{XII}
...
-"Descends ! Demain, nous repartons ! "
Je l'ai rejoint en bas, dans la magnifique cour fleurie.
-"Nedjma a dit qu'elle ne voulait plus de nous ici. Alors va manger de la harissa et demain nous repartons après une bonne nuit de sommeil.
-Ca marche. On va continuer d'avancer sans savoir où nous allons. "
...
Je suis parti dehors, alors que Chamsudine dormait. J'ai suivi mon instinct pour me repérer. J'étouffais. J'étouffais de souffrance et de tristesse, et chaque fois que son visage me revenait, les larmes me montaient aux yeux. Je n'en pouvais plus de l'avoir dans la tête. Ses mots...
-"Aie honte de toi, Sofiane Ben Salah. Aie honte de la vie que tu as mené jusqu'ici. Je te souhaite de mourir le plus tard possible, en vivant un long et sanglant calvaire. Je m'en chargerais personnellement. "
Un long et sanglant calvaire... Ce n'était pas déjà assez long, pas déjà assez sanglant ? Ne pouvait-elle pas juste me délivrer de cette prison mentale dans laquelle elle m'a enfermé? Ce n'était pas possible ? Cette femme était une sorcière. Une sorcière qui cuisinait les mots, une sorcière qui cuisinait les sentiments, pour qu'ils soient piquants comme elle les aime. Et malgré tout, moi qui pensait m'être défait d'elle, je l'aimais. J'aimais ses douces lèvres au goût sucré, qu'elle m'avait refusées pour notre dernière rencontre.
Sur le balcon à la grande porte arabe, je regardais la Lune briller. Peut-être qu'elle éclairait certaines personne vers le chemin de la Lumière, mais pour moi, elle n'éclairait que ma misère. Elle n'éclairait que le chemin des regrets.
Mais c'était la fin. Fini. Jamais je ne la reverrais.
Devais-je me réjouir ou m'attrister ? Je ne voulais même plus entendre parler d'elle. Je savais pertinemment que j'allais laisser mon âme dans ce palais de souffrance. Je savais. Et ça me faisait mal. J'aurais préféré qu'on me poignarde, sincèrement.
Face à Lune, je me sentais m'envoler. Autrefois, Nedjma m'avait guidé. Elle m'avait guidé vers un monde meilleur, pour finir par rendre la relation toxique sans que je puisse m'en défaire. J'étais trop faible face à elle, face à son charme. Et j'n'avais pas non plus su faire face au charme de la Solitude. Elle m'avait guidé comme la lumière de la Lune et des étoiles guide les hommes dans la nuit noire. Je me suis retourné, projetant mon ombre dans le grand hall où aucun bruit n'était perceptible. C'était fini. Je devais sortir de ma tête tous mes bons moments passés avec elle. Plutôt que de me chauffer le cœur, il le détruisait.
Combien de temps devrais-je purger ma peine. Savait-elle à quel point je saignais ?
Mais, moi, est-ce que je savais à quel point Ritedj avait saigné?
J'avais baissé la garde, elle m'avait eu à l'usure. J'avais eu une confiance aveugle et j'avais eu tord. Comme toujours. Sofiane Ben Salah le raté. J'aurais aimé pouvoir mettre mon cœur en attente, et m'enfermer entre quatre murs. La vérité était trop dure à accepter.
J'ai soupiré et avancer. J'ai à peu de choses près suivi le chemin de l'aller. J'ai retrouvé la pièce au sedaris et à la harissa. Chamsudine dormait profondément. Ses boucles déformées lui tombaient sur le visage. Je l'ai regardé quelques instants. C'était mon compagnon, un frère de galère, un frère d'une autre mère. Il m'aidait à combler mes fissures, gentiment, il donnait des leçons alors que lui même avait du mal à les appliquer, mais il faisait de son mieux.
Les regrets me rattrapaient, et lui aussi. On avait brûlé les étapes, et maintenant c'étaient nous qui étions brûlés. Elles étaient devenues nos enfers.
Je me suis couché. Je savais bien que je n'allais pas trouver le sommeil. Je sentais encore les griffures de Nedjma et ses faux ongles dans ma nuque. J'ai fermé les paupières, la revoyant sans cesse, concluant que jamais je ne pourrais l'oublier.
...
