Chapitre 7
Dorénavant, les ordinateurs sont interdits et un camion escorté par des hommes en uniformes a fait le tour du village pour les réquisitionner.
À la télé, le présentateur continue de parler de l'instauration d'une réelle démocratie populaire...
La 4G ne fonctionne toujours pas.
Démocratie populaire...
Les paraboles aussi ont été interdites.
Démocratie populaire...
Une assemblée constituante a été désignée...
Désormais, la France s'appelle la République Populaire de France...
Maxime a gardé son ordinateur portable. Il a des infos que les autres n'ont pas. Celles que le présentateur aux cheveux rares appelle les fakes news. La résistance existe et s'organise mais personne ne semble au courant.
La première réunion du « Comité de Salut Public » est organisée ce soir. Elle est obligatoire pour tous les « citoyens de plus de 12 ans ». Un bus fait la tournée. À l'entrée de la salle des fêtes le comité distribue des gilets jaunes. La tête du gars qui les distribue ne donne pas envie de lui demander si c'est obligatoire alors on les met...
Mamie nous à fait la leçon.
- On y va, on attend que ça passe et on rentre. Même toi, papy tu te tais. Tu fais semblant d'écouter et tu ne dis rien !
Nous nous retrouvons au premier rang.
C'est la salle, où chaque année, enfants, nous faisions notre « grand Spectacle de l’Été », prétexte à passer les grandes vacances entre nous sans adultes sur le dos. Et les adultes étaient bien contents de ne pas nous avoir sur le dos aussi. C'était notre salle de jeu communale, notre terrain d'aventure, notre repère, à l’abri les jours de pluie, au frais les jours de canicule, un autre monde...
Je me retourne pour essayer de voir Maxime. Il devrait être là aussi. J'aimerais qu'il ait eu le courage de ne pas être là. Mais j'aimerais aussi qu'il soit assis auprès de moi.
Je ne le vois pas .
Sur l'estrade, Valentin relit ses notes. Dans le monde d'avant, Valentin, c'était l'original du village : un soixante-huitard qui serait resté fidèle à ses idéaux qui avait échoué dans le village on ne sait quand. Il élevait des chèvres et vivait d'on ne sait quoi... Il semble avoir pris du galon...
Des éclats de voix viennent de l'entrée. C'est Maxime qui gueule après les gendarmes. On les appelle les gendarmes, mais on ne sait pas vraiment si ça en est. Les uniformes ne sont pas les mêmes et ce n'est pas les gendarmes que nous connaissions et qui nous connaissaient. Ils se sont installés à la gendarmerie, alors, pour les gens d’ici, c'est les gendarmes.
Valentin s'est levé et il crie :
- Citoyen, il y a des gens qui sont mort pour que tu puisses vivre en liberté alors conduis toi dignement !
Max a répondu :
- Valentin, tu étais une merde avant tout ça. Ça, au moins ça n'a pas changé !!!
- Arrêtez-le ! Il sera jugé pour outrage à représentant de l'ordre public !
Donc, Valentin est un représentant de l'ordre public. Ça donnerait presque envie de rire !
Max a jeté le gilet jaune qu'il refusait de mettre et se dirige d'un pas vif vers les gendarmes en tendant les poignets, comme s'il voulait qu'on lui mette les menottes.
Au dernier moment il se jette en avant sur le premier gendarme qui avait compris la même chose et était en train d'attraper ses menottes et lui assène un violent coup de tête. Il me semble entendre l'os de son nez craquer ! La salle a émis un murmure d’approbation ou de désapprobation on ne saurait dire. Dans le même mouvement il bouscule le deuxième gendarme d'un violent coup d'épaule et se précipite dehors. Il part en courant dans l'obscurité.
En se relevant le gendarme a sorti son arme.
Je n'ai pas le temps d'avoir peur. Ni pour Maxime, ni pour moi.
Au premier coup de feu j'ai dit à Camille :
- Prend soin de Lucas.
Au deuxième, j'ai plongé sous l'estrade.
Au troisième, je suis derrière le rideau, dans les coulisses ou rien n'avait changé depuis notre enfance !
Je prends un instant pour regarder dans la salle. Tout le monde est tourné vers la sortie. Camille, Lucas, Papy et mamie se sont décalés et occupent les cinq places. Mon absence passe inaperçue.
Je me débarrasse du gilet jaune.
Les toilettes, la fenêtre et dehors.
Je sais où retrouver Maxime. Où j’espère retrouver Maxime...
En fait, je n’ai aucune idée de l'endroit où il peut être. Mais je sais où je serais allée si j'étais dans sa situation. Et j’espère qu'il aura eu la même idée.
Mais avant, il faut que je passe par le lavoir.
Une fois dans la rue je regrette de ne pas avoir gardé le gilet... Mais je ne croise personne.
J'ai soulevé la grosse pierre carrée qui masquait le regard du conduit d'évacuation du lavoir. Allongée par terre, je glisse le bras dans le conduit. Les pistolets et les munitions sont toujours là, soigneusement emballés dans un sac poubelle.
La maison des anglais.
Tout le village l'appelait comme ça. Même si leur projet de chambres d’hôtes avait fait long feu et qu’ils étaient partis depuis longtemps laissant la maison livrée aux outrages du temps et des éléments.
Enfants, le jardin, caché par de hauts murs, était devenu notre terrain de jeu.
Il est là !
-Qu'est ce que tu fais là ?!
Son visage est à 10 cm du mien. Je l' embrasse.
Parce que je n'ai pas envie de répondre à sa question.
Parce que j'en ai très envie.
Il se laisse faire.
- J'ai eu peur pour toi.
Il a pris mon visage entre ses mains. Il me regarde dans les yeux une éternité.
Et il m'embrasse.
Il m'a attirée dans la maison et a poussé la porte.
Il s'est laissé faire quand j'ai enlevé son pull.
Je me suis laissée faire quand il a enlevé le mien.
Nous avons fait l'amour.
Maintenant , il dort, la tête sur mon épaule et la main sur mon sein.
Je pense à Hugo à qui j'avais promis qu'il serait le premier quand je serait prête. Mais j'étais prête et il n'était pas là.
Par le Velux, un quart de lune éclaire la pièce.
Coincé par sa tête, mon bras devient douloureux mais je ne bougerais pour rien au monde.
A cet instant la, je n'ai besoin de rien d'autre que du bruit régulier de sa respiration.
Il ouvre les yeux.
Il me regarde.
Je le regarde.
Il sourit.
- Demain, il n'y aura pas de pain au village...
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