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 Une fois que nous avons quitté le promontoire, je retrouve Guikui, tremblant, et apeuré à l’orée de la forêt. Le prenant dans mes bras, j’essaye de l’apaiser.

- « Gruikui, là. Calme-toi. »

- « Grui grui gruiiii ! » répond-il en gigotant.

 Je continue de rassurer mon compagnon. Il finit par s’apaiser progressivement. Pendant ce temps, Arcko reste à distance respectable. J’ai le sentiment que bien qu’Arcéus ait scellé le lien entre nous, le petit Pokémon lézard ne me fait pas confiance. Lorsque Gruikui me semble prêt à repartir, je me relève en le gardant dans mes bras.

- « Bon, il va falloir retourner à Flendic… Nous nous sommes beaucoup enfoncés dans la forêt. Je ne suis pas sûre de pouvoir retrouver le chemin. En plus, il fait nuit. »

 L’inquiétude commence à me gagner. Je prends conscience que des heures ont dû s’écouler. Bien que je sois âgée de vingt ans, je vis encore chez mes parents et il n’est pas dans mes habitudes de ne pas rentrer pour le diner sans les prévenir. Je regarde autour de moi, examinant mes options. Le chemin le plus court consisterait à traverser la forêt en sens inverse, au risque de se perdre et surtout de rencontrer des Pokémons ténébreux. L’autre solution consisterait à suivre le bord de la faille, ainsi nous finirons par arriver au village. Mais dans combien de temps ? Et en pleine nuit, les abords de la faille peuvent aussi être dangereux, un faux pas et c’est la chute dans l’abime. Je m’accorde un temps de réflexion assez long, considérant les deux Pokémons m’accompagnant.

- « Nous allons longer la falaise. » je finis par conclure.

 Arcko hausse les épaules et se met en route, Gruikui se blottit contre moi.

- « Je vais devoir te déposer au sol. Si je perds l’équilibre, nous risquerions de tomber tous les deux. Reste bien à côté de moi. » dis-je.

- « Grui. » acquiesce-t-il.

 Ainsi, nous nous mettons en route, Arcko en tête, suivi de Gruikui puis moi, fermant la marche. Le soleil finit de se coucher à l’horizon, les étoiles s’allument une à une dans le ciel tandis que la pénombre se répand. Malgré la lueur de la lune, il devient de plus en plus difficile d’avancer. Alors que je trébuche pour la troisième fois d’affilé, Arcko s’arrête. Il me fait signe de ne pas bouger. Lorsqu’il s’est assuré que j’ai compris, il disparait entre les troncs des arbres de la forêt. Je reste agenouillée et Gruikui vient se blottir contre moi.

- « Décidément, l’aventure, ce n’est pas ta tasse de thé. » je commente.

- « Kui ! » répond-il en hochant vigoureusement la tête.

 Nous attendons ainsi plusieurs minutes dans un silence absolu. Je finis par m’interroger sur les intentions d’Arcko. Va-t-il réapparaitre ? Lui est-il arrivé quelque chose ? Quelques temps plus tard, j’entends du bruit en provenance des buissons sur notre droite. Une lueur lointaine se distingue puis se rapproche progressivement. J’ai l’impression de discerner trois boules de lumière différentes qui flottent dans les airs et au sol une ombre de petite taille semble les guider.

- « C’est Arcko… » je chuchote lorsque je reconnais le petit Pokémon lézard.

 Je suis rassurée de le revoir, la tension dans mes muscles se relâche. C’est un soulagement et en même temps un peu douloureux. Je ne m’étais même pas rendue compte que j’étais crispée à ce point. Arcko arrive à notre hauteur et les boules de lumière sont en fait de petits Pokémons champignons, des Spododos. Ils sont adorables et chacun d’entre eux vient se poster devant Arcko, Gruikui et moi.

- « Oh ! Vous allez nous guider ! Merci ! Et merci Arcko. »

- « Ko. » répond-il en se détournant et en reprenant son chemin.

