II - Quand on est le nouveau (4)

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Comment faire quand on est entourés de belles femmes et que la vie vous a arraché votre beauté ?

Suivant les conseils de la douce secrétaire au parfum boisé, j’arrive dans le long couloir indiqué. La cabine de l’ascenseur monte. Quelqu’un vient vers moi. C'est pratique pour se déplacer. Pourquoi ne l’ais je pas utilisé ? Je peux être bête parfois.

Mes yeux sillonnent les portes, ce n’est pas celle-là, ni celle-ci non plus. F. CRESSON directrice adjointe. K. ELMLY psychologue. P. DELTA conseiller d’orientation. V. KOLSNY assistance sociale. C. NOLIER chef comptable. J. KERNOZ Responsable du service informatique… Que des noms importants.

Ah ! Voici celui de Monsieur Vorn, le CPE. Les portes de l’ascenseur s’ouvrent et un homme en sort. Oh non ! Sacrilège ! Un descendant des hommes préhistoriques, il n’a pas dû sortir de sa grotte très longtemps, vu ses fringues.

Alors à quoi tu ressembles papy. Cheveux blancs cachant son visage, costume d’un marron dégueulasse et chaussures vernies laides. La Fashion Week c’est pas pour toi, grand-père. Je me lance. À coup sûr, psychologue vu sa tronche, je ne vois pas d’autre réponse.

Contre toute attente, l’homme me passe devant et disparaît derrière une porte. Oh ! Je ne l’aurais jamais deviné. C’était Monsieur Vorn. Il va falloir que j’aille à la messe pour me faire repentir, si jamais on m’a entendu.

Reprenant mes esprits, je continue à avancer. Voilà celle d'I. MORRIS. Directeur de l'établissement. Je toque, une, deux puis trois fois. Visiblement il ne m’entend pas, la quatrième sera la bonne. La voix du haut-parleur me répond.

« Entrez ! La porte est ouverte ».

Sa voix grave me pousse à poser ma main sur la poignée et après une hésitation, à l’ouvrir. J’avance et admire le directeur en train de faire des tâches administratives, assis sur sa chaise à roulettes noires. Son visage est penché sur son bureau, c’est sûrement d’une importance capitale.

Mon regard ose dévisager l’adulte et me faire accumuler des informations sur son physique, elles ne me traduiront pas son comportement. De longs cheveux bruns coiffés en brosse, ils le rajeunissent. Ses gros yeux bleus vifs vont très vite de gauche à droite.

Il relève la tête pour regarder l'écran de son ordinateur et repart dans son activité.Qu’est-ce qui l’intéresse autant ? Sa peau est mâte, je peux d’ailleurs apercevoir au poignet gauche une montre quartz dorée. Sa tenue est assez simple : veste en cuir noir, long jean bleu ciel et chaussures à talons noires.

Notre petit directeur a la classe, même si j'ai entendu certaines mauvaises langues de la clique de Barbara se moquer de sa corpulence. Je peux l’entendre se parler à lui-même.

« Maudite grille ! Où est-ce qu’il est ce fichu chiffre ? J’ai pourtant cherché partout.

  • Hum ! Hum ! Excusez-moi monsieur ? »

Son regard me fixe, perplexe, son visage devient aussi rouge que la chaise devant moi. Il pose un stylo sur le bureau et fait tourner sa chaise, en se déplaçant jusqu’à un placard. Chouette moyen de se mouvoir. Bon ! Qu’est-ce qu’il faisait il y a deux secondes de si important ?

Alors qu’il est occupé à fouiller dans son meuble, j’en profite pour observer son bureau espérant y découvrir un indice sur sa précédente activité. Mes yeux partent dans tous les sens détaillant le pot à crayons contenant une quantité indescriptible de stylos, de crayons ou de gommes. À l’écran de son ordinateur avec des données peu intéressantes, constatant une agrafeuse bleue sur la table jusqu’à une mystérieuse feuille crayonnée.

C’est une blague ? Je comprends mieux ce qui l'occupe autant, sa fameuse tâche administrative. Je la tiens dans mes mains, une grille de sudoku. Il doit être un joueur invétéré, car ce n’est pas la seule, d’autres jonchent son bureau. Environ une dizaine, sans compter celles roulées en boule dans la poubelle. Au moins c’est un homme intelligent, ça aurait été un jeu de hasard, je n’aurais pas été si clément.

Le revoilà ! Je tente de reposer la feuille au même endroit avant de m’asseoir. Il reprend place dans son fauteuil de maître des lieux et jette une chemise bleue cartonnée sur son bureau. L’homme en profite également pour ranger sa grille dans un tiroir avant de me parler, coudes sur la table.

