Chapitre 31 : Territoires edorians, de nos jours (2/2)
Un grattement discret à la porte alerta Deirane. Elle se redressa, attentive. La porte s’ouvrit et une petite silhouette entra. C’était une jeune femme, une humaine, celle qu’elle avait vue en compagnie du taxidermiste un peu plus tôt. Elle était habillée de haillons comme une esclave appartenant à un maître avare. Sauf qu’elle n’avait pas l’attitude d’une esclave, Bien au contraire, elle semblait sûre d’elle, attentive à ce qui l’entourait, sans manifester aucune crainte. Une assurance qu’on aurait jamais attendu d’une personne aussi menue. Elle ferma la porte derrière elle.
— Deirane ? Cleindorel ? demanda-t-elle en helariamen.
— C’est nous, confirma Deirane, vous êtes venue nous chercher ?
— Habillez-vous vite.
La nouvelle venue tendit un sac aux deux prisonnières. Deirane regarda dedans. Elle y trouva des vêtements plus adaptés à une marche en forêt que ceux que les deux femmes portaient actuellement. Pendant qu’elles se changeaient, Deirane discuta avec la jeune femme.
— Qui êtes-vous ? demanda-t-elle.
— Mënim de Silmenare, apprentie de la corporation des guerriers libres.
— J’ignorais que les apprentis partaient en mission.
— Les apprentis suivent leur maître dans certaines de leurs missions, pour apprendre.
— Je connais votre maître ?
— Je suis la disciple d’Öta.
— Öta est ici ? Je le croyais dans les royaumes nains.
— Il ne faut jamais croire ce qu’on raconte. Vous l’avez vu ici même il y a quelques monsihons en compagnie d’Aldower.
— C’était lui ? Je ne l’avais pas reconnu.
Mënim hocha la tête.
— Où est-il maintenant ?
— Il s’occupe de faire entrer le commando.
Deirane entra sa chemise dans son pantalon avant de demander.
— Comment nous avez-vous trouvé ?
— Nous ne sommes pas les seuls à poursuivre ce drow. Une troupe de bawcks était aussi sur ses traces. Ils connaissaient à peu près l’emplacement du château. Nous nous sommes associés. Pour les détails, Wuq nous a guidés en se basant sur l’esprit du sensitif.
— Elle a eu le temps de repérer le château avant qu’il ne soit assassiné ?
— Elle est douée, l’une des meilleures dans sa partie.
Deirane avait noté, la disciple avait bien dit Wuq, pas Muy. La deuxième sœur. Son ravisseur avait maintenant toute la Pentarchie à ses trousses. Les Dargial Caltherisy étaient en chasse. L’espérance de vie d’Aldower venait singulièrement de se réduire.
Tout en achevant de se préparer, elle jeta un coup d’œil à sa nièce. La fillette avait été très perturbée par son enlèvement. Elle savait s’habiller depuis des années, toutefois elle avait mal fixé les lanières qui maintenaient sa tunique fermée. Deirane l’aida à les ajuster.
L’équipement apporté par la jeune apprentie comprenait des chaussures de marche. Deirane enfila sa paire. Les lacets noués, elle reprit la discussion.
— Avec un sensitif et un guerrier libre mort, vous savez ce que me réservent les pentarques ?
— Que voulez-vous qu’ils vous fassent ? Aldower nous a déclaré la guerre, c’est lui l’ennemi. Pas vous.
Deirane était rassurée. Elle s’attendait à ce que Muy lui mette la mort de Saalyn sur le dos. Apparemment, elle était revenue à de meilleures dispositions la concernant.
— Quelle est la suite du programme maintenant ?
— On attend le signal d’Öta et on y va.
— En quoi consiste ce signal ?
— On verra bien. Je suppose qu’il sera facilement reconnaissable. Vous êtes prête ?
Deirane jeta un coup d’œil sur sa nièce qui avait fini de s’habiller.
— Oui, répondit-elle.
— Attendez-moi, je reviens.
Mënim s’apprêtait à sortir.
— Vous nous laissez seules ? demanda Cleindorel.
— J’en ai pour quelques stersihons.
— Il peut se passer bien des choses en quelques stersihons.