- « On ne va pas être copain tout de suite. Hein, Gruikui ? »

- « Grui,grui. » acquiesce le Pokémon porcin.

 Accompagnés des Spododos, notre avancée en est bien facilitée. Ils savent se positionner au mieux pour éclairer une branche ou une racine qui aurait manqué de nous faire tomber. Une bonne heure plus tard, nous apercevons les rares lumières qui éclairent encore le village au loin. Dans une grosse demi-heure, nous devrions être rentré. Alors que je me fais cette réflexion, un puissant grondement me fait sursauter. Face à nous, nous barrant la route, un énorme Grahyèna se tient droit, tête haute. Il retrousse les babines sur des crocs acérés. Un nouveau grognement guttural retentit. Un long frison remonte le long de ma colonne vertébrale. Comment allons-nous nous sortir de ce pétrin ? Je reste figée, ne sachant que faire. Gruikui s’est collé à ma jambe, je le sens trembler de la tête au pied. Arcko reste d’un calme olympien. Il fait un pas en avant, réveillant les grognements du monstre. Il s’arrête, fixe le Grahyèna dans les yeux et lève sa patte avant face à lui. Le Grahyèna le contemple, baisse la tête. Enfin, il se détourne et repart dans la forêt.

- « Whoaaa ! Arcko, comment as-tu fait ça ? » je demande.

- « … »

 Il ne dit rien mais me montre la paume de sa patte. Un Spododo se place au-dessus pour l’éclairer. Je distingue dans un vert plus tendre que sa couleur habituelle un dessin, comme un croissant de lune et entouré de rayon en forme de petits triangles. Arcko reprend sa route. Gruikui et moi le suivons.

°°°

 Lorsque nous arrivons enfin aux portes de Flendic, les Spododos prennent congés et regagnent la forêt. La plupart des habitants dorment déjà. Je me hâte de regagner la maison. La lanterne est allumée sur le perron, mes parents ne dorment pas. Bien que j’ai vingt ans, ils sont encore aux petits soins pour moi et d’une certaine façon semblent ne pas s’être rendu compte que j’ai grandi. Si cela m’agace, je ne leur en veux pas, il faut dire que mon caractère rêveur et le fait que je vive encore à la maison n’aide en rien. J’ouvre la porte et entre accompagnée d’Arcko et Gruikui.

- « Kaze ! Où étais-tu ? » s’exclame mon père en se levant de son fauteuil en hâte.

- « Tu es blessée ? Que t’est-il arrivé ? » s’inquiète ma mère.

- « Je vais bien. Pardon d’arriver si tard. Je… J’ai rencontré cet Arcko et… euh… nous nous sommes perdus. » je réponds succinctement.

 Mon père lève un sourcil mais ne dit rien. Ma mère me scrute sentant bien que je ne dis pas toute la vérité. Mais jamais ils ne me croiraient si je leur disais que le Pokémon Fabuleux, Créateur du Monde, Arcéus, m’a choisi pour sauver le monde… Comment leur expliquer que je dois partir… Surtout pour faire le tour des arènes, chose que je me refuse à faire depuis toujours… Une vague de fatigue me traverse. La nuit est déjà bien avancée, je décide de me reposer d’abord et de reprendre mes réflexions demain. Je rassure mes parents puis m’esquive en allant dans ma chambre. Je me couche rapidement, Gruikui vient se blottir contre moi tandis qu’Arcko va se poster sur le bord de la fenêtre et regarde dehors. Je me demande bien ce qu’il pense, surement regrette-t-il de ne plus être dans sa forêt. Ce petit Pokémon est surprenant, je pense en me remémorant son calme face au puissant Grahyèna. Rapidement, je gagne le pays des songes. Dans mes rêves, je bondis d’arbres en arbres, cueillant des fruits et veillant sur les petits Pokémons de la forêt. Je ressens le chant de la sève dans les troncs d’arbres qui m’entourent, la mélodie des feuilles dans le vent. Puis les couleurs se mélangent et se confondent pour définir un visage humain à la chevelure de feu. C’est moi… Mais mes yeux sont jaune orangé au lieu d’être bleu clair… L’image se dissout et d’autres rêves m’emportent.

