Le roi soleil
Il était une fois un roi, dont le temps a effacé le nom, et c’est uniquement par les bardes et troubadours qui la chantait que son histoire nous est parvenue. Le lecteur, sachant comme la transmission orale peut déformer les histoires, prendra celle qui suit avec toutes les précautions qui s’imposent.
Ce qu’il nous reste de ce roi presque oublié est simple et suffisant pour ce que nous allons raconter. Il était né le premier jour de l’été, un jour où le Soleil était particulièrement brillant. N’étant pas un descendant direct de roi, il s’était retrouvé sur le trône par un coup du sort. Il détestait les jours de mauvais temps, la pluie et le vent le rendaient mélancolique, le poussant parfois à prendre des décisions absurdes. Ainsi, nous racontent les bardes, un jour d’automne particulièrement pluvieux, il ordonna à ses généraux d’attaquer une contrée voisine chez qui il jalousait la météo qui lui semblait moins rude. Cette guerre ne dura pas plus de quelques jours mais causa la mort de nombreux soldats dans ses rangs. Finalement une paix nouvelle fut signée, mais ses voisins ne manquèrent pas de renforcer les défenses de leurs frontières.
C’est le jour de son trente-troisième anniversaire que débute réellement notre histoire. Pour célébrer ce jour, il organisa une gigantesque fête et reçut de nombreux cadeaux. En organisant cette cérémonie, ce n’était pas tant son anniversaire qu’il fêtait que l’arrivée de l’été et des jours ensoleillés. Tous les invités profitaient sans crainte de l’abondance de nourriture et de boisson, en consommant plus que de raison et certains d’entre eux furent très vite plus remplis d’alcool que les tonneaux qu’ils vidaient. Alors que la fête battait son plein, d’épaisses volutes de fumée verte apparurent au centre de la pièce. Dans ce brouillard se dessina une silhouette filiforme, et quand la fumée se dissipa tous reconnurent Rise, la reine fée. Tout Homme sensé craignait sa magie, mais le roi n’était pas de ceux-là. Une fascination dévorante pour les fées l’animait. Il aimait leur mode de vie plein de chants, de jeux et de fêtes, et nul ne doutait du fait que, s’il en avait eu le choix, c’est sans hésitation qu’il aurait choisi de vivre parmi elles.
Rise s’avança langoureusement vers le trône et tendit un objet en direction du roi.
« Vois ce collier que je te tends, il contient une pierre d’ambre dans laquelle mes plus grands artisans ont inséré une graine d’héliotrope. J’ai ensuite moi-même ensorcelé ce bijou afin qu’il permette à qui le porte de dégager le ciel et faire venir le soleil. Prends ce présent, je te l’offre pour célébrer ton trente-troisième anniversaire. Vois-y le signe de la paix mutuelle qui, je l’espère, liera encore longtemps nos deux peuples. »
Elle posa le pendentif devant le roi sur la table du banquet, entre une corbeille de fruits et un plat de pâtisseries avant de s’enrouler d’une épaisse fumée verte et de disparaître. Le temps de la surprise passé, le roi saisit le pendentif, le regarda attentivement puis ordonna à ce que la fête reprenne.
Les jours passèrent, et le roi ne se soucia pas de ce présent. Il profita des fleurs et des jours de beaux temps pour se promener, flâner et compter fleurettes aux belles de la cour. La belle saison passa et le mauvais temps réapparu, les rayons du soleil se faisant de moins en moins chauds et de plus en plus absents.
Finalement, un jour où le ciel était particulièrement menaçant et lourd, il se souvint du cadeau abandonné sur le linteau de la cheminée qui chauffait sa chambre que lui avait fait la reine Rise. Il s’en saisit, le regarda, observa la graine d’héliotrope qui vivait en son centre et afin de mieux apprécier le travail des fées le tourna entre ses doigts. Alors, le ciel s’éclaircit, les nuages se dissipèrent et les rayons du soleil vinrent réchauffer le château. Sentir la chaleur du ciel envahir sa chambre rendait le sourire au roi, et donc à l’ensemble de la cour.
Dans les premiers temps, le roi utilisa l’objet magique avec précaution, ne l’utilisant que de temps à autre, acceptant quelques jours de mauvais temps. Mais, le mois passant, il faisait de plus en plus usage de la magie, tant et si bien qu’il finit par l’utiliser chaque matin.
Au début, nul ne s’en plaignait, et les récoltes furent abondantes. Céréales, fruits et légumes remplissaient granges et greniers. Les fleurs ayant été nombreuses, les abeilles purent œuvrer sans cesse, et le roi pu ainsi se délecter de son met favori, le miel.
Cependant les jours sans aucune pluie passant, les rivières finir par s’assécher, les sols par se craqueler et les plantes par faner. Les paysans vinrent se plaindre, mais malgré les avertissements de ses conseillers, le roi refusait d’entendre raison, la magie des fées l’avait ensorcelé.
Au fil des jours, les réserves s’épuisèrent et les repas du monarque furent de moins en moins copieux. Il maigrissait à vue d’œil et son peuple mourrait de faim, mais il s’enivrait des rayons du soleil, passant ses journées à flâner dans les allées du jardin totalement sec, se refusant même à accomplir une quelconque tâche qui l’empêcherait de profiter de la chaleur que lui accordait la nature, laissant ainsi son royaume à l’abandon.
Finalement, un matin, à la surprise générale, une pluie abondante tomba, hydratant les sols, remplissant les ruisseaux, arrosant les plantes et nettoyant les animaux. Chacun savoura cette pluie salvatrice et les bardes chantent aujourd’hui encore la liesse qui poussa des centaines de gens à sortir danser sous la pluie. Pour les plus proches du roi cependant, cette pluie avait une double saveur. Ils étaient certes heureux de voir à nouveau tomber la pluie sur leur contrée devenue si sèche, mais ils savaient aussi que cela signifiait la mort du roi.
Personne n’avait su le raisonner et usant continuellement de la pierre il se baignait des rayons du soleil refusant durant les derniers jours de sa vie de s’alimenter, ne savourant que la chaleur et la lumière de cet astre qu’il chérissait tant. Ne se rendant pas compte du mal qu’il infligeait à la nature, à ses gens et à lui-même, il avait fini par mourir dans son sommeil, sans que le soleil ne brillât sur lui.
En ce qui concerne ce bijou, offert par la fourbe Rise qui connaissait les penchants du monarque, certains prétendent qu’il fut enterré avec ce roi dont l’emplacement de la tombe a été oublié depuis. La vérité est toute autre, les hommes du défunt roi tentèrent en vain de détruire le collier qui fut finalement jeté dans l’océan où il sombra.
Ainsi, si par hasard en vous baladant au bord de l’océan, vous veniez à trouver une graine d’héliotrope enfermée dans une larme d’ambre, ne vous en approchez pas et laissez l’océan la reprendre ou la magie des fées pourrait bien vous détruire vous aussi.
Annotations
Versions