Rencontre
À compter de ce jour, le cauchemar se répéta chaque nuit, ne me laissant aucun répit. Je devins un peu plus fou que je ne l’étais déjà, me jetant à corps perdu dans la consommation de drogues et dans la luxure pour échapper à ma peur de la nuit. Je fis installer des luminaires baignant mon écarlate demeure dans un jour perpétuel. Mes sorciers œuvrèrent d’arrache-pied à concevoir un remède contre mes cauchemars, à me libérer de l’emprise du djinn. Je les faisais travailler nuit et jour, les menaçais, les tuais et en recrutais de nouveaux. Je les fis même chercher la vieille Ankabut qui m’avait fait don de l’anneau maudit. En vain. Le moment fatidique où mon esprit perdait sa lutte contre le sommeil venait toujours, me livrant à l’Enfer et à la horde de Vah-Shatnâk. Dans mon désespoir, je tentai d’invoquer le djinn pour négocier avec lui, mais il resta muet. Me torturer et me voir rongé par la peur de dormir était apparemment trop plaisant pour qu’il renonce à cet horrible jeu. Je noyais alors ma frustration dans le sang de mes sujets et de mes ennemis, plongeant le monde dans un chaos qui ne calmait aucunement mon angoisse. Au contraire, mes nouvelles victimes rejoignaient le flot de mes bourreaux qui labouraient les chairs de mon âme tandis que Vah-Shatnâk riait de sa voix sinistre et caverneuse. Mon seul réconfort fut la rencontre de ta mère, une femme extraordinaire.
Nos chemins se croisèrent à Sral-Ahnn, que Keshvar Guermez venait alors d’engloutir. J’avais défilé avec mon armée dans ses rues sur mon massif frison noir, la tête de son seigneur plantée au bout d’une pique. Les Sral-Ahnniens étaient tous prosternés face contre terre aux abords de la grand-rue, accueillant leur nouveau maître dans un silence accablant ponctué de sanglots. Voir tout un peuple me craindre autant qu’un agneau livré aux mains d’un boucher ne m’amusait plus. Je les toisais avec dédain, las de voir mon reflet dans des yeux où ne brillait que la peur. Tous ployaient sous le poids de mon regard brûlant, de ma puissance. Tous, sauf une femme. Je stoppai ma monture et me figeai, stupéfait par ses grands yeux émeraudes qui me fixaient sans ciller. Ils n’étaient entachés d’aucune peur, emplis d’une contrariété franche, mais pas de haine. Je les trouvais magnifiques. Plus beaux que tous ceux des nombreuses femmes que j’avais connu jusqu’alors. Je venais d’assujettir une cité, mais à cet instant, j’étais sous son emprise. Elle tenait mon cœur dans le creux de sa main. J’étais sien à jamais. Je fis d’elle mon épouse et elle se tint à mes côtés, fidèle et forte malgré ma violence et mon aliénation. Elle m’aima en dépit de ma folie et des cauchemars, m’offrant une tendresse et une douceur que mon esprit torturé ne pouvait concevoir. Mais son amour ne put rien contre la malédiction de l’éfrit aux flammes de sang.
Elle est pourtant sur le point de me donner le bien le plus précieux auquel puisse aspirer un homme. Un enfant. Un fils. Toi, Sefid. Et je réalise que ma main ne peut t’offrir que souffrance et mort.
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