Takafumi Aomori, 29 ans, un homme désabusé et dans le doute
Comme de coutume après une bonne journée de travail, Takafumi Aomori partait toujours en direction de son bar habituel suite à un prétexte inventé pour refuser les invitations des frères Shirayuki, surtout l'ainé Hideaki, qui avait pris son bien-être un peu trop à coeur, tel une mère poule inquiète.
Takafumi se demandait distraitement comment ses collègues arrivaient à entrer dans les izakaya après le boulot. Niveau taille, Hideaki-san, du haut de ses trente ans, faisait un mètre soixante-cinq et il était le plus grand des cinq frères adultes. Junji, Hideo, Hidekazu et Junsaku faisant entre un mètre soixante-trois et un mètre soixante. On prenait même les deux plus jeunes Junya et Hideharu pour des collégiens dans le lycée qu'ils fréquentaient.
Pourtant, les frères Shirayuki prenaient ce souci d'apparence avec désinvolture en proclamant eux-même que même s'ils étaient petits, ils n'en étaient pas moins adorables.
Takafumi ne pouvait leur donner tort. Leurs faciès les rendaient vraiment plus jeunes qu'ils ne l'étaient. Pas au point d'en être enfantins mais plutôt proches des adolescents. Beaucoup de clients à la boutique pensaient qu'ils avaient le même age que les deux cadets.
Ses pensées furent interrompues par les patrons du Rainbow Circle en train de l'interpeler. "En train de rêver du Prince Charmant, mon petit Taka?, le taquina la Mama du bar, une femme aux boucles rousses vêtue d'une mignonne robe de dentelle orangée façon lolita qui dissimulait un physique de femme fatale et répondant du nom de Kirisaki Juri.
Elle tenait le bar en compagnie de son frère jumeau Seiya et bien qu'ils se ressemblaient comme deux gouttes d'eau, avec un corps à tomber, ils avaient fait déchanter bon nombre d'hommes et de femmes vu qu'ils préféraient tous deux les personnes du même sexe aussi bien que celles du sexe opposé. Ils regardaient plus l'affinité que le genre.
Toutefois, ils ne faisaient aucune distinction sur l'orientation pour les clients et malgré quelques échaffourées avec quelques homophobes venus semer le trouble, tout le monde était le bienvenu. "Sinon vous aurez droit à une petite fessée de ma part, avait l'habitude d'avertir Juri ce qui n'était pas une promesse en l'air.
Sous ses airs de poupée sage, la tenancière du Rainbow Circle avait été la capitaine du club d'aïkido de son lycée (le même que Reina d'ailleurs) en plus de pratiquer le krav maga dans ses temps libres. Seiya avait aussi fait des sports de combat mais il en était moins fervent que sa soeur.
Hiro et lui partageaient leur passion commune pour l'écriture même si le barman se concentrait surtout sur les romans à suspense. "Non, Juju. Ça fait un bail que ce rêve est passé de date pour moi, lui répondit Takafumi en finissant son daïquiri.
Il regarda ensuite les alentours, une légère envie dans le regard. Deux hommes étaient en train de discuter, installés dans le coin lounge en retrait. Leur proximité et la tendresse de leurs oeillades montraient bien qu'ils étaient en couple. "Oui, ce n'est vraiment pas pour moi."
Seiya rejoignit sa soeur au comptoir après avoir fini de servir quatre nouveaux arrivés. "Je serai tenté de te dire que ce n'est pas le cas mais vas-tu m'écouter au moins?" Autant Juri ressemblait à une lady dans son allure, autant Seiya avait pris le tournant inverse.
Chemise bordeaux, pantalon et chaussures noirs, cheveux roux coupés courts avec une mèche couvrant son oeil mordoré. Il faisait dans la mouvance gothique. "Et c'est quoi ce livre de conte de fées qui sort de ton sac?"
Takafumi eut un sursaut en remarquant le livre de Blanche Neige dépassant de son sac. Mince. "J'ai totalement oublié de le rendre à la bibliothèque, s'étonna-t-il en se tapant le front, quel idiot! C'est un livre que j'avais emprunté pour mes nièces, expliqua-t-il ensuite en poussant un soupir.
L'ennui, c'était qu'il avait reçu un appel bizarre de Hiro qui le suppliait de le rendre à la bibliothécaire pour une raison qui lui échappait. Je vais le rappeler tout à l'heure. "Fumi et Hime vont bien?, lui demanda alors Juri tandis que Seiya s'était excusé en s'eloignant un peu dans le but de préparer les cocktails commandés.