La jeune guerrière libre vérifia que le couloir était vide avant de quitter la pièce, refermant soigneusement la porte derrière elle.
Contrairement à sa promesse, la petite disciple mit longtemps à revenir. Deirane commençait à croire qu’elle avait été capturée quand la porte s’ouvrit à nouveau. Deirane fut aussitôt sur ses gardes. Toutefois, quand elle vit qui Mënim ramenait avec elle, elle fut transportée de joie. Saalyn était bien vivante, même si elle semblait être en piteux état. Elle donnait l’impression d’être saoule, ses mouvements étaient hésitants, mécaniques. Elle serait tombée sans la jeune apprentie qui la soutenait. Sa mise était misérable avec ses cheveux et sa robe mouillée. Sa compagne tentait de la guider mais étant toute petite et pas très forte, le trajet jusqu’à la chambre l’avait fatiguée. Deirane se leva pour l’aider. À deux, elles amenèrent la stoltzin jusqu’au lit. L’ancienne reine d’Orvbel s’assit pour la recevoir. Saalyn se laissa aller entre les bras de son amie, incapable d’un effort supplémentaire.
— Que lui arrive-t-il ? demanda Deirane.
— Le froid, répondit Mënim, ce drow l’a enfermée dans une chambre froide.
— Je la croyais morte, je n’entendais plus battre son cœur.
— Les stoltzt sont plus solides qu’on ne croit. Le cœur repart souvent de lui-même au bout de quelques vinsihons Les crises cardiaques sont une particularité humaine. Vous l’ignoriez.
— On a dû me le dire un jour. Mais je n’en ai pas tiré les conclusions.
— Et Aldower non plus pour notre bonheur.
— Elle n’a pas l’air bien, remarqua Cleindorel.
— Elle est à la limite de tomber en léthargie. Il faut la réchauffer. Elle va aller mieux quand elle aura plus chaud.
Deirane l’enveloppa dans la couverture que lui tendait sa nièce. Puis elle la frictionna. Mënim fouilla dans le sac qu’elle avait amené et en sortit de quoi remplacer ses vêtements mouillés qui ne devaient pas l’aider à se réchauffer.
— Pourquoi l’avoir habillée si vous deviez la changer juste après ? demanda Deirane.
— Il n’était pas question de la laisser dans la tenue que lui avait imposée ce drow.
Elle ne pouvait qu’être d’accord avec la petite femme.
Les deux adversaires se jaugeaient du regard. Chacun essayait de saisir le moment opportun où l’autre relâcherait son attention pour lancer l’attaque. Elle vint, si foudroyante, que Öta faillit se laisser surprendre. L’humain s’était fendu, obligeant le stoltzen à reculer. Il bloqua l’attaque suivante. Ils échangèrent quelques passes pendant lesquelles aucun des deux ne parvint à prendre l’avantage.
— Pas mal, pour un guerrier libre, remarqua Stranis.
— Pas mal pour un vieillard, renvoya Öta.
Il lança l’attaque suivante, que l’ancien chef de bande parvint à parer sans peine.
Il n’avait fallu qu’un instant à l’Helariasen pour juger son adversaire. Très habile et très expérimenté. Plus que lui. Son seul atout résidait dans sa jeunesse. Stranis était un vieillard, son endurance était forcement moindre que celle d’Öta. Entre un stoltz et un humain, les années correspondaient à des décennies. Il pouvait l’avoir à l’épuisement. Le tout était de parvenir à tenir assez longtemps sans se faire blesser. Finies donc les attaques risquées. Il se contenta de se défendre tout en faisant courir son adversaire.
Stranis était conscient de ses limites. Il était arrivé à la conclusion inverse, il devait finir rapidement le combat. Ses assauts étaient violents, dévastateurs, et obligeaient Öta à se surpasser pour les contrer. Plusieurs fois, il faillit percer les défenses du guerrier libre.
Leur combat conduisit les deux adversaires jusqu’à l’escalier qui menait sur le chemin de ronde. Stranis pris l’avantage en montant quelques marches, dominant son opposant de sa position élevée. Il lança quelques attaques foudroyantes que Öta para de justesse. Le stoltzen pris un peu de distance. D’un rapide coup d’œil circulaire, il chercha quelque chose pour l’aider. La cour était totalement vide.
