Chapitre 39 : Nord de l’Unster, de nos jours (2/3)
La phrase était cruelle, elle était pourtant loin d’être inexacte.
— Et pour en revenir à Aldower.
— Bien sûr, Aldower.
Elle s’humecta les lèvres.
— Saalyn a compris il y a un an environ que le drow que nous cherchions était celui qui t’avait fait cela.
De la main, elle désigna le tatouage de Deirane.
— À l’époque, ce n’était qu’une information de plus au dossier, sans grande importance. Nous l’avons rajoutée à ce que nous savions déjà sur Aldower. Puis une lettre qui t’était adressée est passée par nos services .Elle nous apprenait que ta nièce avait été enlevée par des trafiquants d’esclaves. Naturellement, Saalyn ne pouvait qu’enquêter sur un sujet qui te touchait de si près. Elle a découvert que ces trafiquants travaillaient pour Aldower lui même. Nous en avons tiré toutes les conclusions.
— Qui étaient ?
— Comme nous, Aldower avait perdu ta trace. Et il voulait reprendre contact avec toi. La mission de Saalyn a changé. Elle ne devait plus trouver le drow, mais te trouver toi. Aldower ne tarderait pas à se montrer. En te surveillant on arriverait à lui.
— La rencontre dans le bar n’était pas un hasard.
— Elle t’attendait.
— Je croyais qu’elle était à Boulden pour remplir une mission, remarqua Deirane d’un ton amer.
— Elle ne t’a pas menti. Sauf que sa mission, c’était toi.
Deirane se sentait humiliée et trahie par cette révélation. Elle envisagea un instant de planter la pentarque sur place et d’aller s’expliquer avec celle qui se disait son amie.
Sa curiosité l’emporta.
— Comment m’avez-vous retrouvée ? demanda Deirane.
— Très simplement. Nous avons dupliqué la lettre et nous l’avons dispersée dans tout l’Ectrasyc. Nous espérions qu’un de tes contacts finirait par tomber dessus et te la transmette. Puis nous t’avons attendue à Boulden. C’est la seule ville du continent nord à faire commerce d’esclaves. C’est là que ta nièce a été mise en vente. D’ailleurs savais-tu qu’elle a été vendue six fois avant que tu n’arrives ? Tout comme nous, Aldower attendait que tu réapparaisses. Ce qui a pris quatre mois.
— Vous ne saviez vraiment pas où j’étais ?
— Aux dernières nouvelles tu étais en prison à Oscard. Quand la ville a été dévastée par les bawcks, nos enquêteurs n’ont pas réussi à nous dire si tu t’étais évadée ou si tu étais morte. Dans le second cas, nos plans auraient été compromis. Nous avons eu de la chance.
— Lorsque les bawcks ont investi la prison, l’un d’eux m’a reconnue. J’avais une vieille dette en suspens. Ils m’ont fait prisonnière. J’ai vécu comme esclave parmi eux pendant huit mois. Après les cachots d’Oscard, c’était presque la belle vie. Les bawcks au moins ne sont pas sensibles au charme des humaines. Quand leur orkant est mort et qu’ils m’ont proposé le poste, j’ai accepté.
—Techniquement tu es toujours une esclave, tu n’es pas gênée à l’idée de ne pas avoir ta liberté ?
— L’esclavage, je connais. Le poste d’orkantia me permet de faire presque tout ce que je veux, tout en me rendant intouchable : je suis une possession des bawcks, qu’on lève la main sur moi et la tribu se lancera à la poursuite du responsable. Le capitaine des gardes de Selmanthi a engagé des mercenaires pour me tuer. Ce capitaine est mort et Selmanthi est condamné.
— Je vois. Si nous avions su que tu étais orkantia, nous ne t’aurions jamais intégrée à nos plans. Quand Muy s’en est rendu compte, il était trop tard, les opérations étaient trop avancées.
— Muy ?
— Les bracelets. Saalyn n’y a pas fait attention, mais ma sœur les a immédiatement reconnus.
Deirane hocha la tête pour exprimer sa compréhension.
— Ce plan, quel est-il ? Il me semble que je devais servir d’appât pour attirer le drow. Vous ne vous êtes quand même pas lancés sur cette seule idée.
— Non bien sûr, nous ne connaissions pas le visage de ta nièce, nous ne connaissions même pas celui d’Aldower et il y avait des chances qu’il envoie un commis. Nous avons bien tenté de suivre ce commis, seulement il a pris un bateau et nous n’en avions pas à disposition. Nous ne connaissions que sa direction générale. Il nous a rapidement semés.
— L’Helaria, à court de bateau !
Deirane savourait l’ironie de la situation.
— Heureusement que Saalyn a pu trouver son repaire pour y envoyer une expédition.
— Saalyn n’a pas trouvé son repaire, lâcha Vespef.
La réponse de la pentarque était si inattendue que Deirane resta muette.
— Mais enfin… Les recherches qu’elle a menées au consulat.
— En quatre ans de recherche, Saalyn n’a pas pu avoir le plus petit indice sur l’endroit où il se cachait. Tu crois vraiment qu’elle allait le trouver en étudiant quelques papiers pendant six jours. Ce délai n’avait pour but entre autre que lui permettre de se remettre.
Deirane allait faire une remarque ; elle renonça.
— Comment vous en êtes-vous sorti ?
