Épilogue
Nous sommes tous réunis chez papa.
Même papy et mamie, qui ne sortent plus beaucoup de chez eux ont fait le déplacement.
Il ne manque que Maxime qui fait campagne pour sa réélection. Ce n’est pas gagné, son statut d’ancien combattant ne suffira pas. Ça n’impressionne plus personne.
Nous fêtons la réussite de l'exposition de Lucas. Ses toiles sombres et tourmentées se vendent bien, c'est un vrai succès.
J'avais prévu d'annoncer au dessert que Sylvain (oui, Maxime avait raison, c'est un garçon) allait bientôt avoir une petite sœur (cette fois, c’est sûr !) mais je ne l'ai pas fait. Je n'ai jamais vu Lucas aussi heureux depuis bien longtemps. Ses relations avec papa s'apaisent et je ne veux pas lui voler la vedette.
Après manger, papa est allé s'assoir sur le banc au fond du jardin.
Je le rejoins et je m'assieds à côté de lui.
Un chat nous observe, caché dans la haie.
-Tu as un nouveau chat ?
Papa se penche et tapote du bout des doigts sur le sol. Le chat s'approche, méfiant.
C'est un vieux male roux à moitié pelé, couvert de croutes et de cicatrices. Un bout d'oreille arraché, un œil semi fermé.
-Qu'est-ce qu'il lui est arrivé !? Il a été aspiré par une moissonneuse batteuse !
-Je ne sais pas, il a échoué ici dans cet état…Sur certains, la vie laisse plus de traces que sur d'autres…
Papa l'attrape et le pose sur ses genoux. Le chat se laisse faire et s'installe.
-Je l'ai appelé Platon.
-En souvenir de la résistance ?
-Il faut qu’on parle.
-Tu vas te remarier ?
-Nous étions deux à la tête du groupe Platon : Gérard et moi.
Nous n'avions quasiment jamais parlé de la résistance… Jamais participé à la moindre commémoration…Une volonté commune et illusoire de laisser cette période de notre vie, ses cadavres et ses fantômes loin derrière nous …
Il reste silencieux et caresse le chat qui ronronne.
-Vous... Mais alors...Platon c’est... ?
-Oui, c’est moi aussi.... Quand tu l’as contacté, Pasquier m’a aussitôt appelé. J’avais tout fait pour vous mettre à l’abris et toi tu voulais jouer à la guerre. Gérard a essayé de me persuader de refuser. Il avait perdu sa femme, lui aussi. C’est ça qui nous a rapproché quand maman est tombée malade... Il avait perdu son fils aussi. Les enfants, c’est sacré ! Tu ne peux pas prendre cette responsabilité ! Je l’ai prise quand même et il a respecté ma décision. On t’a juste donné un téléphone, pour garder contact, pour te faire patienter. En espérant vaguement que tu te lasserais. Mais je savais bien que si on t’appelait, tu décrocherais à la première sonnerie.
Il se tait. Je ne dis rien, il n’a pas fini.
-Quand l’opération Elysée a commencé à se concrétiser, c’est moi qui ai pensé à toi... C’était une évidence. Ça a été terrible avec Gérard. C’est quelque chose qu’il ne pouvait pas concevoir. Mais, c’était son plan. Dans sa tête, ça n’a jamais été une opération suicide. Il respectait trop la vie pour ça. Alors il a cédé.
Il caresse toujours le chat.
-Ça n'aurait pas dû se passer comme ça …
-Mais, ça s'est passé comme ça… On savait tous que c'était dangereux et qu'on pouvait y rester. Moi aussi, je le savais…même à 17 ans…personne ne m'a obligée…
-Pourquoi tu n’as rien dit avant ?
-En se suicidant, Pasquier a préservé tous les survivants du groupe. Il s’est sacrifié pour nous, je pouvais bien lui en laisser la gloire, ce n’est pas très important...
-Il s’est suicidé ?
-Oui, sans doute. Il avait tout prévu, il savait qu’il ne résisterait pas à un interrogatoire musclé, c’était un idéaliste, pas un guerrier. Alors...
Une larme coule le long de sa joue…
Je l'essuie du pouce et je l'embrasse.
-Merci de m'avoir fait confiance.
Je pose ma tête sur son épaule et ma main sur sa main et nous restons longtemps tous les deux à caresser un vieux chat couvert de cicatrices nommé comme un philosophe grec qui pensait que la démocratie porte en elle les germes de la tyrannie...
...et comme un vieux résistant qui avait été prêt à sacrifier la vie de sa fille pour une cause qui nous dépassait tous les deux…
-On peut s’assoir aussi, ou c’est réservé aux anciens combattants ?!
Sans attendre de réponse, Lucas s’assoit prés de papa et pose sa tête sur son épaule. Camille se met près de moi. Je me redresse.
Nous restons silencieux.
Sous le cerisier, le fantôme de maman nous regarde en souriant. Lucas l’a vu aussi...
C’est lui qui brise le silence : C’est un garçon ou une fille ?
Pensant chacune qu’il s’adresse à nous, nous répondons ensemble, Camille et moi.
-Une fille.
-Un garçon.
Nous nous regardons toutes les deux et nous éclatons de rire.
-Comment tu sais ?
-Vous avez toutes les deux repris des fraises au dessert !
-Y’avait pas de fraises au dessert !
-Alors, c’est ma petite voix qui me l’a dit, elle ne se trompe jamais !
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