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J’ai marché vers la lueur blanche tout au bout du tunnel mais ce n’est que la lumière aveuglante d’un néon qui m'a accueillie quand je suis revenue dans le monde des vivants.

Max n'était pas penché sur moi quand j'ai ouvert les yeux.

Je les referme, puis je les rouvre lentement pour les laisser s'habituer à la clarté.

Sur ma gauche, une machine avec des graphiques lumineux rouge, vert et jaune, parcourus par un point sombre hypnotisant. La même que celle à laquelle était reliée maman.

Je suis dans un hôpital, peut-être dans une prison ?

Au bout du lit, un homme me regarde.

Il a une blouse claire mais ce n'est pas un médecin : Debout, les deux mains posées sur le manche de son balais et le menton appuyé dessus, il m'observe.

  • On dirait bien que vous êtes réveillée pour de bon, cette fois ci. Je vais prévenir le docteur.

Drôle d'accent.

Elle s'est assise sur le bord du lit et me sourit. Elle congédie d'un geste de la main l'homme au balai qui sort en trainant les pieds.

Pas de blouse blanche, mais un stéthoscope autour du cou : Elle, elle doit être médecin ?

Je me souviens de ce vieux film de guerre en noir et blanc, du temps de la période "ciné-club " de maman, où, pour lui extorquer des renseignements, les allemands tentent de faire croire à un soldat américain blessé qu'il est resté dans le coma très longtemps et que la guerre est finie.

  • Bonjour Léa.

Elle connaît mon vrai nom. Elle parle normalement : avec le même accent du sud que moi !

Je ne réponds pas et je détourne mon regard.

  • Dans ton dossier médical tu t'appelles Amandine. Tu es la seule survivante d'un grave accident de voiture qui a eu lieu sur l'autoroute, pas loin d'ici. La vraie Amandine est morte, son cadavre est caché à la morgue de l'hôpital et tu as pris sa place.

Ici, tout le monde est dans ton camp.

Elle marque un silence et elle nuance :

  • A priori, tout le monde est dans ton camp, mais ne raconte ton histoire à personne, c'est mieux, on ne sait jamais. Et puis, il y a les autres malades aussi.

Je me tais, les yeux fixés sur la fenêtre. J'ai encore changé de nom, un jour, je ne saurais plus qui je suis pour de bon !

  • J'aurais besoin que tu me répondes. Ne serait-ce que pour vérifier que tu peux encore parler. Tu es restée très longtemps inconsciente…

Délicatement, elle pose sa main sur ma joue et tourne mon visage vers elle.

Je voudrais attraper son poignet, lui faire mal, qu'elle comprenne que je ne suis pas sa copine. Mais je suis trop faible et ma main retombe sur le drap.

  • Léa, est ce que tu me reconnais ? Ça fait très longtemps que tu ne m'as pas vue, tu étais une petite fille l'époque, mais tu me connais.

Je la fixe sans baisser les yeux.

Elle a le même regard que Max… Si je n'étais pas couchée, je crois que je tomberais par terre...

  • A... Alexandra ?...

C'est les premiers mots que je prononce depuis que je suis réveillée. J'ai la gorges sèche et j'arrive à peine à articuler.

Elle sourit. Bonne réponse !

Alexandra, Alex, la grande sœur de Max. L'ainée, 10 ans de plus que lui, montée à Paris faire son internat de médecine. Depuis des années, ils sont fâchés, tous les deux. Depuis que Max a dû renoncer à son rêve d’études en informatique pour reprendre la boulangerie familiale. Où est Maxime ? Est-ce qu'il sait que je suis là. Est-ce qu'elle sait que Maxime et moi ?...

Les questions attendront, les réponses aussi.

  • Comment tu te sens ?
  • J'ai faim !

Je n'ai eu droit qu'à une compote...

La semaine qui a suivi, elle est venue me voir tous les jours.

Quand nous sommes seules, elle m'appelle Léa, quand il y a quelqu’un elle ne m'appelle pas.