— En appliquant le plan de Saalyn.
— Nous y voila.
— Puisque nous ne savions pas où il était, il fallait le forcer à se découvrir. Nous avons envoyé une expédition dans la direction qu’il avait prise en espérant qu’il ferait quelque chose. Nous comptions sur l’envie qu’il avait de te rencontrer.
— C’était bien aléatoire.
— Ça fait quatre ans que Saalyn étudie ce drow. Elle sait exactement comment il fonctionne, son caractère, sa façon de penser. Sa réaction était inévitable. Et effectivement c’est ce qui s’est passé. Il est intervenu dans la nuit et t’a capturée avec Saalyn et Trazen. Nous n’avons plus eu qu’à suivre les traces du sensitif pour arriver jusqu’à lui.
— Je persiste à dire que c’était risqué. Il a emporté Trazen avec lui. Il aurait pu tout aussi bien le tuer. Il aurait éliminé une menace. Et vous auriez été le bec dans l’eau. C’est ce que j’aurai fait à sa place.
— Les chances qu’il tue Trazen étaient très élevées en effet. Mais ce dernier était condamné. Sa famille a bu de l’eau contaminé par une pluie de feu. Il était le dernier survivant, il ne lui restait que quelques mois à vivre. Il était volontaire pour cette mission.
— Cela explique pourquoi vous l’avez exposé si inconsidérément au danger. Mais si Aldower l’avait tué de suite ou l’avait laissé en vie sans l’amener à son château…
— Il y avait peu de risque. Nous savions qu’Aldower complotait contre la Pentarchie. Il ne pouvait pas laisser passer l’occasion de nous parler avant de nous anéantir.
— C’est un plan parfaitement huilé que vous avez mené là. Vous avez piégé ce drow en utilisant sa suffisance comme une arme. Un tel plan faisait quand même une grande part à la chance.
— Par exemple ?
— L’arrivée providentielle d’Öta. Il enquêtait dans les royaumes nains quand il a compris qu’il se faisait balader et est revenu juste à temps ?
— Aldower a essayé d’écarter Öta en créant de fausses pistes dans les royaumes nains des montagnes. Il a sous-estimé son intelligence, un travers fréquent chez lui. Öta a compris très vite que quelque chose clochait. Il nous a contactés par une de nos ambassades locales. On lui a envoyé un sosie. Öta a une silhouette remarquable, assez rare chez notre peuple. L’homme d’Aldower n’a pas remarqué la substitution. Öta a alors rejoint Saalyn et s’est caché en attendant qu’Aldower se découvre.
— Où était-il ?
— Au consulat. La chambre à côté de celle de Saalyn. Quand vous êtes partis, il vous a suivi avec une demi-journée de retard. Il ne fallait pas qu’il vous rejoigne trop tôt sinon Aldower aurait compris qu’on lui tendait un piège.
Deirane réfléchissait. Sa place au centre de ce dispositif était importante. Elle constituait l’appât et sans elle, tout cet édifice se serait effondré. Ce qui lui amena une autre question.
— Si j’étais si importante dans ce plan, pourquoi Muy s’est-elle montrée si hostile ? Elle savait que j’étais manipulée.
— Muy aime les choses carrées. Elle voit un ennemi, elle l’attaque. Bien que ça semble un peu simpliste, mais elle est une excellente stratège. Elle échafaude des plans de combats incroyables. Mais toujours en restant franche et droite. Et c’est vrai que ce que nous avons fait n’était ni franc ni droit.
— Heureuse de vous l’entendre dire.
— Cette situation lui déplaisait, elle aura donc reporté son mécontentement sur toi. Elle l’aurait sans doute fait sur Saalyn si elle n’avait pas été si gravement blessée.
— Vous êtes sûr, elle vous l’a dit ?
— C’est ma sœur, depuis mille-huit-cent-cinquante ans. Je la connais aussi bien que moi-même.
Vespef croisa les bras sur sa poitrine. Visiblement ces aveux lui coûtaient. Elle avait répondu sans sourciller aux interrogations de Deirane. Maintenant que c’était terminé, elle semblait mal à l’aise.
Hester intervint alors, détournant son attention. Les deux femmes sursautèrent, elles ne l’avaient pas entendu arriver.
— Ce groupe de soldat qui nous a escortés, ce n’était pas des volontaires ?
— Pas du tout. C’est un commando d’élite, spécialement entraîné pour des opérations de ce genre. Il fallait au moins ça pour vous évacuer avant de donner l’assaut.
— L’entraînement d’un tel commando doit être long. C’est un investissement pour le long terme. Je doute que vous l’ayez créé juste pour pourchasser Aldower. Il y a de fortes chances que ce ne soit pas sa première mission.
— Saalyn a exigé que tu sois sortie du château au moment où on donnerait l’assaut. Si nous avions refusé, elle n’aurait jamais accepté l’opération.
Ainsi donc Saalyn avait accepté l’opération à la condition que la sécurité de Deirane soit assurée.
Toutefois, ce commando d’élite continuait à gêner Deirane.
— Y a-t-il un rapport entre ces soldats et la mort du précédent roi d’Yrian.
Vespef rougit.
— Il était fou et se préparait à déclencher une guerre qui aurait ensanglanté tout le continent. Menjir nous semblait un meilleur choix, avoua-t-elle.
— Je m’en doutais.
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