01. Noëlla

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 Donc cette Marie Ducasse, épouse Garay, était née dans l’arrondissement de Tarbes avant de s’installer à Bagnères. Où elle avait épousé Manuel, où elle avait mis au monde leurs cinq enfants. Ma parole, elle avait passé sa vie entière là-bas… Elle n'avait connu de la planète qu'une petite bande de terre en Bigorre ! Comme toutes les femmes de son village, sûrement, à son époque... D'ailleurs, même aujourd’hui, dans sa famille, ils étaient plutôt casaniers.

 Ainsi pensait Noëlla, seule dans son appartement parisien, parcourant du regard les papiers découverts à l'intérieur du cartable en cuir légué par son grand-père. L'objet en lui-même était cool, très original ; elle pourrait s'en servir pour transporter ses partitions. C’était d’ailleurs sans doute la raison pour laquelle on le lui avait donné et elle l’ouvrait à cet instant. Mais dedans ? Rien de bien palpitant. Des copies d'actes d'état civil et autres vieux papiers que son grand-père avait rassemblés, péniblement, au siècle dernier, et qui finiraient sans doute à la poubelle, le soir même. Un rapide coup d’œil à son smartphone apprit à la jeune femme qu’elle était, maintenant, vraiment à la bourre : elle verrait ça plus tard.

  C'était étonnant cette impression qu'elle partait de plus en plus tard, depuis quelques mois, pour aller répéter avec ses collègues. Plus qu'une impression, d'ailleurs, une réalité : les deux dernières fois, elle avait dû courir pour arriver à l'heure, en sortant du métro, et ce serait encore le cas ce soir.

 Allez, hop ! Noëlla commence à remettre les papiers dans le cartable avachi par le temps, elle se dépêche, en fait tomber quelques-uns ; « c'est toujours comme ça quand on veut aller vite ! » disait souvent sa grand-mère. C'est alors qu'un des documents qui jonchent le sol, différent des autres, attire son attention : une pleine page d'un vieux journal, pliée en quatre et jaunie par les années. Mais non, non, elle n'a plus le temps !

* * *

 Est-ce l'effet du cartable ? Ce vieux monsieur, assis tout seul dans la rame, lui rappelle son grand-père et leurs conversations, autour de la musique, lui reviennent en mémoire.

 De retour chez elle, la jeune femme s'attelle à la lecture du journal qui a su éveiller sa curiosité. Le quotidien s’appelle « Le Petit Parisien » et il date de 1931. Entre les cours de la Bourse et un immense encart vantant les nouveautés d’été de la Samaritaine, Noëlla trouve enfin l’article justifiant qu’on l’ait ainsi découpé et conservé aussi longtemps : « Le plongeon de M. Garay demeure inexpliqué »

 « On ignore toujours les circonstances exactes, écrivait le journaliste, dans lesquelles M. Fernand Garay effectua jeudi, du haut du pont au Change, en costume de bain, ce plongeon dans la Seine qui devait lui être fatal. »

 Un plongeon dans la Seine en costume de bain ? Ça se faisait à l’époque à Paris ? Étonnant. Voyons la suite.

 « M. Garay qui, bien que né en Argentine, était de nationalité française, possédait à Fresnes un pavillon d’un étage, bla bla bla... »

 OK. Donc, 33 ans, marié, père de deux enfants, une maison : pas très original tout ça… Mais né en Argentine ? Ce Fernand Garay était-il vraiment un membre de leur famille ? C’était peut-être un homonyme ? Il était imprimeur et s’était associé, révélait encore l’article. « Puis cette association avait été rompue et, depuis lors, M. Garay n’avait pas repris d’occupation suivie. » Ah, il avait des gros problèmes dans son boulot, alors, si ça se trouve, et il avait voulu se suicider, voilà.

 Mais le journaliste, lui, ne voyait pas les choses de cette manière. Fernand étant un « excellent nageur, et même excellent plongeur », il en déduisait qu’il avait certainement voulu réaliser « un exploit peu commun en cette saison. » Bizarre. Car « les siens ne lui connaissant aucun souci d’aucune sorte », poursuivait-il, cela excluait pour eux la thèse du suicide.

 Tout cela était pour le moins intrigant, voire mystérieux.

 Noëlla interrogea son père pour voir s’il connaissait cet ancêtre plongeur. S’il s’agissait bien d’un de leurs ancêtres. Il ignorait tout de cette histoire et n’avait jamais entendu parler d’un aïeul né en Argentine.

 La jeune femme eut alors envie d’en savoir davantage.

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