Macabre Mariage

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 Les superstitions naissent de l’idée que les humains sont soumis à une puissance plus grande qu’eux, puissance susceptible qu’il serait dangereux de contrarier si l’on ne veut pas en subir les représailles. Depuis la nuit des temps, on se pose la question prudente suivante : “si je flatte cette force, peut-être me laissera-t-elle tranquille? Peut-être la poisse passera son chemin ? Peut-être que mes problèmes se règleront ? Peut-être que je serais encore plus heureux ?”
Qu’on y croit ou non n’empêche pas de réaliser ces petits rituels, “au cas où” comme on aime à se dire. Le pain reste à l’endroit sur la table, les échelles ne voient personne passer sous elles, le sel vole par dessus les épaules gauches, les couteaux s’offrent souvent avec une bobine de fil et une aiguille, et les crottes entendent un soupir soulagé quand un pied gauche leur marche dessus…
Vœux de bonheur, petites malédictions, chacun a son arsenal de petites manies, pour ne pas contrarier cette puissance instable.
Imaginez alors l’effroi des riverains de Quelque-Part-sur-Mer à 15h30 quand ils découvrirent dans quelles conditions leur petite église avait brûlé…


 Un mariage avait eu lieu ce dimanche matin. Les cloches s’étaient mises à sonner à midi trente, les époux s’étaient dit oui.
Tout allait bien jusqu’à ce que l’on se mette à tiquer : il était treize heure douze, et les cloches n’avaient toujours pas arrêté de sonner.
Madame Michu, la libraire du village, avait été la première à se diriger jusqu’en haut de la colline, agacée de ne pas pouvoir finir son Edgar Allan Poe en paix nom de dieu. Elle avait aussi été la première à remarquer l’épaisse fumée au dessus de l’édifice religieux.
Puis les pompiers et les journalistes avaient débarqué suite à son coup de fil.
L’on déplorait plus d’une vingtaine de victimes : un prêtre, deux enfants de chœur, la sacristine, les deux jeunes époux, leurs quatre frères et sœurs, les cinq parents, deux élus locaux, le directeur de la banque, sept invités divers et un petit chat.


 L’église était pleine de fumée quand les pompiers étaient entrés. Une fois le feu éteint, un tour de ce théâtre macabre avait été effectué: des corps sur les bancs, et devant la porte amassés, probablement de pauvres gens paniqués à la recherche d’une issue… Ça et là, on apercevait des objets renversés, distincts encore dans les restes de tentures et de bois calcinés. Mais le plus étrange se trouvait au bout de la nef, dans le chœur de l’église : les corps des époux, des familles et du religieux avaient été disposés en corolle sordide, comme autant de pétales d’une même fleur funeste dont le centre formé par leur visage était… bleu?
Détail étonnant : le cadavre en très mauvais état d’un tout petit chat gisait là, au milieu…
Devant cette cauchemardesque scène, tous les témoins avaient senti leur sang se glacer.
Mais le pire avait été l’annonce publiée dans le journal le jour suivant.
Personne n’avait pu expliquer ce qui s’était passé, mais en lieu et place de l’article respectueux en première page initialement prévu, un titre s’étalait en lettres grasses :


“Quelque chose de neuf, quelque chose de vieux, quelque chose de prêté, quelque chose de bleu”.
Et ces mots suivaient :
“Neuf, comme les vies d’un chat. Macabre mise en scène que voilà.. Mais ne vous en faites pas, le petit n’a pas souffert longtemps : je ne peux pas supporter le bruit des miaulements.”
“Vieux, comme l’église qui a servi de scène au sacrifice. Elle a cramé après la fin de la cérémonie du Jeu. Ils n’étaient pas assez purs, alors je les ai purifiés par le feu.”
“Quelque chose de prêté, j’y avais de l’intérêt. Alors j’ai mis dans l’église mon banquier aussi après avoir lui avoir rendu son prêt.”
“Et bleu, ma couleur favorite, la pureté que j’admire. Je l’aime encore plus quand elle est au plus étendue. Ma favorite est celle de la cyanose, sur toutes les lèvres de mes tributs.”

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