. Je poussai un cri. Il tourna la tête, se perdant dans mon regard avant de renforcer le garrot.
"Tu es coriace... Tu survivras, dit-il avec un certain détachement avant de se redresser."
Il abandonna le reste de ces affaires, et progressivement son corps se modifia. Sa peau pâle et ses longs cheveux blonds furent remplacés par une fourrure blanche. Son visage s'allongea pour former un museau et une gueule accérée. Ses membres s'allongèrent et son corps gagna en masse. Je ne fus pas surprise par sa transformation, puisque j'en étais capable. Il s'agissait simplement d'une différence de fourrure. Ce blanc nacré et ces tatouages formant des voluptes spirituelles bleues ne devaient être que le fruit du délire causé par la douleur. Ce n'était qu'une légende. Une histoire racontée au coin du feu pour les idéalistes et les enfants. Une légende qui avait fait couler excessivement de sang.
Lorsqu'il s'approcha, je n'eus pas la force de faire quoique ce soit. Il me prit avec précaution. Je pouvais sentir la chaleur de son corps et la douceur de sa fourrure sur mon visage. Je levais mon regard vers cet individu, il avait choisi de me sauver la vie. Cependant, ce choix n'était rien en comparaison de celui qui devrait faire. Cet homme était le seul qui pourrait décider de l'avenir de l'Humanité. Lentement, je me sentis sombrer de nouveau dans les limbes bercée par les pas de l'homme m'amenant dans un endroit qui me serait certainement inconnu.
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