Chapitre 23 : Boulden, de nos jours. (3/3)
Le discours fut suivi d’un moment de silence. Puis peu à peu, les cris éclatèrent, violents, et continuèrent à s’enfler de plus en plus pour finalement se transformèrent en acclamations. La pentarque fit face à la foule, levant les bras en l’honneur de la future victoire.
De leur point de vue, Deirane et ses guerriers avaient assisté au discours. S’ils ne participèrent pas à l’euphorie générale, ils n’en manifestèrent pas moins leur fierté.
— Elle pourrait bien mener ses hommes à la victoire, remarqua Deirane, elle a du talent.
— C’est une excellente générale en effet, acquiesça Saalyn.
— Je parlais du discours.
— Ce n’est pas elle la politicienne, c’est Wotan ou Vespef. À mon avis l’un des deux l’a prononcé à sa place.
Deirane tourna la tête vers son amie.
— Je l’ai vu… Comment ?
— Télépathie, répondit-elle simplement.
— J’aurai dû y penser, remarqua Deirane. Ils peuvent d’aussi loin ?
— Même beaucoup plus, s’ils ont suffisamment de puissance à leur disposition.
En y réfléchissant, les quelques centaines de longes séparant Boulden de l’Helaria ne semblaient pas être un obstacle si insurmontable. Le physique de gamine de la pentarque faisait facilement oublier qu’elle était une des magiciennes les plus puissantes du monde.
Les hurlements de la foule se calmèrent peu à peu. La pentarque recula tout en restant face à elle jusqu’à ce qu’elle soit hors de vue. Elle s’esquiva alors par une écoutille dans les profondeurs du navire. Peu à peu, les marins et les soldats reprirent leurs esprits. Ils se dispersèrent, chacun retournant à la tâche qui lui était assignée.
Deirane se retourna et regarda enfin la troupe que lui avait confiée la pentarque. Lors du départ, elle n’avait pas pu faire la différence entre l’escorte de Muy et ses propres hommes. Et pendant la chevauchée, elle était en tête.
Comme elle s’y attendait, elle était multiraciale. Le gros de la troupe était représenté par les stoltzt, quatre femmes et six hommes, en comptant Saalyn. Néanmoins, elle était étrange à plus d’un titre. Si tous les sexes et les peuples étaient représentés, ils étaient tous taillés dans le même moule. Ils étaient de taille moyenne, à mi-chemin entre l’edorian et le stoltz, et tous arboraient une musculature impressionnante. La plus fluette des femmes aurait pu en remontrer à des athlètes accomplis. Leur uniforme aussi, loin des standards helarieal, était constitué d’un pantalon, d’une tunique verte et d’un chapeau de forestier de même couleur surmonté d’une courte plume argentée. Leurs chaussures en cuir noir tenaient de la bottine en plus massif. Quant à leurs armes, tous avaient une épée courte, un couteau à la chaussure et un autre à la ceinture. Pas de boucliers, pas d’armure.
Deirane les soupçonnait d’appartenir au même régiment et que leur volontariat se situait au niveau du groupe et pas à titre individuel. Si tant est qu’ils soient volontaires. À ces vingt-quatre hommes, s’ajoutaient deux palefreniers. Avec Saalyn et le sensitif, Deirane et son fils portaient leurs forces à une trentaine de personnes.
La monture était la même pour tous, des chevaux. Ceci avait été jugé préférable pour éviter les problèmes de cohabitation entre les mammifères et les reptiles. Et Saalyn avait prévu la possibilité d’une retraite rapide. La vitesse apportée par les équidés était dans ce cas nettement préférable à l’endurance des lézards-dragons. Quatre chevaux supplémentaires avaient été prévus pour transporter leurs affaires, mais aucun pour la jeune fille qu’ils allaient récupérer. Vu son âge et son origine, il était peu probable qu’elle soit une cavalière émérite, capable au besoin d’assurer une chevauchée rapide. Il était prévu qu’elle soit prise en croupe par une des femmes.
Saalyn était maintenant chef de l’expédition. Elle ordonna à un edorian de se mettre en route. Celui-ci leva le bras pour donner l’ordre de marche. La troupe descendit la colline en file indienne. Mais ils n’allaient pas au port de commerce. Ils passèrent devant les jetées sans s’y arrêter. Leur objectif était l’embarcadère des bacs qui traversaient le fleuve, plus au nord. L’un d’eux venait d’aborder et avait débarqué ses passagers.
Le courant entraînait toujours ces embarcations peu manœuvrables vers l’aval. Après l’accostage, il fallait leur faire rejoindre l’amont. Des chevaux étaient consacrés à cet usage. Le remorquage se faisait à vide pour éviter trop d’effort aux animaux. La langue de terre qui hébergeait le port était relativement courte, aussi c’est sur la rive orientale que ce rattrapage s’effectuait, le quai d’embarquement y était plus au nord et celui de débarquement beaucoup plus au sud que du côté de Boulden.
Les quais étaient construits en bois. Bien qu'il y ait eu de la place pour plus d’une dizaine de bacs, il n’y en avait que la moitié de présents. Le côté de la langue de terre adossé au marécage contenait quelques rares échoppes, mais il était surtout consacré aux passagers qui attendaient. Il n’y avait qu’une seule zone d’embarquement, un ponton situé tout au nord, juste en face du poste de garde. Un bac était en cours de chargement ; vu la foule qui attendait, ils n’auraient pas de place dans celui-là, ni même dans les suivants actuellement amarrés. Il y avait un départ toutes les trois calsihons environ, ils auraient plus d’un monsihon à attendre. Les soldats mirent pieds à terre. Saalyn prit la bourse que lui avait remise Muy et alla négocier avec le chef de quai. Sa cahute était en face de la zone d’embarquement.
Quand elle revint quelques stersihons plus tard, elle avait un air joyeux.
— Alors ? l’interrogea Deirane.
— On a une place dans le quatrième bac.
— Combien ? demanda un edorian.
Deirane se remémora son nom, Faal.
— Sept cels.
— Un quart de cel par cheval. Les tarifs augmentent.
Saalyn haussa les épaules, elle n’y pouvait rien. Le chef de quai s’était montré intraitable. Il avait été insensible au charme de la stoltzin et appliqué le tarif officiel, refusant tout marchandage.
— On a combien à attendre ? demanda Deirane.
— Un peu plus d’un monsihon.
Deirane fit la moue.
— Ça fait long.
Saalyn fouilla dans ses fontes et en sorti un petit jeu d’échec minuscule.
— Ne sois pas si impatiente. Nous ne pouvons pas nous engager la nuit dans la jungle. Il vaut mieux bivouaquer en chemin et n’entrer dans la forêt qu’au petit matin. C’est d’ailleurs ainsi que nous avons prévu d’opérer, en faisant une escale au dernier refuge avant la frontière avec l’Yrian. Que nous prenions le premier, le quatrième ou le dernier bac, cela ne changera rien au déroulement des opérations. D’ici là…
Elle agita son jeu.
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