- Oui, mis à part qu'Himeka s'est encore bagarrée pour protéger sa soeur." Takafumi réprima un soupir. "Je sais que Hiro était comme ça avec moi à son age mais j'ai peur des retombées". Les gens du quartier faisaient déjà les gorges chaudes du fait que son frère fut père célibataire. Certaines voisines mères au foyer tentaient même de le caser avec leurs amies non mariées.
Sans oublier leurs parents qui, des fois, organisaient des omiai surprises à la dernière minute même si Hiro mettait un point d'honneur à leur dire d'aller voir ailleurs mais ça, c'était de sa faute. C'était dans ce genre de circonstances qu'il s'en voulait d'aimer les hommes. "Je m'en veux d'être ce que je suis et j'en veux à Reina, avoua-t-il à une Juri inquiète, la mort dans l'âme.
La mama lui tapota gentiment l'épaule avec un sourire rassurant. "On ne choisit pas notre famille mais personne ne peut nous empêcher à être qui nous sommes, déclara-t-elle simplement en regardant un moment Seiya poser les boissons sur un plateau, Sei et moi sommes comme Hiro-kun, là-dessus. Notre famille nous a jamais compris et nois avons abandonné l'idée qu'elle nous comprenne un jour, ajouta-t-elle avec une tristesse à peine dissimulée, mais bon, le Rainbow Circle est là justement pour montrer que tout le monde peut être aimer pour ce qu'il est. Du moins, c'est notre but."
Takafumi se sentit à la fois réconforté d'avoir été consolé et embêté de s'être plaint. Il était évident qu'il n'était pas seul dans cette situation. Beaucoup de gens l'étaient et quand ce n'était pas de l'orientation dont il était question, c'était un autre prétexte, une autre raison qui sortait du moule établi par la société.
Juju reprit la parole en mettant les verres vides ramenés par Seiya entretemps pour les nettoyer. "Pour Saionji, elle a toujours été comme ça malheureusement, dit-elle avec lassitude, elle était très populaire au lycée.
- Dame Reina était surtout une bêcheuse de première, oui, se renfrogna Seiya en rangeant son plateau, une foutue gosse de riche opportuniste. Tout ça parce que son père est le PDG d'une des boites cosmétiques les plus cotées du pays, Madame croit qu'être avec quelqu'un, c'est comme acheter une paire de chaussures : ça nous plait le temps qu'on marche avec et quand ça commence à s'user, on les jette."
Takafumi ne pouvait pas trouver de meilleures descriptions. Oui Reina considérait surtout les autres pour ce qu'ils lui apportaient en terme de prestige surtout. Peut-être était-ce dû à son éducation malgré tout. Le bijoutier se décida à payer son addition quand Seiya l'interpela. "Au fait, Taka, fais attention sur le chemin du retour.
- Sei, tu ne vas pas encore lui raconter ces faits divers grotesques, se facha Juri, il n'y a que toi que ça interesse." Son frère avait été partie prenante du club de littérature au lycée et il avait réussi avec sa classe à monter une maison hantée d'anthologie lors du festival culturel. Il adorait ce qui touchait à l'irrationel.
"Il y a encore eu un meurtre Juju, lui raconta son frère jumeau, donc il vaut mieux être averti.
- Que se passe-t-il?, le questionna alors Takafumi pendant que Juri lui rendit la monnaie.
- Des personnes ont été retrouvées mortes pas loin d'ici, ces derniers temps. J'en ai parlé à Hiro bien sûr mais il y avait quelque chose d'étrange : d'après la police, les victimes étaient dans la trentaine, le coeur arraché et vidés de leur sang mais le plus bizarre reste la température de leurs corps. Ils étaient en état d'hypothermie quand ça s'est produit.
- Ce qui devrait être impossible vu que le printemps est bientôt là, fit Juri en croisant les bras, mais tu as dit toi-même que ces cas sont isolés, Sei.
- Ouais mais on ne sait jamais, lui dit son frère avec inquiétude, fais attention à toi, répéta-t-il à l'adresse de Takafumi.
Ce dernier hocha la tête en se levant du comptoir.
Il ressentit une douce chaleur qui se répandit au travers de sa paume dès qu'il effleura le livre de Blanche Neige.
Takafumi quitta le bar en se disant que ce n'était qu'une impression.
Il ne remarqua pas la lueur étrange qui émanait du conte pendant qu'il partit en direction du quartier où il habitait.
L'air devenait juste de plus en plus froid au fur et à mesure qu'il avançait.
"Je vous protégerai."
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