Brusquement, le stoltzen fit demi-tour et se précipita vers la pièce qui commandait la porte des remparts.
— Lâche, lança Stranis.
Il se lança à sa poursuite. Il le rattrapa à mi-chemin. Öta lui fit face et para l’attaque. Les deux épées restèrent engagée.
— Tu t’enfuis, tu as peur de moi, cracha Stranis.
— Ma mission est d’ouvrir cette porte, pas de te combattre.
— Tu n’as aucun sens de l’honneur.
— L’honneur est une affaire personnelle. Je suis en mission. La mission passe avant l’honneur.
Öta repoussa son adversaire. Il tenta de profiter de son déséquilibre pour l’attaquer. Stranis parvint à arrêter l’épée de justesse.
Les échanges reprirent. Peu à peu, Stranis commençait à se fatiguer, il reculait tout doucement vers la muraille. Il fit quelques passes rapides, se fendit, attaqua à nouveau. Öta parait toutes les attaques avec difficulté, mais il parvint à rester indemne.
L’épée du guerrier libre toucha le bras d’épée du mercenaire, l’entaillant jusqu’à l’os. Stranis lâcha son arme et tomba à genoux, la main sur la plaie qui dégoulinait de sang. Öta lui plaça la pointe sous la gorge.
— Tu as perdu, dit Öta, tu as présumé de tes forces.
Pour toute réponse, Stranis lui sourit, un sourire cruel de vainqueur. Il regardait son adversaire droit dans les yeux.
— Ta vie misérable s’arrête ici, continua Öta. Tu as une dernière phrase à dire ?
Öta s’attendait à des supplications, un plaidoyer, voire à des insultes. En aucune façon à ce silence et cet air arrogant qu’il affichait.
Un choc violent dans le dos projeta le stoltz en avant. Il tomba alors que Stranis se poussait. Une flèche, lancée par un archer embusqué venait de le toucher. Sa cuirasse avait rempli son rôle. Néanmoins, la pointe avait crevé le cuir bouilli et lui avait entaillé la peau. Une blessure sans gravité. Sauf qu’il avait lâché son épée sous la surprise. Et Stranis en avait profité. Il s’était relevé et tenait son arme posée sur la nuque du guerrier.
— Tu avais raison, dit-il, la mission passe avant l’honneur.
Il leva son épée, prêt à décapiter son adversaire.
Mënim était anxieuse. Toute sa petite troupe était prête, y compris Saalyn qui avait été équipée par les trois femmes. Malheureusement la guerrière était toujours léthargique. Incapable de marcher seule, ne faisant preuve d’aucune volonté, elle se contentait d’obéir. Sa seule réaction consciente consistait à se réfugier contre Deirane – seule personne qu’elle connaissait dans la pièce – dès qu’elle le pouvait. Envolée la combattante pleine d’allant, elle semblait devenue une personne craintive.
Deirane n’était pas surprise. Elle avait déjà vu des stoltzt engourdis par le froid. Ils fonctionnaient au ralenti, même leur cerveau allait lentement. Cependant, pour la jeune guerrière libre, cela posait un problème. Bien que la réputation de Saalyn au combat soit fortement exagérée par la légende, elle restait une guerrière habile avec une épée à la main.
Mënim comptait sur elle pour sortir du château, alors que dans son état actuel elle allait constituer un poids mort. Elles allaient devoir traverser un territoire hostile, en transportant une stoltzin amorphe, alors qu’aucune d’elle n’était capable de la soulever seule. Par ailleurs, si Deirane savait se servir d’une épée, elle n’était pas une combattante émérite. Quant à Cleindorel, qui avait jusqu’à présent vécu une existence protégée, elle ne savait même pas par quel côté saisir l’arme. La sécurité de leur petit groupe reposait donc sur ses seules épaules alors qu’elle n’était pas une grande guerrière. Et le signal d'Öta qui n’arrivait toujours pas.
Elle regarda par la fenêtre, essayant d’apercevoir les troupes qui se cachaient au-delà de la muraille. Elle ne voyait rien bien sûr, elles ne devaient pas se faire repérer avant l’assaut. Pourtant elles étaient là. Pourquoi n’étaient-elles pas encore entrées dans la forteresse ?
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