-"Allez, Sofiane. SOFIANE! Soufiene, sale arabe à la harissa, réveille-toi ! "
C'était Chamsudine qui me secouait. Il voulait encore une gifle, à priori. C'était drôle de me traiter de sale arabe, alors que lui-même était un marocain. Complètement illogique, mais Chamsudine n'était pas forcément logique.
J'ai ouvert les yeux, pour le voir au-dessus de moi. Il tenait sa main au-dessus de mon visage, prêt à me frapper. J'ai sauté du matelas, et il m'a regardé, ébahi par tant de vivacité. Je me suis étiré, et j'ai lancé mon bras vers lui, qu'il a esquivé.
-"Raté ! Au fait, t'as quel âge pour faire ce genre de conneries, le môme ?me lança-t-il, plus moqueur que jamais.
-"Je sais plus, je crois 22 ans, mais comme je ne sais pas quel jour nous sommes je n'ai aucune idée de si je n'ai pas passé les 23 ans. Et toi ?
- 20 ans. C'est terrible que j'ai plus de maturité que toi malgré tes années de plus. Mais je m'en vais directement demander la date. "
Il sortit en vitesse, et je l'entendis appeler dans le couloir. Une voix de femme s'éleva et la conversation dura, et Chamsudine finit finalement par ouvrir la porte à la volée.
-"Nous sommes le 18 septembre, Sofiane ! m'annonça-t-il.
-Alors aujourd'hui j'ai 23 ans.
-Alors Joyeux anniversaire ! Je vais alarmer tout le palais pour te chanter happy birthday, prépare-toi à souffrir.
-S'il te plaît, non, Chamsudine.
-Cesse dont de m'implorer, je ne le ferais pas c'est bon. "
Cet homme était un enfant. Il m'a conduit à travers les couloirs, après que nous nous soyons habillés. Nous avons retrouvés la grande salle à manger. Nedjma et le vizir étaient attablés au bout, et elle me regardait, me maudissant.
Elle allait se charger personnellement que je meure dans un long et sanglant calvaire...
J'ai beaucoup mangé, comme si la nourriture allait prendre sa place. De toute façon, elle avait la meilleure place, et quoi que je fasse, rien ne l'efface. Chamsudine me regardait engloutir mon couscous à une vitesse affolante. C'était bon. Je ne sais pas si un jour je remangerais quelque chose d'aussi bon.
Puis vint le moment de s'en aller. Tout les résidents de cette merveille architecturale nous regardèrent monter sur les chameaux qui nous avaient été donnés, chargés de sacs remplis de toutes sortes de choses. J'allais quitter Nedjma une nouvelle fois. J'en avais le vague à l'âme. Et lorsque nous prîmes pour de bon la route, un salve d'applaudissements nous accompagna. J'ai soupiré profondément.
Hatha huwa-l Nihayah. C'est la fin.
La fin d'un cauchemar, la fin d'un calvaire, la fin de tout. C'était un nouveau départ, un départ sans âme, elle était restée auprès d'elle.
Chamsudine me regardait d'un air inquiet. Il me questionna:
-"Ton teint est pâle, tu es sûr que ça va bien ?
-Oui. Ma place à été prise, mais ça va. Je vais bien. Je vais toujours bien. Je dois aller bien.
-Moi aussi, je m'efforce de bien aller. Et des fois, je revois son regard vert vif, et je me rappelle que ses yeux étaient mon refuge, je me rappelle qu'elle avait pansé mes plaies. Et parfois, le regret saisi mon âme et je me rappelle que moi aussi je suis un fautif. "
Je l'ai regardé. Ce gamin était un poète. Il avait tout dit. Je pouvais bien comparer toutes les femmes à Nedjma, aucune ne sera mieux qu'elle. Elle me faisait payer le prix de celui qui j'étais.
...
La journée passa. Le soleil tapait contre nos peaux, je devais être noir, à force. Chamsudine était resté silencieux. Il s'allongea après avoir étalé sa couverture. Je me suis posé à côté de lui.
-"Bonne nuit, Sofiane. "
J'ai regardé la Lune. Elle ne brillait pas beaucoup ce soir, et était mince. Elle était la parfaite représentation de mon espoir. J'ai soupiré.
Je me suis senti partir.
De vifs rayons de soleil me réveillèrent. Pour une fois que ce n'était pas la violence de Chamsudine. J'ai cherché à le secouer, mais je n'ai senti que le vide. Je me suis levé, vivement, faisant le tour de l'emplacement. Je ne voyais Chamsudine nulle part. Il avait disparu.
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