« Alors ! Péruwelz Benoît. Est-ce exact ? »

  •  Oui monsieur.
  • Tout d'abord. Bienvenue dans notre établissement. J’espère que vous vous plairez au sein de l’Épi Noir ».

[ Ah ça oui, ce séjour promet d’être inoubliable]

Avec sa main droite, il retira la sangle fermant le dossier et l’ouvrit. Des pièces justificatives et documents en tout genre : coupures de journaux datant de l’année dernière ; des papiers variés ; deux formulaires d’inscription, dont le mien ; plusieurs photos ; une photocopie d’une carte d’identité...

Pourquoi ces documents me semblent-ils familiers ? Il faut que j’en aie le cœur net, Monsieur Morris acceptera peut-être que j’y jette un rapide coup d’œil.

« Est-ce que ces documents vous sont familiers ? Je ne parle pas de ceux à votre nom, mais de ceux-ci. » demande-t-il en pointant les documents en question

  • Monsieur ? Est-il possible d’en voir un ou deux de plus près ?
  • Non je le regrette. La rentrée va bientôt commencer et nous n’avons pas le temps d’étudier chaque document. Par contre, je peux vous prêter ce formulaire ».

Le directeur me tendit une feuille blanche avec le logo de l’établissement et tout un tas de renseignements. Les détails non pertinents mis de côté, je me concentre à présent sur une information qui faillit me faire tomber de ma chaise.

L’écriture est celle d’un adulte, quoique avec la technologie, on remplit ce genre de paperasse par ordi. Un formulaire d’inscription. Mais qu’est-ce qu’il fiche dans mon dossier si ce n’est pas le mien ?

Le bruit du clavier que Monsieur Morris martèle me donne la migraine. J’ai envie de sortir d’ici, je ne me sens pas bien. La tête qui tourne, la nausée qui commence à survenir. Me revoilà quelques heures en arrière, Boulevard de l’Espoir.

[ C’est impossible. C’est un putain de cauchemar. Dieu est en train de jouer avec moi, je ne peux pas croire ça réel.]

« Vous reconnaissez cette écriture ?  me questionne le directeur incompris

  • C’est… C’est celle de ma mère et le formulaire est au nom de ma sœur, je n’y comprends rien. C’est impossible.
  •  Calmez-vous. Lisez simplement ce qui est écrit. »

Ma main tremble , puis le reste de mon corps, mon cœur expire, mon dernier souffle arrive. Les larmes sont contenues, mais j’ai envie de hurler, de saccager son bureau et de déchirer ces putains de papier. Même sa petite grille de sudoku dépassant de son tiroir me nargue, les chiffres dansant devant mon visage.

« Je… Je soussignée… P… Péné… Pénélope Ramirez, mère de Ju… Juli… Julia. »

Mon monde s’effondre dès que ce nom sort de ma bouche, je me sens vaciller sur la chaise. Le directeur affolé sort de son bureau. Les voix tournent dans mon esprit : Sandra. Amenez-moi de l’eau, s’il vous plaît. J’ai un élève qui fait une crise de panique.

La bienveillance de l’adulte me fait sourire, mais je suis pétrifié par le désespoir. Comme si des ronces m’attachent à cette chaise et que je ne peux m’en décoller. Tout se bouscule dans ma tête.

L’arrivée au Boulevard de l’Espoir, Éclipse d’Aurora qui se lance, le SMS inconnu et le souvenir. Revoir ma sœur épanouie même si elle faisait la tête. En boucle.. Je dois sortir d’ici, quitter ce pensionnat de malheur, ou même cette ville. Sinon je vais mourir.

Alors que je me lève, la porte claque et j’entends les deux bienfaiteurs surgir derrière moi. La douceur de la peau de Sandra et son odeur boisée me redonnent du baume au cœur, elle touche mes épaules et me force à me rasseoir. Isaac Morris me tend un verre d’eau que je regarde, dans le brouillard.

J’arrive à le saisir et l’enfile d’une traite le posant sur la table. En ressortant, la secrétaire me conseille de prendre soin de moi et son petit sourire illumine ma journée. Le directeur se relève, claque la porte après son départ et reprend place.

« Vous allez mieux ? »

  • Euh ! Oui ! On peut dire ça. »

Mon cœur n’aurait pas résisté à plus d’émotion, j’enchaîne les péripéties moi: entre cette prémonition, ma quasi engueulade avec ma mère, le délire où j’assassine Barbara de sang-froid après avoir été traité de monstre et maintenant, ça.

