Jour de l'an périmé

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Et voilà, 2024. Comme une chanson que l’on entend trop, l’année revient, un chiffre changeant, mais moi, je suis même constamment. Ce fût mon deuxième réveillon seul. Un choix, à vrai dire, un choix sans en être trop un. Être seul, ce n’est pas si mal, ça me rappelle à quel point chaque nuit de chaque jour de ces années est vaine, sombre et dépourvue de lumière. Je me conforte dans l’idée que si je suis seul au réveillon, c’est parce que je le suis tout le temps, infiniment. Si proche de corps, si loin de tout. Comment parler à l’autre quand notre propre solitude nous dévore ? Il n’y avait que des étoiles hier soir pour me faire apprécier le silence de la nuit, elles sont reposantes, elles embellissent le noir d’une nuit trop. Une nuit qui essuie encore son inutilité. Il y a des larmes dans ma poitrine qui ne sortiront jamais, des flammes grandioses qui veulent me dévorer, me faire exploser, tout briser dans son entièreté. J’ai souhaité brûler, en regardant le feu réchauffer la maison. Je me suis demandé ce que ça ferait de se sentir se consumer, d’être les flammes, de voir sa peau flamber. J’ai attendu minuit, la nouvelle année aussi pourrie et déjà usée que toutes les autres qui ont commencé. J’ai attendu minuit assis à observer ses flammes danser, fusionner, se contorsionner comme si elles étaient toujours trop étroites, trop serrées, emprisonnées. Minuit est arrivé, et avec lui, la même déception cuisante et cette envie de me consumer, de me voir mourir pour ne jamais plus avoir à fêter une nouvelle année. Fêter un énième échec, une grosse boutade, une hypocrisie monstre. J’aime rester assis, à m’observer stagner, à être perdu dans ce labyrinthe psychique qui ne prend jamais fin, qui me laisse coi, stupide dans mon hébétude. J’ai souhaité que les étoiles soient des bombes, qui s’abattent sur moi, qui m’enfoncent dans le sol, me rendent à la terre, m’éclatent en mille morceaux pour ne plus jamais voir un seul bout de ma chair. J’avais froid sur ma balançoire à observer un ciel-bombes et écouter des musiques pour ne plus avoir à réfléchir à comment je vais survivre une année de plus, une journée de plus. À comment je vais réussir à sortir de mon lit le lendemain, à goûter de nouveau au soleil contre les fenêtres, à devoir toujours sourire et dire « merci, ça va. » sans ne jamais pouvoir tout détruire, balancer toute la vaisselle pour la sentir se briser, pour entendre le tintement de sa chair craquelée, fendue, ne pas pouvoir arracher les murs, les affiches, la peinture, détruire les vitres avec mes poings, mes griffes, ma hargne. Devoir contenir en moi la frustration de se retenir d’arracher ma peau à la main, de sortir de ce corps, le quitter, le rompre. Accepter d’être encore de ce monde, en vie, quelle infamie. Je me suis projeté, ce n’est pas ce qu’on fait à la nouvelle année ? J’ai pensé à l’avenir, à la stupidité des résolutions, je n’en ai aucune, à quoi bon ? L’avenir, quel drôle de nom, avenir, à venir, moi, je voudrais juste ne pas venir, ne pas avoir à venir. Je passerai encore les semaines la lame sur les hanches, à souhaiter disparaître dans les plis de ma couette, à me cacher sous les capuches de mon sweat pour m’oublier, à contenir ma faim, restreindre ma nourriture, admirer mon corps maigrir, ses os sortir, en vouloir toujours plus de cette chair qui rapetisse, à regarder la vie tourner, danser, en me laissant tomber, à ressentir les petits coups d’une excitation soudaine, d’un brin d’optimisme dans mon cerveau malade, et le restreindre soudainement par ma noirceur continue qui s’épaissit, me laisse désespéré, dépressif, maladif. Je n'ai envie de rien, rien. Vide est mon identité, glisser du miroir, y être absorbé. Toutes mes images sont erronées, je suis translucide, livide, transparent. J’ai mal de vivre. Mal au cœur, mal au bide, mal au vide. J’ai une intoxication au réveillon. Faites des comptes à rebours, lancez des feux d’artifices, mettez le son haut, fort, riez et dansez, aimez, souhaitez-vous une belle année, sans moi.

Je suis terriblement laid, la gueule encrassée par ma médiocrité, banalité du temps passé à me regarder sombrer, à m’espérer craquer, claquer. Écrire ces mots n’en est que le reflet, je suis détestable et mon réveillon seul est mérité, périmé. Parce que je suis le problème. Toujours. Je suis inadaptable, mal foutu. Je me déteste d’être autant raté. Ma mère a raison. Je suis égoïste. Égoïste de cette douleur. Qui n’expire pas. Égoïste par cette douleur. En moi. Dans mes veines. Dans mon crâne. Elle ne comprend pas que ça fait tellement mal que j’ai cessé d’exister. Que ça m’a tué. Que je ne saurais jamais vivre, ni même guérir. Que je suis tant noirci, ma peau déchirée, mes veines d’un sang triste, mon cœur intoxiqué, mon cerveau sous virus, sans remède.

Et voilà, 2024. Jour de l’an périmé. Moi aussi.

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