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Les prédictions d'Ombeline se sont réalisées : en entendant sa fille arriver, Gabriel, debout devant l'âtre de la cheminée, le regard rivé sur le spectacle hypnotisant du bois flamboyant, a complimenté sa tenue dans un léger mouvement de tête lancé par-dessus son épaule costumé.
Dans le silence pesant de ce soir de décembre, seule la vieille comtoise se fait entendre, produisant le bruit mécanique du balancier que le crépitement du bois dans la cheminée vient à peine troubler. Ombeline se tait. Pourtant tout en elle hurle une fureur démesurée. Elle voudrait briser ce silence qui creuse chaque jour un peu plus le fossé qui la sépare de son père, elle voudrait le questionner sur ces souvenirs flous qui la hantent, elle voudrait qu'il lui parle d'Adélia au lieu de faire comme si elle n'avait jamais existé, elle voudrait avoir le courage de se révolter. Au lieu de cela, elle laisse le tic-tac résonner dans la grande salle à manger égrenant un temps que les bûches consument lentement.
A la fin du repas, Ombeline quitte la pièce, impatiente de se retrouver seule pour libérer ce nœud de chagrin qui la fait suffoquer. Gabriel reste là, comme un pantin de bois, disloqué par le poids des années. Ce n'est que lorsque Marta arrive pour débarrasser les restes du repas, qu'il s'anime enfin.
- Vous avez acheté les cadeaux ?
- Oui Monsieur !
- Bien ! J'espère qu'elle sera contente...
Marta jette un coup d' œil à son patron. Il lui semble que chaque jour le consume un peu plus.
- Monsieur, vous savez ce qui la rendrait vraiment heureuse...
- Elle est morte Marta ! Je ne peux pas la ramener !
Gabriel a hurlé. La colère défigure son visage. Une teinte rouge sang semble s'échapper de la veine saillante qui lui zèbre le front. Avec toute la douceur qui la caractérise, Marta ose :
- Je sais Monsieur, mais elle vit toujours en vous, là dans votre cœur. Partagez-la...
Sur ces mots, Marta retourne en cuisine laissant Gabriel dans l'intimité de son spleen.
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Dans sa chambre, Ombeline a fini par s'endormir. Une trainée scintillante parcourt ses joues, témoin asséché de ses larmes versées. Une mélodie lointaine murmure des notes que le vent malmène. Caressée par un étrange souffle d'air, Ombeline s'extrait lentement de son sommeil. Les yeux papillonnant à travers la pièce feutrée qu'éclaire d'un reflet lunaire le ciel étoilé, l'enfant se lève et s'approche des fenêtres, découvrant des flocons argentés virevoltant au-dessus d'un épais manteau blanc.
Surprise par cette soudaine chorégraphie givrée, ses fines lèvres serrées en un rictus amer s'étirent enfin, pailletant ses deux prunelles d'éclats solaires. Le murmure musical entendu quelques instants plus tôt dans les profondeurs de ses rêves reprend son récital. Intriguée, Ombeline ouvre la porte de sa chambre et traverse le corridor silencieux que rythme le son duveteux de son pyjama soyeux. Attentive à la moindre note, elle sillonne les étages jusqu'à parvenir en bas du dernier escalier, celui qui grimpe au grenier.
La musique s'est tue. Seul le vent s'immisçant à travers les tuiles gronde son air lancinant. La main sur la rampe d'escalier, Ombeline, tend l'oreille, peu rassurée. La mélodie reprend. Elle grimpe les marches et aperçoit un faible rai de lumière filtrer sous la porte. Les muscles d'Ombeline se tétanisent, son cœur s'emballe au rythme des pensées qui l'assaillent.
Pourquoi est-elle venue ici ?
Dans l'endroit le plus reculé de la maison ?
Quelle est cette mystérieuse mélodie ?
Qui joue avec sa raison ?
Le cœur battant, Ombeline s'approche de la porte du grenier et dans un léger élan, elle actionne la poignée.
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