Elle respecte ma méfiance et ne me pose pas de questions indiscrètes. Doucement, elle m'a mise en confiance comme elle aurait apprivoisé un animal craintif, alors aujourd'hui je me laisse aller :

  • Ou sommes-nous ?
  • Hôpital maritime de Berck : le Nord, loin de chez nous ! A la fin de mon internat à Paris, j'ai suivi un autre jeune médecin auquel je suis beaucoup attaché et nous sommes installés ici.
  • Et moi, comment je suis arrivée ici ?
  • C'est Vador qui t'as amenée.
  • Vador ?
  • Vous êtes chiants avec votre gout du secret ! Qui veux-tu que ce soit ? Tu le connais mieux sous le nom de Maxime !
  • Max ! Il est ici ?
  • Non, mais il vient souvent. Aussi souvent qu'il peut...La dernière fois c'était... il y a dix jours.
  • Vous... vous êtes réconciliés ?
  • Oui, grâce à toi... Quand tu as été blessée, il s'est souvenu de mon numéros de téléphone.
  • Comment il m'a retrouvée ?
  • Tu le lui demanderas. A moi, il n'a rien voulu me dire, moins j’en saurait... tu connais la musique!
  • Il va venir ?
  • Oui, un jour, il va revenir...

Elle ne dit pas la suite, mais je la devine : s'il ne lui arrive rien.

Tout d'un coup, elle parait très vieille, épuisée, fragile, au bord des larmes. Je ne sais pas quoi dire pour la rassurer.

  • Quand cette guerre va finir, on se rendra compte qu'elle n'a servi à rien. Bien qu’il ne me dise rien, je ne suis pas débile : tu étais dans le groupe de l'Elysée ?

La petite lumière rouge clignote. Pas celle de la machine à côté du lit, je n'y suis plus branchée et je m'alimente toute seule, celle de mon cerveau en alerte : je sens le piège, de ma réponse, va dépendre mon avenir.

  • Oui...
  • Lui aussi ?
  • Non, pas lui.

J'ai décidé de lui faire confiance, totalement confiance, à pile ou face.

Quoi qu'elle en pense, elle aussi elle la fait, cette guerre, et en soignant une fugitive elle a choisi un camp. Et même si elle a surement raison et qu'elle ne changera rien, est-ce qu'elle aurait pu ne pas la faire ? Est-ce que j'aurais pu ne pas la faire ? A quel moment avons-nous choisi de la faire ? Avons-nous choisi ? Comme si elle lisait dans mes pensées elle dit :

-Je ne fais la guerre à personne, tu serais dans l'autre camp, je t'aurais soignée aussi.

Mais si j'avais été dans l'autre camps je n'aurais pas eu à prendre la place d'une morte pour être soignée.

Elle se reprend, se redresse, souri à nouveau. Ce n'est qu'un masque, mais je suis en de bonnes mains ici.

  • Et le reste du commando ?

Elle hésite une seconde qui dure une éternité et quand elle parle je sais déjà ce qu’elle va dire.

  • Officiellement le commando a été anéanti, même toi...Tu es la seule survivante mais personne ne doit le savoir. Ils ont résisté jusqu’à la tombée du jour et le palais a brulé toute la nuit. Le monde entier a vu l’Elysée bruler et depuis rien n’est plus comme avant. Le président ne peut plus s'appuyer sur un soi-disant soutien sans faille du peuple. Et même si vous êtes présentés comme des terroriste manipulés par les U.S.A., dorénavant, aux yeux du monde la résistance existe ! Et la répression est encore plus féroce ! Ils ne font plus semblant et ne se cachent même plus pour protéger leur pouvoir tout neuf.

Au fond de nous, nous savions tous que nous n’en reviendrions pas. J’aurai dû mourir avec eux et je suis toujours vivante. Je suis vivante et pas eux. C’est comme si l’air que je respire était soudain trop riche en oxygène, ma tête tourne et la chambre tourne dans l’autre sens. Je ferme les yeux et je tourne dans le noir. Puis je tourne moins vite et je m’arrête de tourner. Quand je rouvre les yeux le monde est toujours là, immobile.

  • Je voudrais me lever.
  • Ç'est possible.

Elle appelle un infirmier qui m'installe dans un fauteuil roulant. Ils me poussent jusqu’à la fenêtre.

  • Ça fait une éternité que je n'ai pas vu l'océan.
  • Ce n'est pas l'Océan, juste la Manche : avec un peu d'imagination, tu peux voir la Tour de Londres sur l'horizon.
  • Avec un peu d'imagination, je peux voir la Statue de la Liberté, si je veux !

Je n’ai même pas la voix qui tremble.

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