Un mot mis en situation
Je me demandais comment j'allais le dire, l'exprimer à défaut de pouvoir l'écrire.
Comment prononcerai-je ce mot porteur d'un sens perçu comme si définitif. Cette séparation, cette coupure, cette déchirure franche parfois, et sans qu'il soit possible d'en raccommoder les extrémités, les bords, les lèvres. Autant de synonymes polysémiques qui n'apporteraient qu'une vision parcellaire, une mosaïque de couleurs.
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Midi sonnait à l'église toute proche.
Je m'approchai alors du pupitre.
Une salle pleine de curieux, d'invités, de passionnés qui attendaient en murmurant ou en commentant entre chaque passage d'orateurs qui depuis le début de cette matinée pluvieuse se succédaient dans un flux incessant. Les propos des intervenants avançaient, évoluaient dans un long cheminement. Comme les composants d'un train qui semblait se mouvoir trop lentement pour certains et pas assez vite pour d'autres.
Moi au contraire, je percevais ces intonations diverses, ces expressions de la voix et du corps, tant chez les locuteurs qu'émanant des commentateurs. Chacun venait accompagné de son charme, de son apparence, de son histoire, de sa différence.
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Et je vis alors cheminer mon imaginaire se mettre en effervescence.
Il s'ouvrait au moindre mot intrigant que je gardais en tête, m'ouvrant à ses différentes acceptions et pas à celle unique qui viendrait d'emblée, dans les tribunaux auprès d'un juge aux affaires familiales et d'avocats spécialisés.
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Je le ressentais comme ce navire qui quittait le port, emportant à son bord tous ces migrants qui abandonnaient, forcés, leur terre d'origine. Tous ces hommes et ces femmes, rendus aveugles de leurs racines, car sans aucun espoir de les revoir. Pour rejoindre la mer ou l'océan, certains à travers le désert cheminèrent et de fatigue, de soif et de faim, perdirent la vie. Puis disparurent.
Laissant au soleil le soin de les dessécher, de les décomposer, de séparer le corps de leur âme, dans un divorce définitif, en attendant qu'une autre enveloppe s'en saisisse. D'ici là des larves prélèveraient leur écot pour se nourrir bien sûr, mais aussi pour s'enrichir du souvenir de ces êtres, qui s'enliseraient dans les dunes de sable.
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Je vis une nouvelle image se former, tout autrement douloureuse, d'une naissance dans ce moment de délivrance. Une mère allongée sur une table d'un service d'obstétrique, en train de pousser sur son ventre, au commandement de la sage-femme, en sueur, hurlant pour se séparer d'un petit corps, porté pendant neuf longs mois. Jusqu'à cet instant où il faudrait couper le cordon ombilical pour donner à cette vie neuve, ce bébé, la possibilité d'une existence autonome.
Puis vinrent moult idées se lancer des duels dans mon cerveau surchargé.
Des pensées que je reprenais à mon compte et qui, au cours de centaines d'années, s'affrontèrent en partis, associations, groupes et amicales. Qui tantôt se raccommodèrent, disais-je au début de ma réflexion, ou qui pour se singulariser, entrèrent en sécession.
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Oui je croyais que le mot divorce pouvait avoir plusieurs usages.
Et je venais en parler au plus grand nombre.
Alors le silence se figea et je m'ouvris à l'assemblée.
- Chers amis, je viens vous parler d'un mot controversé, s'il en est, de la langue française qui parfois succède au mariage.
Le silence prit de l'épaisseur.
- Pour vous en offrir plusieurs versions, en différentes mises en scène.
Les regards se figeaient.
Comme posés, tels des oiseaux, sur le fil de ma voix.
- Et peut-être qu'à la fin, le trouverez-vous bien moins décevant, moins désagréable, moins définitif. Mais au contraire, le ressentirez-vous comme une sorte de dérive de la banquise, de glissements des continents en plaques tectoniques, d'univers en expansion, avant qu'ils ne s'apaisent et parfois se retrouvent, après quelques milliers d'années.
Un ange passa dans l'air brûlant.
- Je viens donc vous parler du " divorce " et j'espère, qu'avec moi (sourire), jusqu'au bout de mon exposé, vous resterez.
(rires)
Avais-je brisé la glace ?
=O=
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