Histoire de la Chine et de la Chine II

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Des toits crevés, des tours branlantes, des portes bouchées par l’herbe, des murs couverts de mousse.» En 700, un poème anglais décrit ainsi l’Europe en ruines, trois siècles après l’effondrement de l’Empire romain. Les cités de brique et de marbre s’étant écroulées, les administrateurs et les marchands se faisant rares, la monnaie et l’écriture n’ayant plus d’usage, la forêt reprend ses droits sur un continent dont les habitants vivent dans des masures.

Contrastant avec ce déclin, un grand empire est en pleine expansion à l’autre bout du monde, et sa capitale, Chang’an, surpasse l’ancienne Rome par sa taille (plus de 1 million d’habitants) et par son urbanisme raffiné. Alors que la croissance anarchique de la métropole romaine avait contraint ses habitants à s’entasser dans des bâtiments insalubres et délabrés, le siège du pouvoir de la dynastie Tang est construit sur plan dans un rectangle de 84 kilomètres carrés, et ses avenues se croisent à angle droit.

La largeur de la majestueuse rue Heng atteint 440 mètres, celle de la rue de l’Oiseau vermillon 155 mètres. Du nord au sud sont érigés le palais impérial, le siège du gouvernement, deux immenses marchés et 108 zones résidentielles placées dans des carrés parfaits, dont chacune constitue une miniville, avec ses rues, ses murs d’enceinte et ses gardes armés. Les plus riches citoyens habitent des manoirs somptueux : la propriété du général Guo Ziyi, qui héberge les 3 000 membres de sa suite, a une surface de 138 000 mètres carrés !

Enfin, deux monastères agrémentés de jardins, l’un taoïste, l’autre bouddhiste, se dressent au sud de la Cité de la paix éternelle. A l’aube du VIIIe siècle, Chang’an symbolise la renaissance économique de la Chine, initiée cent dix ans auparavant par l’empereur Wendi. En réunifiant la nation en 589, ce fondateur de la dynastie Sui a mis fin à l’affaiblissement du pouvoir central et aux révoltes et batailles dynastiques qui se succédaient depuis le IIe siècle. Lorsqu’il prend les rênes, il bénéficie de deux révolutions discrètes survenues pendant la période de tumulte. L’assimilation d’immigrants originaires, comme lui, des «tribus barbares» du Nord a fait bondir le nombre d’habitants de l’empire (et donc de contribuables). Et la culture du riz en champs inondés, avec sélection des semences et transplantation des pousses, s’est répandue dans la plupart des régions. Les rendements augmentant, les famines se font rares.

Les Sui gouvernent trente ans seulement, mais ils lèguent à leurs successeurs, les Tang, trois réalisations qui changent le destin de la Chine. Ils couvrent le pays de greniers à grain, ce qui supprime les pertes dues au pourrissement des récoltes. Ils mobilisent aussi des millions d’hommes pour creuser le Grand Canal. Prévu pour transporter les armées, cet ouvrage dont la longueur atteint 1 500 kilomètres devient une artère commerciale permettant d’exporter le riz cultivé dans la vallée du Yangzi Jiang vers les régions jouxtant le fleuve Jaune, bien plus au nord. Du coup, les villes poussent comme des champignons dans cette partie du pays trop aride pour y pratiquer l’agriculture intensive. C’est d’ailleurs au nord de l’empire que les Sui construisent leur nouvelle capitale, Daxingcheng, qui sera rebaptisée Chang’an par les Tang.

Le fardeau de ces grands travaux et plusieurs guerres infructueuses en Corée provoquent des révoltes qui causent la perte des Sui. Mais tout est en place pour que l’empire connaisse une ère de prospérité. Du VIIe au XIIIe siècle, au cours des dynasties Tang, puis Song, la croissance se double d’innovations majeures et d’une floraison littéraire et artistique : en dépit des intrigues de palais et de guerres civiles sporadiques, la Chine classique aborde son âge d’or.

Sous les Tang (618-907), le moteur du développement est la hausse de la productivité agricole. La culture en ligne, le sarclage intensif, le soc de charrue en fer et le versoir sont déjà en usage, alors qu’ils ne seront adoptés en Europe qu’au XVIIe siècle. De plus, l’Etat investit dans la construction de routes et de canaux. Enfin, le nord du pays rattrape son retard et ne cesse de s’agrandir du fait des conquêtes chinoises en Asie centrale.

Situé à l’extrémité de la route de la soie, Chang’an importe du thé du Sichuan et héberge des marchands indiens, perses et arabes. Les caravanes qui s’y pressent inspirent à ses potiers des statuettes de cavaliers et de chameaux couverts de vernis verts et bruns. On y érige des mosquées, des églises nestoriennes, des temples zoroastriens… Les citoyens fortunés trouvent chic d’employer des portiers noirs «importés» d’Afrique de l’Est. Leurs femmes lancent une mode inspirée des tenues de leurs domestiques originaires d’Asie centrale et leurs bijoux en argent sont copiés sur le style iranien.

La croissance est aussi stimulée par d’autres évolutions : la professionnalisation des bureaucrates (désormais sélectionnés sur examen, et non en fonction de leur rang dans l’aristocratie), le relâchement de la mainmise de l’Etat sur le commerce (il se contente de percevoir des taxes) et le boom de l’industrie métallurgique (la production de fer atteint déjà 20 000 tonnes en l’an 800). De plus, l’économie se monétarise : 100 millions de pièces sont fabriquées chaque année dans les fonderies de l’empire.

A partir de 756, des rébellions endommagent pourtant Chang’an et, à la fin du VIIIe siècle, l’empire des Tang entre dans une période de chaos qui aboutit en 904 à la destruction de sa capitale et à une nouvelle fragmentation de l’empire. Durant le demi-siècle suivant, treize empereurs et dix rois se battent pour gouverner ses débris. Heureusement, les combats se déroulent loin du cœur de l’économie : lorsque les Song prennent le pouvoir, en 960, les rizières, les canaux et la plupart des villes sont intacts. Sous leur règne, l’expansion démographique est remarquable (100 millions d’habitants vers 1100), la croissance s’accélère et les avancées scientifiques se multiplient.

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