Ma sœur inscrite dans ce pensionnat ? Un pur délire. Rectification, je dois être mort depuis je ne sais quand, peut-être dans l’accident nous ayant tous achevés. Cette vie ne serait n’est que l’expression de mon âme torturée.

« Monsieur Morris ! Il est impossible que ce soit ma mère qui ait rédigé ce formulaire. Julia nous a quittés l’an dernier, aujourd'hui est "l'anniversaire" de sa disparition. C’était la soirée du concours de danse, les Étoiles Aversionnaises. Les filles s’étaient entraînées durant ces deux semaines. Mais en rentrant, nous avons eu un accident et à mon réveil à l’hôpital deux jours après, Julia avait disparu. Un an déjà qu'elle ne donne plus signe de vie.

  • Ah ! La presse a vaguement évoqué le sujet mais je sais que votre mère Pénélope Ramirez commence à peine sa carrière de peintre. Et grâce à l'aide de Gladys Lovelace, notre bienfaitrice à tous, elle peut vivre de sa passion. Cependant, j'ignorais le reste de l'histoire. »
  • Depuis ce drame, ma famille est brisée. Célia, mon autre soeur était sa jumelle et culpabilise chaque jour d’incarner malgré elle, le souvenir de l’accident. Moi-même je suis défiguré par cette cicatrice. La vie de couple de mes parents est un naufrage, elle s’est isolée dans sa passion et mon père dans la boisson. Voilà monsieur Morris, et vous me disiez bienvenue à l’Épi Noir ?

Je le sens mal à l’aise, ce n’était pas mon intention, tout comme celle de me confier à un parfait inconnu. Mais lui parler m’a fait du bien et je sens qu’il comprend ma douleur. Peut-être a-t-il lui aussi connu la perte d'un être cher. Une famille aussi brisée par un chauffard.

« La police n’a pas conclu à un sabotage ? J’avais entendu ça quelque part dans les journaux.

  • Monsieur ! J’aimerais ne plus y penser, même si je sais que c’est impossible. Tout me renvoie à cet accident. Et maintenant que je sais qu’une Julia Péruwelz a usurpé l’identité de ma sœur disparue, rien ne s’arrange.
  • Ce cas de figure est très rare jeune homme. Qu’une élève ait le même nom qu’une autre passe encore, mais que sa mère ait aussi un homonyme. Ça fait trop de coïncidences en une.
  • Vous pensez alors… que Julia est toujours en vie ? Mais elle n’est pas réapparue depuis l’an dernier. Si c’était le cas, elle nous aurait contactés, ce n’est pas son genre d’être aussi calculatrice. »

« Vous savez, la vie est hélas imprévisible et on ne connaît jamais vraiment les gens qui nous entourent… même sa propre famille »

Son ton affirmé devient moins sûr. Je peux sentir toute sa tristesse l’envahir, qu’est-il donc arrivé à Isaac Morris pour le dévaster autant ? Un cadre photo sur son bureau m’interpelle, il le fixe. J’essaie d’être discret et de voir ce qui est dessus.

Le pauvre homme est perdu dans ses pensées, il s’est reculé et baisse la tête regardant le sol. Je m’approche me levant et me place derrière lui, c’est la photo d’un jeune homme blond tout sourire. Le genre de petit sportif qu’on voit dans les films.

Je peux remarquer qu’il a la même lueur dans le regard que le directeur. Il se redresse soudain et je repars sur ma chaise, son instant énigmatique achevé, son ton confiant apparaît à nouveau.

« Excusez-moi, je réfléchissais. Bref, passons ! Donc cette Julia Péruwelz, c’est votre sœur ? »

Je ne peux plus attendre, la main plongée dans le dossier, j’en sors une photo. Photo d’identité. Ses longs cheveux châtain foncé, plus que les miens, ses yeux d’amande noisettes et cette robe… C’est celle qu’elle portait quand on faisait les courses, blanches avec des fleurs roses et vertes brodées. Achetée pendant les vacances d’été. Julia Péruwelz est inscrite ici, ma sœur est là.

[ Alors c’est vrai ? C’est vraiment toi ? Après tout ce temps à te chercher, tu réapparais comme ça sur un putain de formulaire d’inscription. C’est ça que cherchait à me dire le voyant dans son SMS pourri ? Dois-je connaître ma rédemption ?]

« Oui ! C’est elle, je reconnaîtrais cette robe parmi des centaines. C’est son visage, c’est l’héritage de Célia. Elle est de retour et personne n'est au courant. »

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