°°°

 Je me réveille le lendemain matin serrant toujours dans mes bras Gruikui. Le petit Pokémon s’éveille et souffle quelques flammèches de contentement.

- « Oh la la ! J’ai fait un drôle de rêve… » je commence.

Je lève le regard et découvre au bout de mon lit, Arcko qui me regarde placidement.

- « Aaaaah ! » mon cri résonne dans la maison.

J’entends un bruit de course dans le couloir, ma porte s’ouvre à la volée.

- « Kaze ? ça va ? » entre mon père, affolé.

- « Euh… je… Pardon. J’avais oublié avoir trouvé un Arcko hier. » je m’excuse.

- « Hé ! hé ! Ce que tu peux être dans la lune. » me taquine-t-il. « Venez manger tous les trois. Ce matin, c’est pancakes ! » il repart vers la cuisine.

- « Salut Arcko. Bien dormi ? » je demande.

- « Ko. » dit-il sans trop d’émotion.

 Je me lève et m’habille, perdue dans mes pensées. Alors que je me saisis d'un T-shirt, mon regard se pose sur ma main gauche. A la base de mon pouce dans la paume de ma main je remarque ce qui ressemble à une cicatrice. Un croissant de lune avec des rayons en forme de triangle... Le même motif que celui sur la patte d'Arcko... Ce que j’ai pris pour un rêve s’est réellement passé. Je vais quitter la maison, partir faire le tour des Arènes… Sauver le monde ? Gruikui tourne sur lui-même, impatient de gouter aux mets promis. Nous descendons tous les trois et retrouvons mes parents. En plein milieu du petit-déjeuner, je m’interromps, pose ma fourchette et annonce :

- « Je vais partir faire le tour des arènes. » Voilà, c’est dit.

- « Pardon ? »

- « Tu vas quoi ? » s’exclament mes parents.

- « Je… Je vais faire le tour des arènes avec Arcko. Je… ça fait un moment que j’y pense, j’ai envie de voir de nouveaux paysages. Et ce voyage pourra m’être utile pour me perfectionner dans la taille de pierre en m’inspirant de ce qui se fait ailleurs. Tu dis toujours qu’on représente mieux notre sujet quand on le connait sur le bout de doigts, n’est-ce pas, papa ? » j’ai parlé très vite et d’une seule traite.

- « Euh… oui. » finit par répondre mon père.

- « Bien… bien sûr. C’est… juste, un peu soudain. » commente ma mère.

- « Oui, je sais. Je… Je me suis réellement décidée en rencontrant Ar…cko. En rencontrant Arcko. » je répète.

 Je ne suis pas décidée à leur parler d’Arcéus. La tâche qu’il m’a confiée promet d’être périlleuse et je ne veux pas les inquiéter inutilement.

- « Quand comptes-tu partir ? » me demande ma mère.

- « Le plus tôt sera le mieux. Demain matin. » Maintenant que la machinerie est lancée, pourquoi attendre ?

- « Il y a beaucoup de choses à préparer. Je vais passer à l’épicerie te chercher des provisions. Va préparer tes affaires et passe peut-être dire au revoir à tes amis. Ton père va prévenir les clients et s’occuper de réorganiser la boutique pour ton absence. » ma mère prend les choses en main. Elle m’impressionne par son adaptabilité.

