Malédiction

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  Je n’avais que vingt-deux ans lorsque mon père, paix à son âme, mourut. Il avait été un roi dur mais juste, et d’un héroïsme que le peuple dont j’héritais exigerait inévitablement de moi. J’étais cependant d’une trempe bien différente de la sienne. Très tôt, mes précepteurs avaient décelé en moi les qualités d’un roi sage. J’étais brillant, curieux, observateur, doué dans les arts de la cavalerie et de la stratégie militaire. Néanmoins, la vivacité de mon esprit n’avait d’égal que la faiblesse de mon corps, petit, chétif, et inapte au combat, malédiction transmise par le sang de ma mère. Mes neufs demi-frères et sœurs, eux, étaient dotés de corps robustes, comme mon père. Ils me haïssaient car j’étais le premier dans l’ordre de succession au trône et me tourmentaient pendant les exercices physiques. Je n’avais l’ascendant sur eux que lorsque la plume, les lettres et l’arithmétique me donnaient l’avantage. Ils me poignardaient alors de leurs regards dédaigneux, impatients de me rappeler à mon impuissance à la moindre occasion.

  J’aurais pu m’appuyer sur mes forces pour affirmer la légitimité de ma place en tant que premier héritier. J’aurais pu m’attacher à devenir un brillant stratège gagnant par le pouvoir du verbe et de la diplomatie là où la force échouait ; à devenir le bon roi qu’avaient vu en moi mes professeurs. Mais j’étais un enfant tourmenté, habité par l’ombre de l’aliénation dès ma plus tendre enfance. Ma faiblesse physique et les moqueries de mes frères me rongeaient. Je tentais de m’entraîner jour et nuit pour combler l’écart de force qui nous séparait. Et la seule chose que j'eusse obtenu après des mois d’efforts fut une fracture complexe de la jambe droite. Les médecins de la cour tentèrent de soigner ma jambe meurtrie mais l’archiatre lui-même ne put me rendre ma mobilité, ce qui me valut le surnom méprisant de Boiteux. Les années passèrent sur moi comme le poids des blocs de gypse charriés par les esclaves d’ébène du désert. Pesantes. Rugueuses. Brûlantes. Reclus dans mes quartiers, ou errant dans le dédale des couloirs du palais tel un fantôme, j’y entendais les murmures acerbes et la crainte de la noblesse d’être un jour sous la coupe d’un roi faible, incapable de préserver la gloire de mes ancêtres et la fierté de la nation.

L’ombre qui tapissait mon âme s’épaississait un peu plus chaque jour. La rancœur et la haine me consumaient, peuplant mon sommeil de rêves barbares.

  Je me voyais chaque nuit dans la salle du trône une dague à la main, couvert du sang de mes frères et sœurs, leurs corps déchiquetés à mes pieds. Ma frêle enveloppe d’adolescent maladif avançait d’un pas lent vers la silhouette massive de mon père qui me toisait de son regard empli de froideur et de déception. Je montais une à une les marches de marbre blanc menant au trône que baignait la lumière écarlate d’une éclipse aux rais de lumière sanglants. Je me tenais à un souffle de lui, saisissais son visage entre mes mains osseuses et enfonçais mes pouces dans ses yeux. Il restait de marbre un instant. Son sang se répandait sur ses traits anguleux, puis sa bouche s’ouvrait et hurlait un cri de douleur qui me réveillait. En sueur. Le sourire aux lèvres.

  Ce fut à cette époque, où je voyais le trône et ma raison s’éloigner inexorablement de moi, que je rencontrai la sorcière Ankabut. Mon destin.

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