Chapitre 14

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Les jours qui ont suivi, je me suis accrochée à Max comme un naufragé à une bouée. Je pense qu’il a dû épuiser le capital patience et gentillesse de toute une vie pour moi.

Il a partagé mes insomnies et veillé sur mes cauchemars.

Il a calmé mes sanglots et séché mes larmes.

Il a apaisé mes peurs.

Il m’a maintenue la tête hors de l’eau jusqu’à ce que je reprenne mon souffle.

Quelque chose en moi que je ne pourrais jamais réparer s’est cassé, mais il semble que ce ne soit pas une pièce indispensable et j’ai fini par me faire à l’idée que j’avais tué un homme. On se fait à tout, même à ça...

J’ai profané le totem suprême et la terre ne s’est pas ouverte sous mes pieds pour que les flammes de l’enfer m’engloutissent.

“On peut raisonner autant qu’on veut, une arme c’est conçu pour tuer. Beaucoup ne tueront jamais personne mais leur seule raison d’être c’est de tuer. Se balader avec une arme, c’est envisager de tuer.”

  • Je sais, papa, j’avais une tueuse tapie au fond de moi et je lui ai ouvert la porte. Mais, Max a raison, elle m’a sauvé la vie...

Sans Max, je ne sais pas ce que je serais devenue.

Nous nous sommes séparés.

Grace à l’argent de Marthe, nous avons pu trouver de l’essence (à un prix qui aurait fait pleurer un gilet jaune !) Chaque nuit, nous avons changé d’hébergement et d’hôtel minable en chambre d’hôtes de luxe, nous nous sommes rapprochés de Paris en voiture.

A Orléans, Max m'a laissée à la gare avec mon sac à dos. J'ai gardé le pistolet, caché au fond du sac. Il m'a "trouvé " une carte d'identité, celle d'une fille qui a fait sa carte quand elle avait 10 ans.

Maintenant je m'appelle Sophie, j'ai 19 ans. Je ne ressemble pas trop à la photo mais j'avais 10 ans quand elle a été prise. Même la vraie propriétaire de la carte ne doit plus ressembler à sa photo depuis tout ce temps. Ça passera, en cas de besoin, Sophie n’a tué personne. J'espère…

J'ai aussi le téléphone du réseau. J'ai pris ma décision malgré le désaccord de Maxime : Je continue et je vais au rendez-vous !

J'ai un second téléphone. C’est la seule chose que j’ai exigé pour accepter que nous montions à Paris chacun de notre côté : pouvoir le contacter. Il a un téléphone aussi et ils ne doivent servir qu’à nous appeler, pas d’autre numéros. J'ai résisté à l’envie d’appeler celui de Lucas !

Le train est bondé ! Les voyageurs sont debout. La guerre a quelque chose de bon : les gens ont abandonné leurs voitures. La planète respire ! Je deviens cynique, je déteste ça... La France est sous embargo européen, il n’y a plus d’essence. Total et toutes les grandes entreprises ont déménagé leur siège ailleurs, il ne reste que des coquilles vides ici.

Les contrôleurs se font un passage comme ils peuvent à travers foule. Un militaire les accompagne. Les gens présentent spontanément leurs billets auxquels ils jettent un œil distrait.
Je fais comme eux. Le militaire s’attarde un peu sur ma carte d’identité. Il me sourit.

  • Déjà toute petite vous étiez très jolie mademoiselle.

Et vous, vous draguiez déjà comme un lourdaud, tout petit ? Mais je préfère me taire et je me contente de lui sourire bêtement. Ils s’éloignent. Je serre mon sac contre moi.

Enfin, le train déverse sa cargaison humaine sur le quai de la gare d’Austerlitz qui est quadrillée par des soldats. Ils choisissent quelqu’un au hasard (ou pas ?) et procèdent à un contrôle approfondi et à une fouille des bagages. Je souris quand ils me regardent. Ils me sourient. Je sors sans encombre.

"Avec un sourire, tu peux tout obtenir dans la vie...”

J’envoie un sms à Max "bien arrivée”. Pas de réponse.

J’ai deux heures d’avance et juste la Seine à traverser. Je vais faire un détour. Je me dirige vers l’Ile Saint Louis. J’arrive jusqu’à l’ile de la citée.

Paris est désert. Je me souviens de la semaine de vacances que nous y avions passé il y a … longtemps ! On disait que paris était désert au mois d’aout, mais j’avais quand même l’impression que la ville grouillait de monde. Aujourd’hui, je suis dans une ville fantôme, quasiment pas de voiture à part les camions kaki et les piétons sont rares.

Je passe devant les ruines de Notre-Dame. Noirci par la suie, l’unique tour ayant échappée aux flammes semble surgir du centre de la terre au milieu d’un tas de gravats et veiller sur une ville morte...

Je rejoins l’autre rive et je redescends vers la gare de Lyon. Je me ferai moins remarquée dans la gare.

Un téléphone vibre, c’est le mien, message de Max : “Moi aussi”.

Je jette un œil à l’autre téléphone, il est en marche, il y a du réseau.

J’ai faim.

Je rentre dans une brasserie en face de la gare. La salle est vide à part deux hommes assis à une table dans le fond. Ils ont l’air de flics en civil. Celui qui est tourné vers la salle me sourit. Je lui rends son sourire et je m’assieds en leur tournant le dos derrière la vitrine. Je commande un jambon beurre et un café.

-A cette heure-ci, c’est tout ce qu’il y a ! Le reste du temps aussi d’ailleurs. Faut pas être difficile ma petite dame.

Baguette parisienne de la veille, je pense à Maxime. Même le café est imbuvable.

D’où je suis, je vois l’horloge de la gare. Au pied, il y a un clochard installé avec bonnet Pikachu posé devant lui. Il est presque aussi jeune que moi. Qu’est ce qui a merdé dans sa vie pour qu’il se retrouve là ? Il a sûrement faim aussi. Qu’est-ce que cette révolution a changé pour lui ?

Et si je coupais le téléphone et que je restais assise ici à regarder le monde s’écrouler jusqu’à ce que tout soit fini ?

Une patrouille s’approche du jeune mendiant. Je n’entends pas ce qu’ils disent. L'un des soldats s’approche de lui et le pousse du pied. Il finit par rassembler ses affaires et s’éloigne. Plus loin, il se retourne et leur fait un doigt d’honneur. Le soldat le met en joue et fait semblant de tirer dans sa direction, mais il s’est déjà retourné et continue son chemin. Les soldats rentrent dans la gare.

Je me lève, il va être l’heure.

Le téléphone vibre, pas celui de Max, l’autre.

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