- « Je… merci. »

 Nous finissons le petit-déjeuner dans le calme. Même s’ils n’en montrent rien, je vois bien que ma décision les affecte. Après manger, je décide d’aller me promener dans le village, j’ai besoin de prendre l’air. Arcko et Gruikui me suivent dehors. Arcko est toujours distant mais il reste à proximité de moi. J’ai presque l’impression qu’il me surveille. Je pense voir Julie et Francis, mes amis de toujours. Eux aussi, ont choisi de ne pas faire le voyage initiatique. Francis est devenu boulanger et Julie aura bientôt finit ses études d’institutrice. Lorsque je leurs annonce ma décision de quitter Flendic, ils n’en croient pas leurs oreilles. Je reste évasive sur mes raisons. C’est plus dur que je ne pensais de leur dire au revoir… Je me promène encore un moment dehors puis regagne la maison. Maman est absente, elle est descendue au magasin et papa est à l’atelier. Je passe la fin de la matinée à ranger l’établi avec lui. J’ai un pincement au cœur quand je range dans leur mallette mes outils. La recherche des filons, l’extraction des blocs, la coupe puis la taille de la pierre vont me manquer. Je ne peux résister à emmener un burin et un petit maillet avec moi. Au repas du midi, ma mère me fait l’inventaire de ce qu’il ne faut pas que j’oublie. Mon père m’offre son vieux sac de voyage, celui-là même qu’il avait lorsqu’il avait fait son voyage initiatique. Il s’agit d’un sac en cuir, il est ancien et le cuir est doux et souple au toucher. Je l’imperméabilise en début d’après-midi. Les préparatifs se poursuivent ainsi toute la journée. En fin d’après-midi, je suis dans ma chambre en train de finir de remplir mon sac du strict nécessaire. Ma mère toque et je lui fais signe d’entrer. Je m’assoie sur mon lit tandis qu’elle prend place à côté de moi.

- « Kaze… Ton père et moi, nous voyons bien que tu ne nous dis pas tout. »

- « Maman… Je… Je dois partir. »

- « Je ne t’en empêcherai pas. Mais est-ce vraiment ce que tu souhaites ? »

 Alors qu’elle prononce ces mots, je sens les larmes poindre aux coins de mes cils. Non, je ne peux pas affirmer que c’est ce que je veux. J’avais une vie calme, paisible, je travaillais en harmonie avec la Faille… Mais il le faut. Ai-je vraiment le choix ?

- « C’est important. » je conclue.

- « D’accord, ma fille. Prend ce Pokédex alors. Il m’appartenait à l’époque où je faisais des concours Pokémon. »

- « Tu faisais des concours Pokémons ?! » je m’exclame. « Je ne savais pas, tu n’en as jamais parlé ! »

- « C’était dans un autre temps, Kaze. Ta vieille mère a encore quelques secrets. Il faut reconnaitre que je n’étais pas mauvaise. » ajoute-t-elle avec un sourire malicieux. « Je suis passée au Centre Pokémon, le Pokédex a été remis à jour et j’ai changé l’utilisateur pour qu’il soit à ton nom. »

- « Merci maman. » je dis en prenant le petit ordinateur portable au couvercle rouge.

- « Donne nous des nouvelles régulièrement et reviens quand tu veux. »

 Elle me laisse seule. Je passe de longues minutes à contempler le fameux guide du dresseur. Je suis devenue dresseuse bien malgré moi. Je soupire et finis de ranger mon sac. Le repas du soir se passe dans le calme, mes parents font la conversation. Arcko grignote dans son coin, Gruikui reste à côté de moi en permanence aujourd’hui. Il sent bien que quelque chose se passe. Avant d’aller me coucher, je me pose sur mon lit avec Gruikui.

- « Tu vas rester là, Gruikui, avec papa. »

- « Grui ? » fait-il d’un air interrogateur.

- « Tu as bien vu hier, le voyage que j’entreprends va être dangereux. On sait tous les deux que tu aimes chercher les filons rocheux, trouver les plus beaux diamants… Tu ne seras pas heureux avec moi. Papa va prendre soin de toi pendant mon absence. Et… quand je reviendrai, on reprendra ensemble notre sculpture de Leviator. » je me force à sourire alors que j’ai la gorge nouée.

- « Kui, kui… » fait-il en se frottant contre mon bras.

 Je le prends dans mes bras et le serre fort contre mon cœur. Ce soir, je me couche avec Gruikui dans mes bras. Arcko passe à nouveau la nuit à regarder à travers ma fenêtre.


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